Rechercher
Rechercher

Idées - Point de vue

Stabiliser d’urgence l’économie libanaise

Stabiliser d’urgence l’économie libanaise

Un établissement informe ses clients de la baisse de ses heures d’ouverture du fait des interminables coupures de courant à Beyrouth. Anwar Amro/AFP

La crise économique du Liban a presque deux ans et le pays est entré dans un territoire dangereux. Si un plan de réforme économique ambitieux reste le meilleur moyen d’en sortir, le réalisme doit être de mise : sa mise en œuvre est désormais hautement improbable avant les élections prévues en 2022. Malgré un effondrement économique et institutionnel sans précédent, les dirigeants du pays ont en effet bloqué toute réforme sérieuse qui aurait pu menacer leurs intérêts dans le système et, en fin de compte, leur pouvoir. Les forces de changement qui ont fait leur apparition avec le soulèvement d’octobre 2019 n’ont pas encore produit de leaders crédibles ni articulé un programme qui trouve un écho, tandis que les développements régionaux dont le Liban est l’otage ne sont pas non plus propices à des transformations décisives de sitôt.

Si les conséquences dramatiques d’une crise commune à d’autres marchés émergents (avec notamment une dette publique insoutenable, un secteur bancaire insolvable et un grave déficit de la balance des paiements) étaient attendues, ce sont des blessures auto-infligées qui ont considérablement exacerbé le crash. L’échec de l’adoption du plan de redressement financier du gouvernement Diab, en avril 2020, a fortement ébranlé la confiance ; la mauvaise gestion du régime de subvention a créé des pénuries de produits énergétiques avec des conséquences en cascade sur la fourniture de services de base (eau, électricité, internet, etc.) ; les retards pris dans la restructuration du secteur bancaire ont amplifié la destruction des richesses. Le retard inexcusable dans l’imposition de contrôle des capitaux a entraîné des sorties massives au détriment de l’économie locale ; et la politique monétaire irresponsable de la Banque du Liban (BDL) a aggravé l’inflation et contribué à l’effondrement de la livre libanaise. Au-delà des résultats macroéconomiques catastrophiques, cette négligence malveillante a créé des cicatrices probablement durables. L’émigration accélérée des jeunes et des personnes qualifiées, les principaux atouts productifs du Liban, en est le principal exemple. La désintégration de secteurs entiers qui avaient contribué à définir le pays, notamment l’éducation et la santé, s’avérera également durable. Et plus insidieusement, les Libanais assistent à une montée alarmante des tensions politico-confessionnelles.En attendant le nécessaire plan de réforme global, il est donc impératif de mettre en place un programme de stabilisation économique d’urgence (PSE) qui cherche à arrêter immédiatement l’effondrement à travers quelques des objectifs de base – certains diraient rudimentaires : enrayer la spirale de dépression économique ; injecter des capitaux ; réduire les pénuries de produits de base, rétablir les services publics essentiels ; stabiliser la monnaie et contrôler l’inflation, etc. Pour réussir, le PSE doit être politiquement réalisable, suffisamment simple pour être mis en œuvre rapidement – sur cent jours par exemple –, et doit donner des résultats immédiats.

Transferts en espèces

Dans un monde idéal, il serait mis en œuvre par un gouvernement indépendant disposant de pouvoirs législatifs d’urgence. Cependant, cela étant actuellement peu probable, il devrait constituer une feuille de route économique pour le cabinet aux fonctions plus traditionnelles qui est actuellement en cours de négociation (dont l’issue reste, au demeurant, incertaine). Un PSE ne résoudrait pas les problèmes économiques et institutionnels structurels du Liban. Il ne permettrait pas non plus d’assurer la viabilité de la dette, de restructurer le secteur bancaire, de remanier le régime fiscal ou de combler le trou dans le bilan de la BDL. Plus important encore, il ne permettrait pas d’engager les réformes réglementaires, sectorielles et de gouvernance dont le pays a désespérément besoin. Quant au fait qu’il pourrait servir ultérieurement de tremplin à ces réformes cruciales, cela dépendra sans doute d’autres facteurs, comme les élections et l’évolution de la situation régionale.

