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Culture - Événement

Nidaa Abou Mrad revivifie « La Divine Comédie » de Dante... sept siècles après sa mort

Dans le cadre de la commémoration des 700 ans de la mort de Dante Alighieri, et en partenariat avec l’Institut culturel italien et le Beirut Art Film Festival (BAFF), Nidaa Abou Mrad et l’Ensemble de musique médiévale de l’Université Antonine (EMM-UA) interpréteront, en création mondiale, les 15 et 16 septembre, une musicalisation d’extraits de « La Divine Comédie » et de vers d’Abou Ala’ al-Maarri.

Nidaa Abou Mrad revivifie « La Divine Comédie » de Dante... sept siècles après sa mort

Nidaa Abou Mrad avec sa vièle à archet. Photo DR

Titanesque fresque mystique médiévale, majestueuse cathédrale littéraire florentine, monumentale épopée allégorique atemporelle, La Divine Comédie du somme poeta italien (poète suprême) n’a pas fini de surprendre. Oscillant entre eschatologie païenne et christianisme, orthodoxie et libre pensée, didactisme et fantaisie, la trilogie de Dante Alighieri (1265-1321), allant de la plongée trépidante dans la demeure fangeuse de l’Hadès à la lumineuse ascension vers l’Empyrée, a osé affronter l’indicible et transgresser les limites du monde connu, s’ouvrant ainsi les portes de l’immortalité. Toutefois, des siècles s’écoulent sans que la poésie du Florentin ne soit mise en musique. Le mythe dantesque reste à l’état d’utopie sonore si l’on fait abstraction de la partition perdue de Vincenzo Galilei qui aurait mis en musique les lamentations du comte Ugolin (chant XXXIII de L’Enfer) pour voix et petit orchestre de violes (1582). Ce n’est qu’à l’aube de l’ère romantique que La Divine Comédie connaît une impressionnante extension musicale et inspire une kyrielle de compositeurs, dont Gioacchino Rossini dans le troisième acte de son opéra Otello (1816) ; Franz Liszt dans sa sonate à un seul mouvement, Après une lecture du Dante : fantasia quasi sonata (1849), et sa Dante-Symphonie (1856) ; Piotr Ilitch Tchaïkovski dans son poème symphonique, intitulé Francesca da Rimini, fantaisie symphonique d’après Dante (1876) ; Giuseppe Verdi dans la troisième pièce de son recueil Quattro pezzi sacri (Quatre pièces sacrées), intitulée Laudes à la Vierge (1888) ; et Sergueï Rachmaninov dans son opéra Francesca da Rimini (1905). Sept siècles après la mort de Dante, c’est le professeur Nidaa Abou Mrad, doyen de la faculté de musique et musicologie de l’Université Antonine, et son Ensemble universitaire de musique médiévale (EMM-UA) qui proposent, en première mondiale, une musicalisation historiquement informée d’extraits de l’œuvre maîtresse de Dante et de vers d’Abou Ala’ al-Maarri (973-1057), l’un des inspirateurs de ce dernier.

L’union mystique du divin et de l’humain

Dans son voyage imaginaire dans l’outre-tombe, Dante Alighieri, l’exemple même de l’homo viator (un éternel itinérant, NDLR), traverse les neuf cercles du royaume de la damnation avant d’accéder à la béatitude de la Jérusalem céleste en passant par le royaume de la pénitence qu’est le purgatoire. C’est dans cette perspective que le professeur Abou Mrad voit en ce périple dantesque l’allégorie d’un Liban agonisant, essoufflé par ses crises, mais rappelle que l’enfer dans La Divine Comédie n’est qu’une étape dans le parcours initiatique qui amène Dante vers le paradis. « Cela n’est pas sans rappeler la Sainte Croix dont nous célébrons la gloire ces jours-ci et sur laquelle le Seigneur a connu la mort en tant que voie vers Sa Résurrection et celle de l’humanité. Jésus-Christ a accompli Sa descente aux enfers pour nous donner Sa vie éternelle », commente-t-il. Ainsi la « musicalisation » d’extraits de La Divine Comédie, que représente Dante e Beatrice : una lauda spirituala italo-levantina du musicologue libanais, suit cette logique et aboutit, selon lui, à cette phrase cruciale qui clôt l’œuvre italienne : « L’amour qui met en mouvement le Soleil et les autres étoiles » (Paradis, XXXIII, v. 145), et donc à « l’union mystique du divin et de l’humain ».

