Au début de la crise économique et financière, vers la fin de l’été 2019, sortir des dollars des banques, au Liban, s’était rapidement transformé en mission impossible. Deux ans plus tard, alors que le Liban est en plein effondrement, les déposants ont désormais un nouveau défi à relever : retirer des livres libanaises en espèces.
Dans une déclaration publiée vendredi, l’Association des banques du Liban (ABL) a imputé à la Banque du Liban (BDL) la responsabilité de la pénurie de liquidités à laquelle sont confrontés les clients, affirmant que les nouvelles politiques bancaires limitant les retraits en livres sont le résultat de l’abaissement par la banque centrale de la limite des retraits en espèces des banques commerciales auprès de la BDL.
En octobre dernier, dans le but de renforcer la valeur de la livre libanaise, la BDL a en effet plafonné les retraits en livres depuis les comptes courants des banques. Une mesure qu’elle a réitérée en juin 2021 en réduisant à nouveau la limite. À leur tour, les banques commerciales ont, au coup par coup, réduit, parfois drastiquement, les montants en livres que les déposants peuvent retirer.
Par exemple, BankMed, l’une des principales banques libanaises, a récemment annoncé qu’elle prélèverait une commission de 12 % sur les salaires versés par les employeurs à la banque par le biais de transferts ou d’autres méthodes non monétaires, mais retirés de la banque par les employés en espèces. Cette commission doit supposément être facturée à l’employeur et non à l’employé.
Une autre banque, la Société générale de banque au Liban (SGBL), a sensiblement baissé les limites de retrait, les réduisant soudainement à zéro pour les comptes de domiciliation de salaires de certains déposants, avant de faire marche arrière, dans une certaine mesure, et de fixer la limite mensuelle pour septembre à un million de livres pour les petits déposants et à 1,5 million de livres pour les comptes plus importants, soit l’équivalent de 54 et 81 dollars au taux du marché parallèle. Celui-ci s’échangeait dernièrement entre 17 000 et 19 000 livres par dollar.
« Les banques ne peuvent pas donner plus que ce que la BDL assure » de son côté, indique l’ABL dans son communiqué, notant que dans la plupart des cas, les entreprises ne déposent pas de liquidités pour payer les retraits de leurs employés. « De ce fait, les banques ont demandé aux entreprises souhaitant dépasser les plafonds en vigueur dans le cadre du paiement des salaires de leurs employés de prendre l’initiative de contribuer en fournissant des espèces. » Un porte-parole de la BDL s’est refusé à tout commentaire.
Selon les règles de la BDL, si une banque commerciale veut obtenir des livres en espèces au-delà de la limite fixée par la banque centrale, elle doit liquider certains de ses instruments financiers porteurs d’intérêts détenus à la banque centrale. Les dépôts des banques commerciales à la BDL constituent une importante source de revenus pour les banques, dont certaines seraient insolvables.
Restreindre la circulation pour contrôler la dépréciation
La banque centrale, pour sa part, semble essayer de contenir l’inflation en réduisant la quantité de livres en circulation. La quantité de livres en circulation en dehors de la BDL a été multipliée par près de sept depuis l’été 2019, lorsque la livre a commencé à dévier du taux officiel d’environ 1 507,5 livres pour un dollar. Le montant total en circulation avait atteint près de 41 000 milliards de livres début septembre. Le montant de la monnaie locale en circulation a augmenté précipitamment en grande partie pour couvrir les retraits des comptes en devises étrangères, majoritairement en dollars, en livres au taux de 3 900 livres le dollar.
« L’objectif de la banque centrale, en restreignant cette circulation, est d’essayer de contrôler la dépréciation », déclare Saeb el-Zein, un ancien directeur général de banque et de fonds internationaux. « Si les clients retirent de l’argent, comme ils n’ont pas confiance dans le système financier, ils l’échangeront contre des dollars », ce qui accentuera la baisse de la valeur de la livre, ajoute-t-il.
Cependant, les nouvelles restrictions sur les retraits en livres mettent autant les employeurs que les employés dans le pétrin. Dans le cas de BankMed, une entreprise qui dépose des espèces à la banque afin que ses employés puissent retirer leurs salaires en espèces n’aurait pas, par exemple, à payer les nouveaux frais, pas plus qu’une entreprise dont les employés dépensent leurs salaires exclusivement par chèque ou par carte de débit. Mais avec les stations-service, les propriétaires de générateurs, les commerçants, les épiciers et les cliniques qui refusent de plus en plus d’accepter les chèques ou les cartes bancaires, couvrir ses dépenses sans retirer la majeure partie de son salaire en espèces est quasiment impossible.
Par ailleurs, de nombreux employeurs, en particulier ceux qui exercent des activités traditionnellement non monétaires, sont eux-mêmes incapables de fournir aux banques suffisamment d’espèces pour sécuriser les salaires de leurs employés. Dans ce cas, ils doivent soit payer les frais, soit en répercuter le coût, d’une manière ou d’une autre, sur l’employé.
L’Union des déposants, une organisation représentant les droits des clients des banques, a récemment envoyé à BankMed un avis disant que les nouveaux frais « équivalent à des crimes de vol, d’abus de confiance, de fraude et de chantage » et a menacé de porter plainte si la banque applique cette politique.
Une cliente de BankMed, qui a souhaité garder l’anonymat, a déclaré à L’Orient Today qu’elle fait partie des personnes informées par la banque fin août qu’elles seront soumises aux nouveaux frais à partir de septembre. Elle dit avoir été informée par la suite que la mise en œuvre avait été repoussée d’un mois, jusqu’en octobre. Les représentants de BankMed n’ont pas pu être joints pour commenter.
Cependant, le PDG de BankMed, Michel Accad, a défendu la politique de la banque dans une série de tweets en disant : « Nous sommes actuellement obligés de générer des billets de banque en livres contre des chèques en livres provenant de sociétés riches en espèces, à un coût de 12 à 14 %. La règle est simple et pas déraisonnable : nous ne facturons les entreprises que de 12 % lorsque nous recevons des transferts à retirer en billets de banque en livres. »
Mais tout comme de nombreuses entreprises libanaises se retrouvent dans l’incapacité de réunir les liquidités nécessaires pour couvrir leur masse salariale et doivent envoyer les salaires à la banque par virement, de nombreux clients des banques libanaises se retrouvent sans autre choix que de retirer des billets de banque, quels que soient les frais qui leur sont facturés.
« Personne n’accepte les cartes bancaires », déclare un client de la SGBL, resté anonyme lui aussi. « De temps en temps, j’ai besoin d’un traitement médical mais les pharmacies n’acceptent pas les paiements par carte. Il en va de même pour les cliniques et les médecins. Pas un n’accepte les cartes… »
(Cet article a été originellement publié en anglais par « L’Orient Today » le 3 septembre 2021)
Tout comme le marché noir des carburants, pas mal de gens, pratiquent le marché noir de la monnaie, achetant à tout vent, des dollars, rien que pour pouvoir les vendre plus haut, ce faisant, provoquant une dévaluation grave de la monnaie nationale. Excusez le terme, nous sommes un peuple sauvage, à qui manquent le sens de la responsabilité, et du nationalisme, et qui trace son sombre destin avec ses propres mains.
15 h 06, le 07 septembre 2021