L'édito de Issa GORAIEB

L’envers du miroir

Le point de départ du PSE devrait être la fin quasi complète du système chaotique, régressif et insoutenable des subventions. À l’exception de certains articles, comme le pain et les médicaments, les prix intérieurs devraient refléter le coût réel de l’importation. Compte tenu du choc inflationniste de cette mesure sur un pouvoir d’achat déjà considérablement ébranlé, il est néanmoins essentiel que cette mesure soit immédiatement suivie d’un système de transferts en espèces – devenus un standard dans de nombreux pays émergents –, pour aider les plus vulnérables, à hauteur d’environ 1 à 1,5 milliard de dollars. Ce programme de transferts peut être mis en place en trois mois seulement. S’il est bien ciblé, il couvrira la majeure partie du panier de consommation de ceux qui ont légitimement besoin d’aide. Dans la mesure où il y aura des tentatives pour le détourner, notamment à des fins électorales, la Banque mondiale (BM) devra jouer un rôle-clé dans sa mise en œuvre et le suivi des transactions. Un programme de transferts de cette ampleur est abordable sans recourir aux réserves : le Liban peut accéder à 546 millions de dollars de prêts de la BM – 246 millions déjà approuvés par le Parlement pour un filet de sécurité sociale d’urgence (ESSN en anglais) et une réaffectation d’autres prêts approuvés. Mais pour accéder à ces fonds, le gouvernement doit d’abord mettre en œuvre l’ESSN, qui se morfond dans un labyrinthe bureaucratique surréaliste. Sont également disponibles les 370 millions de dollars d’aide humanitaire engagés lors de la conférence internationale des donateurs du 4 août courant. Enfin, un cabinet crédible mettant en œuvre le PSE devrait raisonnablement être en mesure de lever 300 à 500 millions de dollars supplémentaires en subventions humanitaires auprès d’agences gouvernementales et non gouvernementales des pays du Conseil de coopération du Golfe et d’Europe.

En outre, le FMI va exceptionnellement accorder au Liban une allocation inconditionnelle de droits de tirage spéciaux (DTS) d’environ 860 millions de dollars, qui devraient être immédiatement investis dans l’économie. Si on pourrait raisonnablement faire valoir que ces fonds devraient être prioritairement dirigés vers les secteurs productifs, l’expérience internationale récente, notamment lors de la pandémie de coronavirus, a toutefois montré que les subventions qui soutiennent directement la consommation peuvent également être puissantes, surtout dans un contexte national où le ressentiment social a atteint un pic dangereux.

Relancer les services publics

La relance des services publics devrait être un autre objectif prioritaire du PSE. Selon mes calculs, les dépenses publiques hors intérêts, une fois corrigées de l’inflation, ont chuté de 60 %, à 2,5 milliards de dollars, entre 2019 et 2020. Bien que les données ne soient pas encore disponibles pour 2021, tout porte à croire que le déclin sera encore plus marqué. La détérioration colossale des dépenses publiques corrigées de l’inflation est le reflet de l’érosion du pouvoir d’achat des salaires des fonctionnaires et de la quasi-disparition des services publics de base, qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, de l’entretien des infrastructures ou des services publics, voire de la sécurité nationale. Pour les ressusciter sans délai, le PSE doit allouer un minimum de 3 milliards de dollars (en plus du programme de transferts d’espèces) au financement d’une augmentation des salaires des fonctionnaires, à la sécurité sociale, et à la réactivation des services d’éducation et de santé de base.

