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Société - Reportage

Remplir le réservoir d’essence des voisins : un petit boulot né sur le terreau de la crise

Alors qu’il n’y a pas de solution en vue à la pénurie d’essence, cette nouvelle activité a le vent en poupe.


Remplir le réservoir d’essence des voisins : un petit boulot né sur le terreau de la crise

Des automobilistes faisant la queue pour remplir leurs réservoirs. João Sousa/L’Orient Today

En pleine crise du carburant, Moustapha Wehbé a trouvé un nouveau petit boulot d’appoint. Désormais, après sa journée de travail en tant que livreur de produits alimentaires, cet étudiant de 19 ans enchaîne avec un second boulot. Après un passage chez lui, autour de 20h, il se rend dans une station-service, avec une voiture qui n’est pas la sienne. Il en remplira le réservoir contre rémunération. Parfois, il passe la nuit dans ce véhicule, en attendant l’ouverture de la station. Parfois, il se rend dans une station dont il sait qu’elle reste ouverte tard le soir.

Le jeune Libanais sait que l’attente, dans un pays en butte à une grave pénurie d’essence, peut être longue. Alors il se prépare. Souvent, il emporte avec lui deux sacs de chips et une canette de Pepsi. Il se munit aussi d’un bidon en plastique qu’il remplira d’essence pour sa propre mobylette. C’est ainsi qu’il est paré pour les heures d’attente avant d’arriver à la pompe d’une station, dans le quartier beyrouthin de Hamra.

Les heures d’attente, il les occupe en surfant sur son téléphone portable ou en bavardant avec ses nouveaux amis qui travaillent à la station. Comme beaucoup d’autres habitués des files aux stations de carburant, Moustapha Wehbé s’est lié d’amitié avec des employés de la station. Amitié précieuse, car ces employés l’aident, parfois, à couper la file ou encore l’informent du meilleur moment pour venir à la pompe.

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« À deux reprises, après avoir fini de manger et tandis que la batterie de mon téléphone s’était totalement vidée, je me suis endormi. C’est un employé de la station qui m’a réveillé », dit le jeune homme. L’attente et l’ennui ne l’embêtent pas, assure-t-il. Ce petit boulot, finalement, lui permet de payer ses frais de scolarité et d’économiser une partie des revenus qu’il engrange avec son travail de jour. À chaque passage à la station-service avec la voiture d’un autre, Moustapha Wehbé en profite pour remplir un bidon d’essence pour la mobylette qu’il utilise pour son travail de livraison, la journée. « De toutes les manières, il faudrait que j’attende à la station pour remplir ma mobylette. Alors autant attendre avec la voiture d’un autre et être payé pour », explique-t-il. « Finalement, ce petit bulot supplémentaire me sauve financièrement parlant, pour peu d’effort en plus », ajoute-t-il.

La rémunération demandée pour attendre aux stations est de 60 000 LL. Un prix qui varie en fonction du caractère urgent de la demande du client et de la longueur des files d’attente, précise-t-il.

Moustapha Wehbé est l’un des maillons de la nouvelle économie informelle qui émerge sur le terreau de la crise actuelle de l’essence, laquelle se traduit, depuis des mois, par « des files d’attente humiliantes » devant les stations-service du pays.

Il y a quelques semaines, le gouvernement sortant avait avalisé une nouvelle étape dans le processus de levée des subventions sur les carburants, en acceptant le financement des importations de carburants à un taux de 8 000 LL/USD, contre un taux de 3 900 LL/USD avant.

Cette décision n’a toutefois pas mis fin aux problèmes d’approvisionnement, ni aux heures d’attente émaillées de rixes de plus en plus fréquentes.

Tandis que la fin des subventions se profile, le gouvernement a laissé passer l’occasion de mettre en place un système plus fonctionnel, estime Danielle Hatem, conseillère financière spécialisée dans les finances publiques, interrogée par L’Orient Today. « Aujourd’hui, au lieu d’utiliser une plateforme pour attribuer des coupons ou une allocation mensuelle d’essence aux personnes qui vont travailler et aux chauffeurs de taxi, le gouvernement gaspille plus d’argent », dit-elle, notant que la façon dont le système de subventions est défini au Liban profite surtout aux riches, qui consomment plus que les pauvres.

La fin des subventions générales est une nécessité financière qui aiderait à éradiquer le marché noir qui contribue aux pénuries d’approvisionnement, estime Danielle Hatem. Mais, ajoute-t-elle, « nous devons avoir en parallèle un plan approprié pour soutenir les plus vulnérables, y compris via des coupons ou une carte d’approvisionnement ». En l’absence de telles solutions, poursuit-elle, le système dysfonctionnel actuel « pousse les gens à trouver d’autres solutions », comme l’activité qui s’est développée autour des files d’attente des stations-service.

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Pour tenter d’éviter l’enfer des files d’attente, certains propriétaires de voitures commencent à charger leurs concierges d’immeubles de faire le plein pour eux ; d’autres se tournent vers les services de personnes comme Moustapha Wehbé qui en font un gagne-pain.

« L’année dernière, j’ai perdu mon emploi de serveur, et maintenant je n’ai rien à faire toute la journée. Alors je me suis lancé dans cette activité (remplir les réservoirs des autres, NDLR). Désormais, je propose ce service à des personnes qui me connaissent, y compris mes voisins et mes ex-collègues, explique Sami Lakkis à L’Orient Today.

Un gain pour les propriétaires de voitures

Les propriétaires de voitures confirment, quant à eux, que l’argent qu’ils déboursent vaut largement l’avantage que représente le fait d’éviter les longues attentes, insupportables et chronophages. Tarek, l’un des clients de Moustapha Wehbé, déclare que le service lui fait gagner un temps précieux et lui permet d’éviter d’avoir recours au marché noir, où l’essence est beaucoup plus chère et potentiellement de piètre qualité. « Lorsque Moustapha, un voisin de longue date, a dit qu’il offrait ce service, j’ai immédiatement saisi l’occasion », poursuit-il. « Même si en fin de compte, je finis par payer le même montant que pour un réservoir plein au marché noir, j’évite l’angoisse de mettre dans mon réservoir un carburant peu sûr », ajoute-t-il. Karma, mère de deux enfants qui a chargé son concierge de faire le plein de sa voiture, indique à L’Orient Today qu’elle a opté pour la même la solution par crainte qu’à tout moment des affrontements et des coups de feu n’éclatent à la station-service. « Je préfère éviter cette situation à tout prix », dit-elle.

Zainab, l’une des clientes de Sami Lakkis, confie pour sa part que les « files d’attente de carburant sont épuisantes pour (elle), mentalement, physiquement et émotionnellement ». Bien que le prix du carburant ait sensiblement augmenté depuis la levée partielle des subventions et devrait encore augmenter fin septembre, date à laquelle l’arrangement actuel arrivera à expiration, elle affirme être prête à continuer à payer un supplément pour éviter les longues files d’attente. « Bien que les prix augmentent progressivement, ma patience a diminué autant que ma productivité et, pour être honnête, tant que je pourrai me permettre ce service, je continuerai d’y recourir », assure-t-elle.

(Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de L’Orient Today le 31 août 2021)

En pleine crise du carburant, Moustapha Wehbé a trouvé un nouveau petit boulot d’appoint. Désormais, après sa journée de travail en tant que livreur de produits alimentaires, cet étudiant de 19 ans enchaîne avec un second boulot. Après un passage chez lui, autour de 20h, il se rend dans une station-service, avec une voiture qui n’est pas la sienne. Il en remplira le réservoir contre...

commentaires (4)

A la lecture de ce reportage et ce n’est point le premier exemple des Misères que nous vivons, et… Si j’etais a la place de l’un de ces politiciens polichinelles du Parlement ou de ce qui en reste… j’aurais eu honte de moi meme et honte pour mes concitoyens et honte pour mon pays… Seulement voila… le mepris affiche des dirigeants envers leurs concitoyens electeurs est legitime… Ils ont bien paye pour être élus… et Rebelotte pour les prochaines legislatives !

Cadige William

09 h 01, le 03 septembre 2021

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Commentaires (4)

  • A la lecture de ce reportage et ce n’est point le premier exemple des Misères que nous vivons, et… Si j’etais a la place de l’un de ces politiciens polichinelles du Parlement ou de ce qui en reste… j’aurais eu honte de moi meme et honte pour mes concitoyens et honte pour mon pays… Seulement voila… le mepris affiche des dirigeants envers leurs concitoyens electeurs est legitime… Ils ont bien paye pour être élus… et Rebelotte pour les prochaines legislatives !

    Cadige William

    09 h 01, le 03 septembre 2021

  • Si cela permet permet au jeune de payer ses frais de scolarité et d’économiser, le fait d'attendre des heures interminables n'est pas condamnable en soi, en revanche le propriétaire du véhicule, le plus souvent ventripotent et imbu de sa personne ne daignant pas faire la queue dans son véhicule portant une plaque à 3 chiffres est ,de par son comportement ,méprisable... Et avec cela l'on assiste à un nouveau passe droit moyennant un " bakchich" on peut carrément couper une file d'attente, sans que personne ne trouve quelque chose à redire...

    C…

    15 h 13, le 02 septembre 2021

  • qu'en dirait l'un ou l'autre de ces Kellon lorsqu'on lui exposerait cette misere pensez vous ? :

    Gaby SIOUFI

    10 h 50, le 02 septembre 2021

  • F...K the head up to the bottom of the rulers,here,in lebanon... what did they do with our Lebanese People... and they sucked our billions$$$ with castles meanwhile.

    Marie Claude

    09 h 51, le 02 septembre 2021

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