Dante et octoéchos

Dans sa musicalisation, l’EMM-UA adoptera l’organisation en huit modes mélodiques ecclésiastiques de l’octoéchos que les moines de la laure Saint-Saba en Palestine, menés par saint Jean Damascène, ont établie pour la musique liturgique rūm-orthodoxe au VIIIe siècle. Abou Mrad explique que grâce à Charlemagne, ce système a été adopté par le chant grégorien et la musique médiévale européenne, et ce après avoir fortement influencé les musiques liturgiques de langue syriaque et le système modal de la musique de cour des Omeyyades et des Abbassides. Il est ainsi possible de considérer ce système des huit modes comme étant la langue mélodique commune de la Méditerranée médiévale, qui se décline en des dialectes traditionnels musicaux, en raison des différences rythmiques liées aux langues des paroles chantées. « C’est dans cet esprit réunificateur que l’EMM-UA aborde les musiques instrumentales médiévales italiennes du Trecento et abbasside (que j’ai transcrites à partir de leurs manuscrits) et la musicalisation des vers italiens (parfois traduits en arabe) de Dante, que j’ai réalisée en recourant à des paraphrases et des modélisations stylistiques », indique-t-il en soulignant qu’il a délibérément choisi d’interpréter la musique du Trecento italien et ses paraphrases dantesques selon le système des modes ecclésiastiques rūm et syriaque (maronite et orthodoxe/catholique), en adoptant l’intervalle de seconde moyenne.

Dialogue des cultures

Diverses études historiques font de l’œuvre maîtresse d’Abou Ala’ al-Maarri, Rissalat al-ghoufrane (L’Épître du pardon) l’une des sources littéraires principales ayant inspiré La Divine Comédie de Dante. Il est donc important, selon Abou Mrad, dans un hommage rendu depuis le Levant à cette œuvre italienne et universelle majeure, que l’on en souligne l’enracinement levantin : « C’est ce que je propose de faire en musicalisant deux vers de ce sage ascète levantin dans le prologue de notre musicalisation, ces vers n’étant pas pris dans Rissalat al-ghoufrane, mais dans un poème qui évoque cette interrogation, et si quelqu’un revenait du monde des morts, pourrait-il nous raconter qui a été sauvé et qui est resté aux enfers ? »

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« Cet enracinement levantin est également réalisé dans la dernière phase “paradisiaque” de cette laude spirituelle, où les vers de Dante sont pris dans la traduction arabe réalisée par Hassan Othman et musicalisés en recourant au style de la tradition musicale artistique levantine. Quant au choix des extraits de La Divine Comédie, des vers faisant dialoguer Béatrice (incarnée par Rafqa Rizk) avec Virgile (incarné par Christo Almaoui) au Prologue et Béatrice avec Dante (Purgatoire et Paradis) ont été sélectionnés en plus d’un extrait lugubre de L’Enfer où apparaît le monstre Cerbère (rappelant le 4 août).

Instruments d’époque

« Lorsqu’il s’agit de revivifier des musiques du passé ou de créer des musiques nouvelles dans le style de traditions médiévales, il est important de veiller à employer les instruments appropriés, et surtout la manière de jouer propre aux traditions anciennes, comme le font nos confrères européens spécialistes des musiques médiévale et baroque », insiste le musicologue libanais. Ainsi, l’EMM-UA aura recours au luth, qui dérive directement du oud (joué par Christo Almaoui), le psaltérion/cithare, proche du qanoun (joué par Ghassan Sahhab), le kemâncheh persan, qui est une vièle à pique, pour la séquence abbasside, la vièle à archet européenne médiévale, pour les séquences chantées en langue italienne, et le violon baroque, accordé selon la scordatura du violon levantin, pour la dernière partie chantée en arabe, dans le style de la musique d’art levantine (tous les trois joués par Nidaa Abou Mrad). Et de conclure : « Un grand merci au Beirut Art Film Festival et à l’Institut culturel italien de nous avoir permis de rendre cet hommage. »

Rendez-vous donc les 15 et 16 septembre 2021, à 20h, à la résidence Dagher, rue Gouraud, Beyrouth.

Titanesque fresque mystique médiévale, majestueuse cathédrale littéraire florentine, monumentale épopée allégorique atemporelle, La Divine Comédie du somme poeta italien (poète suprême) n’a pas fini de surprendre. Oscillant entre eschatologie païenne et christianisme, orthodoxie et libre pensée, didactisme et fantaisie, la trilogie de Dante Alighieri (1265-1321), allant de la...

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