Critiques littéraires Biographies

Henry de Castries, l'érudit ami du Maroc

Henry de Castries, l'érudit ami du Maroc

D.R.

Henry de Castries (1850-1927), Du faubourg Saint-Germain au Maroc, un aristocrate islamophile en République de Daniel Rivet, IISM/Karthala, 2021, 240 p.

Les personnages de premier plan sur la scène historique sont relativement bien connus et font l’objet de nombreuses biographies. C’est moins le cas de ceux du second ou du troisième rang. On a bien sûr quelques idées sur eux, mais elles sont souvent incertaines. L’historien a souvent envie de les étudier spécifiquement, mais généralement n’en a pas le temps. Daniel Rivet, ce grand maître de l’histoire coloniale du Maroc, s’est offert ce plaisir en s’intéressant à Henry de Castries. Il est vrai qu’il a pu disposer de fonds assez important d’archives, bien qu’elles soient parcellaires et qu’il se sert dans son travail de toute la panoplie des sciences sociales.

Castries appartient à la haute aristocratie, celle du faubourg Saint-Germain décrite par Proust. Par sa naissance, il se doit de servir Dieu et la France. Par héritage et surtout par mariage, il dispose d’une belle fortune essentiellement foncière, mais dont les revenus déclinent progressivement.

Engagé à 20 ans dans l’armée de 1870, il fait une belle guerre qu’il termine comme sous-lieutenant. Il entre ensuite l’école militaire de Saint-Cyr. En 1874, il est affecté à l’armée d’Afrique et surtout à partir de 1876, aux bureaux arabes aux confins algéro-marocains. Il apprend l’arabe et mène une politique aventureuse au milieu des Bédouins, vie qu’il apprécie énormément. Il est un moment à la fois officier dans le Sud-Oranais et conseiller général monarchiste dans le Maine-et-Loire. La position est intenable et il doit passer dans la réserve en 1890. Il commande au feu un régiment de 1914 à 1917 en chef très soucieux du bien-être de ses soldats. Trop indépendant, il est rappelé à la vie civile en 1917 sous prétexte d’avoir dépassé la limite d’âge.

Grand notable, il est conseiller général jusqu’en 1914. Il se dévoue aux diverses affaires locales. Il a le souci des plus vulnérables. Il se rallie à la République sous la forme d’un catholicisme social paternaliste, ce qui lui vaut le désaveu des royalistes.

L’auteur essaie de sonder le moi profond de son personnage à travers sa vie familiale. Ce grand ami de Charles de Foucauld a sa foi catholique ébranlée. Il est évident que sa rencontre avec l’islam en tant que fait religieux total l’a bouleversé. Il devient un chrétien abrahamique sans que cela s’imprime dans son paraître catholique.

Après son retour en France, il s’intéresse à la poésie bédouine qu’il collecte grâce à un réseau d’informateurs indigènes. Il entreprend de traduire un certain nombre de poèmes. Il lit les orientalistes de son temps. En 1896, il publie L’Islam, impressions et études, œuvre de longue haleine où il confronte les savoirs acquis, les hypothèses émises et les théories en vogue. Il sera traduit en arabe au Caire en 1901. Castries combat un grand nombre d’idées reçues et montre une grande empathie envers son sujet.

C’est aussi un partisan de la colonisation, mais ses expériences successives de différentes natures en Nouvelle Calédonie, au Congo et au Maroc ne donnent que des résultats médiocres. De façon générale, ses tentatives de devenir un homme d’affaires ne lui permettront pas de trouver des revenus supplémentaires.

Sur le tard, il se lance dans sa grande œuvre, Les Sources inédites de l’histoire du Maroc en relation étroite avec le protectorat très aristocratique de Lyautey qui créera pour lui une section historique à la direction des affaires indigènes en 1919. Quinze volumes paraîtront de son vivant. Il dispose d’un réseau de collaborateurs marocains et algériens qui sont aussi ses amis. Encore aujourd’hui c’est un instrument de travail irremplaçable pour celui qui s’attelle à l’étude de l’Empire chérifien du milieu du XVIe à la fin du XVIIIe siècle. Les historiens marocains lui rendent régulièrement crédit. Publiée à Rabat, Hespéris – aujourd’hui Hespéris Tamuda –, la revue qu’il a contribué à créer, vient de célébrer son centenaire et est maintenant trilingue arabe, français et anglais.

En conclusion, Daniel Rivet s’interroge sur le sens de l’expression « réussir sa vie ». Dans aucun de ses domaines, Castries n’a été premier, mais il a été grand là où on ne l’attendait pas. Ce livre est un modèle de biographie scientifique, son auteur montrant à chaque page sa grande empathie pour ce personnage finalement si solitaire. Il prouve que, grâce à l’érudition, on peut aller très loin dans la connaissance de l’autre, que ce soit du colonisateur, du colonisé ou du monde colonial. C’est un rappel des plus utiles dans un moment où bien des gens « pensent » par clichés.


Henry de Castries (1850-1927), Du faubourg Saint-Germain au Maroc, un aristocrate islamophile en République de Daniel Rivet, IISM/Karthala, 2021, 240 p.Les personnages de premier plan sur la scène historique sont relativement bien connus et font l’objet de nombreuses biographies. C’est moins le cas de ceux du second ou du troisième rang. On a bien sûr quelques idées sur eux, mais elles...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut