L’ancien président de l’ordre des pharmaciens, Rabih Hassouna, a été placé en détention samedi soir après une perquisition effectuée par l’armée libanaise dans son entrepôt de médicaments à Aïn el-Mreïssé. Il est accusé d’avoir stocké illégalement des médicaments dont des traitements anticancer, selon les déclarations officielles, et qui de surcroît se sont avérés périmés, dans un contexte d’effondrement généralisé et de pénurie sans précédent depuis bientôt deux ans. Pénurie de médicaments, de denrées alimentaires, de carburants subventionnés par les autorités. M. Hassouna, qui est le patron de la petite entreprise Macromed d’import de produits pharmaceutiques, est accusé d’avoir « stocké et caché les médicaments dans un entrepôt », confirme à L’Orient-Le Jour le procureur financier Ali Ibrahim, compétent dans l’affaire. « Un entrepôt qui stocke les médicaments de la pharmacie Aïn el-Mreïssé, à quelques mètres de l’officine, laquelle appartient à son épouse, précise le procureur. Sauf que cette dernière se défend de toute responsabilité, compte tenu que sa pharmacie est gérée par une pharmacienne depuis 2006. »
Un dossier politisé ?
Cette arrestation fait suite à une série de descentes effectuées par le ministre de la Santé, Hamad Hassan, dans nombre d’entrepôts pharmaceutiques dont certains illégaux. Descentes surmédiatisées, avec pour objectif de montrer à la population des preuves du stockage illégal de médicaments introuvables sur le marché local. Descentes dont, toutefois, l’efficacité doit encore être démontrée, alors que « le flou entoure la stratégie étatique sur la prise en charge des traitements du cancer », comme l’observe le Dr Roula Farah Sayyad, oncologue pédiatrique, présidente de l’Association humanitaire Chance (Children Against Cancer).
Comme il se doit, les réseaux sociaux se sont emparés de l’affaire, au point de qualifier de « tueur » l’ancien président de l’ordre des pharmaciens. Parallèlement, la question prend une tournure partisane, car Rabih Hassouna est proche du courant du Futur, dirigé par l’ancien Premier ministre sunnite Saad Hariri. Il avait d’ailleurs été candidat, malheureux, aux législatives de 2018 sur une liste du courant du Futur. Le ministre de la Santé, de confession chiite, est lui proche du Hezbollah, adversaire politique du Futur. Mais pour le procureur Ibrahim, « l’arrestation de Rabih Hassouna est justifiée et s’accompagne de plusieurs arrestations et mesures légales dans différentes régions du pays, notamment à Nabatiyé et à Jadra ». Quant au suivi de la perquisition à Fayadieh d’un entrepôt appartenant à Élie Chaoul, qui serait un cadre du Courant patriotique libre (fondé par le président Michel Aoun), « l’interrogatoire a été reporté à ce lundi, sur demande de l’avocat qui est souffrant ». « Entre-temps, le suspect est interdit de voyage », assure Ali Ibrahim, comme pour calmer les esprits surchauffés dénonçant la corruption des partis au pouvoir et apaiser les joutes verbales entre les formations politiques adverses. Dans l’attente des conclusions des enquêtes, une certitude officielle. « Il n’y a aucun doute sur le fait que ces personnes ont toutes stocké des médicaments de manière illégale et gaspillé l’argent public, car il s’agit de marchandises subventionnées », souligne le procureur. Dans les milieux pharmaceutiques, on prend ces informations avec prudence, car on ne dispose pas de toutes les données. « Dans quel contexte ces médicaments anticancer ont-ils été stockés et sont-ils devenus périmés? demande un professionnel qui réclame l’anonymat. Ne pourrait-il pas s’agir d’invendus, sachant que l’acide zolédronique est une molécule ancienne peu recherchée dans le traitement anticancer, utilisée surtout contre l’ostéoporose ? » Sans oublier que « 148 injections périmées en stock ne représentent pas une quantité » qui justifierait un éventuel trafic ou un enrichissement illicite. « L’accusation est faible », soutient ce professionnel. Il rappelle, en revanche, que toutes les pharmacies du pays se constituent un stock de médicaments, par peur de ne plus avoir la possibilité de renouveler leurs marchandises, lorsque sera levée la subvention sur les médicaments. Car le budget mensuel des subventions étatiques diminue comme peau de chagrin. « Le budget de la banque centrale pour subventionner les médicaments est loin d’être suffisant. Il ne dépasse pas 40 millions de dollars par mois, alors qu’il était de 100 millions de dollars avant la crise », affirme-t-il.
La souffrance des malades, oubliés de l’État
Même prudence de la part de l’oncologue pédiatrique Roula Farah Sayad, qui dénonce par contre sans hésiter la déroute de « l’ensemble du système de soins ». Une déroute qui place les patients et les médecins dans une situation de « souffrance absolue », car ce sont « eux qui ont, à présent, la responsabilité de trouver et d’acheter le traitement médical », qu’il soit administré en milieu hospitalier ou non. « Avant la crise, c’était le gouvernement qui prenait les médicaments du cancer à sa charge. Mais plus aujourd’hui », déplore-t-elle, interpellant le ministère sur ce point. D’où la nécessité de se tourner vers l’étranger pour importer directement les traitements, en devises fraîches. Cerise sur le gâteau, alors que disparaissent du marché les traitements reconnus internationalement, de nouveaux médicaments fabriqués en Iran ou en Russie sont proposés. « Sauf qu’aucune étude ne permet de vérifier leur fiabilité », martèle le docteur Sayad. Une situation qui a poussé des malades du cancer à manifester, il y a quelques jours, pour exhorter l’État à prendre ses responsabilités.
C’est dans ce contexte que l’entreprise Macromed a publié, hier soir, un communiqué exposant sa version de l’affaire, indiquant avoir effectivement importé en janvier 2020 1110 injections d’acide zolédronique, un médicament principalement utilisé contre l’ostéoporose. « Après avoir distribué ces médicaments à plusieurs hôpitaux, il nous en est resté 148 injections dont nul ne voulait », peut-on encore lire dans le communiqué, observant que leur validité arrivait en outre à échéance en juillet 2021. C’est alors que ces médicaments ont été placés dans une zone de quarantaine destinée aux produits périmés, dans l’attente d’être détruits en coordination avec le ministère de la Santé et les ministères concernés. « Lorsque les services sécuritaires ont perquisitionné l’entrepôt, ils n’ont trouvé aucun stock de médicaments anticancer, affirme le communiqué. La campagne menée contre l’entreprise n’est donc pas basée sur des faits exacts. »
commentaires (8)
Très bon article, très bien écrit et expliqué. Merci à Madame Anne-Marie El-Hage . S’il y avait un état qui contrôlait régulièrement les pharmaciens, et les importateurs agréer des médicaments, comme dans tout pays qui se respecte, il n’y aurait pas eu de tentatives de fraude. Là on sent le coup fourré du Hezb, contre des cibles bien calculées. Ils s’en prennent à des lampistes, et laissent les gros prédateurs tranquillou. 148 médicaments périmés, Oh la bonne affaire ! quant au pharmacien proche du CPL est laissé en Liberté, et son interrogatoire a été reportée, parce que son avocat est souffrant. Ce n’est même pas risible tant la médiocrité de l’excuse avancée et nulle. Tout cela pour détourner l’attention du citoyen des vrais problèmes dû, à la mauvaise gestion de la santé, par les différents ministres qui se sont succédé, dont un, n’a même pas été inquiété quand son frère a soi-disant imité sa signature pour importer et vendre des médicaments frelatés, le Ministre proche du Hezb et son frère toujours intouchable sont en liberté. Quand un parti scélérat mène la danse, et dirige les enquêtes selon ses magouilles, l’Etat n’a plus son mot à dire comme c’est le cas depuis quelques décennies. H.N. doit se gausser dans son sous-sol en voyant que SON juge a épinglé un proche de Hariri. C’est tout simplement un règlement de compte, pour démontrer qui est le Patron dans ce Pays.
Le Point du Jour.
20 h 16, le 30 août 2021