C’est au moins la deuxième fausse bonne idée de la semaine qui a été imaginée par les députés en termes de politique économique dans un pays dont la monnaie s’effondre en faisant exploser l’inflation au passage, entre autres conséquences que les dirigeants laissent se matérialiser en continuant de retarder le lancement des réformes.
Deux jours après avoir approuvé une proposition de loi débloquant 1 200 milliards de livres libanaises pour les administrations publiques et plusieurs catégories de dépenses publiques « d’urgence » (médicaments, carburants, frais de l’armée et pour l’éducation), la commission parlementaire des Finances et du Budget a pavé la voie hier à une autre mesure potentiellement lourde de conséquences sur le plan monétaire.
Selon son président, le député Ibrahim Kanaan, la commission a en effet demandé hier que le taux de conversion et de retrait en livres des devises bloquées (les dollars bancaires ou lollars) par les restrictions bancaires, mécanisme prévu par la circulaire n° 151 de la Banque du Liban (BDL) depuis un an et demi, soit augmenté, officialisant ainsi les informations circulant à ce propos depuis une bonne semaine déjà. La commission ne s’est pas formellement avancée sur un nouveau taux. Sur son compte Twitter, le député du Courant patriotique libre a ajouté que les parlementaires n’étaient pas les seuls à soutenir cette mesure, en soulignant que le gouvernement sortant représenté à la réunion par son ministre des Finances Ghazi Wazni y était également favorable et que les discussions à ce sujet étaient « sérieuses ».
Entre informations et rumeurs
« Nous n’avons aucune proposition fixe (…) que ce soit 10 000 ou 12 000 livres », a déclaré Ibrahim Kanaan à l’issue de la réunion, soulignant qu’à l’époque où celui de 3 900 livres avait été adopté, il fallait 7 000 livres pour faire un dollar sur le marché parallèle. Le député aouniste a toutefois demandé que les montants de ces retraits soient limités, alors que les banques ont considérablement resserré les plafonds de retrait des particuliers et des entreprises ces derniers mois.
Selon des informations qui nous étaient parvenues au début de la semaine, les banques se seraient en effet entendues pour accepter une proposition de la commission des Finances de relever à 8 000 livres pour un dollar le taux applicable pour la n° 151 à partir du mois prochain, tandis que des rumeurs faisaient état d’un relèvement à 10 000 livres la semaine précédente. La source contactée avait alors précisé que la commission aurait débattu en amont de cette mesure avec le gouverneur de la BDL Riad Salamé, qui l’aurait acceptée à condition que les plafonds en livres ne soient pas relevés. Une demande que le député aouniste semble avoir intégrée, puisqu’il a souhaité que les montants des retraits autorisés restent limités.
Ibrahim Kanaan a annoncé que le sujet sera encore débattu la semaine prochaine pour définir « une nouvelle formule qui n’affectera pas le remboursement des prêts, mais uniquement les retraits mensuels », confirmant de même que la parité officielle ne sera pas remise en cause lors de ces discussions. Il a ajouté que la Banque centrale était notifiée et doit, selon lui, préparer sa « vision pour le futur » face à la crise, tandis que la nouvelle équipe gouvernementale, si elle voit le jour, devra mettre sur pied un plan de relance de l’économie. « La commission des Finances fait tout pour qu’un minimum des droits des gens soit respecté », s’est encore vanté le député.
Contacté, un banquier sous couvert d’anonymat a été particulièrement virulent pour commenter la revendication de la commission, la taxant d’« irréaliste » et de « fatale pour l’inflation », pointant du doigt la création monétaire qui en résulterait. « Hausser le taux de retrait de la circulaire n° 151 est déjà une mauvaise idée en soi, mais le faire sans adapter les plafonds de retraits revient à créer des livres libanaises qui seront bloquées dans les banques et qui au final viendront seulement alourdir le bilan déjà dramatique de la BDL », a-t-il résumé. La masse de livres en circulation a atteint près de 41 000 milliards de livres au 31 août, selon les chiffres de la BDL. Cela représente presque 4 fois le montant en circulation en août 2019, lorsque les premiers signes de la crise ont commencé à se manifester.
L’expert financier Mike Azar a expliqué pour sa part que le fait d’augmenter le taux de change de la circulaire n°151 à 8 000 LL « augmenterait le montant des pertes non réalisées sur le bilan de la BDL », soit la baisse de la valeur de ses actifs. « Que ce soit assorti ou non de limites de retrait n’est pas important : les pertes se matérialiseront soit par une dévaluation de la livre, soit de plus grandes décotes sur les dépôts et les chèques bancaires », a-t-il ajouté.
Rendez-vous ratés
En mal de liquidités, compte tenu des fondamentaux fragiles du système financier libanais, notamment marqué par une trop grande exposition des banques à une dette publique hors de contrôle depuis des années mais très bien rémunérée, le secteur bancaire a commencé dès l’automne 2019 à restreindre l’accès des déposants à leurs fonds en devises. Une initiative adoptée dans le chaos provoqué par la contestation née le 17 octobre de cette même année, mais qui n’a été autorisée ni par la Banque du Liban, à qui le code de la monnaie et du crédit confère certaines prérogatives dans ce sens à court terme, ni par le Parlement, qui pouvait – et même devait – adopter une loi de contrôle des capitaux pour entériner et harmoniser ces mesures.
Ces devises bloquées sont aujourd’hui appelées dans le langage courant « dollars bancaires », « dollars libanais » ou « lollars », trois expressions vulgarisées par les experts économiques et financiers sur les réseaux sociaux. Le taux de retrait autorisé par la circulaire n° 151 du 21 avril 2020 est donc actuellement de 3 900 livres pour un dollar (après un bref passage à moins de 3 000 livres à ses débuts), pour une parité officielle encore maintenue à 1 507,5 livres et un taux sur le marché parallèle qui tournait hier autour de 18 500 livres. Prolongé à deux reprises, le dispositif arrive à échéance fin septembre, mais pourrait être prolongé.
Cette multiplicité des taux – qui avait été annoncée comme le sujet principal de la réunion de la commission hier – a été enrichie en juin par la mise en place de la circulaire n° 158, qui autorise des retrais de dollars bloqués et de leur équivalent en livres au taux de 12 000 livres pour un dollar ; et enfin le taux de change communiqué chaque jour par la BDL via Sayrafa, et qui est en fait une moyenne entre les transactions enregistrées par les agents de change et les banques au taux du marché parallèle et les retraits effectués via la circulaire n° 158 (qui suspendent temporairement la faculté de bénéficier de la n° 151).
Pour répondre à la demande de livres générée par cette dépréciation à plusieurs vitesses, la BDL n’a cessé d’injecter des livres sur le marché depuis le début de la crise, sabotant ainsi ses propres mesures officiellement présentées comme des leviers pour stabiliser le taux dollar/livre et permettre aux déposants libanais lésés par les restrictions de conserver une partie de leur pouvoir d’achat. Certains experts considèrent toutefois que les circulaires n° 151 et n° 158 ont surtout eu pour impact de « liquider » autant de dépôts en devises que possible et donc de réduire les engagements en dollars du secteur bancaire en forçant le commun des déposants à subir une importante décote.
À la lumière de ces éléments, il est donc difficile de considérer que l’appel de la commission des Finances à relever le taux des retraits autorisés via la circulaire n° 151 s’inscrit dans une démarche désintéressée. Un sentiment renforcé par le fait que les députés n’ont toujours pas adopté de loi instaurant un contrôle formel des capitaux, et qu’il a fallu attendre le 7 juin dernier pour qu’une proposition soit enfin finalisée, sans pour autant être transférée au Parlement. Un rendez-vous manqué qui vient alourdir la responsabilité des députés dans l’aggravation de la crise. Pour rappel, Ibrahim Kanaan faisait même partie de ceux qui s’étaient mis du côté des banques en mai 2020 pour contester l’approche du gouvernement visant à restructurer les pertes financières du pays en mettant le secteur bancaire et la Banque du Liban à contribution. Menés par l’Association des banques, les frondeurs avaient même proposé leur propre approche visant à utiliser les biens de l’État pour éponger les pertes.
commentaires (7)
mais pourquoi lire les decisions/explications/analyses/conclusions de chef comptable le cananeen ? je veux dire il a jamis fait ses preuves comme tel ? NON. ALORS ?
Gaby SIOUFI
15 h 06, le 03 septembre 2021