Lire aussi

Black-out sur le Liban : le coup de grâce pour les entreprises et les commerces

Pour financer ces dépenses, le PSE doit s’efforcer d’augmenter les recettes publiques, qui se sont également fortement contractées – de l’équivalent de 9,5 milliards de dollars en 2019 à seulement 2,3 milliards en 2020. Si, dans l’environnement économique et politique actuel, il est extrêmement difficile d’augmenter les taux d’imposition sur le revenu des particuliers ou de relever la TVA, il existe d’autres moyens relativement plus faciles de générer des recettes. La réévaluation des droits de douane et des impôts fonciers pour refléter les prix réels permettrait de générer un volume important de recettes, tout comme un ajustement similaire des prix des services publics. Ces nouvelles sources de revenus ne suffisant certainement pas à payer les dépenses supplémentaires, une nouvelle conférence internationale sur le Liban devrait par ailleurs être tenue pour combler l’écart entre les dépenses nécessaires et les revenus disponibles.

Un objectif-clé du PSE doit également être de stabiliser le taux de change et de contrôler l’inflation. La bonne nouvelle est que si le gouvernement mobilise et dépense effectivement toute l’aide étrangère évoquée ici, l’offre de dollars qui en résulterait contribuera à stabiliser la livre et pourra conduire à une appréciation modérée de la monnaie. Toutefois, cela ne suffira pas à rétablir la stabilité monétaire. Trois autres mesures cruciales doivent donc être entreprises à cet égard. Premièrement, il est grand temps de faire un effort sérieux pour mettre en place des mesures visant à contrôler les sorties de capitaux. Deuxièmement, le PSE pourrait mettre en place un système qui centraliserait les entrées de fonds extérieurs (notamment les remises des émigrés et l’aide humanitaire) et établirait des priorités quant à leur utilisation, comme cela par exemple été fait en Argentine, au Chili ou en Corée du Sud. Enfin, et c’est peut-être le plus important, l’augmentation explosive de la masse monétaire depuis le début de 2020 doit être radicalement maîtrisée.

Négociations internationales

Un dernier point concerne la manière dont le PSE affectera l’engagement du Liban auprès des donateurs étrangers et des institutions multilatérales. La conclusion d’un accord global avec la BM et le déblocage des fonds engagés lors de la récente conférence des donateurs devraient être une priorité immédiate – en sus de la tenue d’une autre conférence sur le Liban dans trois mois, à l’occasion de laquelle les résultats obtenus dans le cadre du PSE pourraient être mis en avant pour lever des fonds à des fins budgétaires générales.

Les négociations avec le FMI sont une affaire bien plus compliquée, et il faut être lucide quant à leurs chances de succès. Si les discussions techniques doivent commencer immédiatement, le PSE ne doit pas être l’otage d’un accord entre le Liban et le FMI. Les négociations seront difficiles et le FMI demandera des mesures qui dépassent largement le cadre du PSE (voir notre tribune publiée dans ces colonnes le 16 mai 2020) et dont nombre d’entre elles seront probablement impossibles avant les élections de l’an prochain. Dans l’idéal, une fois que le PSE aura été mis en œuvre avec succès et que les responsables politiques chargés de sa mise en œuvre auront gagné en crédibilité, le gouvernement pourra éventuellement obtenir un accord plus modeste avec le FMI sur la base des promesses de réformes postélectorales. Mais mieux vaut ne pas tabler là-dessus.

Lire aussi

La reconstruction du port de Beyrouth : un chantier crucial laissé à l’abandon

Un PSE aura des effets positifs immédiats et mesurables. Le programme de transfert d’argent, qui équivaut à 3 à 5 % du PIB du Liban, représentera un coup de fouet économique massif. Le retour des services publics de base, même s’ils sont payés par une augmentation des impôts, contribuera aussi grandement à la reprise économique. L’introduction de prix reflétant davantage les coûts permettra de réduire les pénuries de produits de base, ainsi que la contrebande et la thésaurisation. Les liquidités en dollars augmenteront dans le système et les banques pourront libérer des montants limités de dépôts. La BDL ne subira plus d’hémorragie de réserves et la livre pourrait également se redresser modestement. Si l’inflation augmente dans un premier temps, elle devra fortement diminuer en quelques mois, à mesure que la politique monétaire se resserre et que le taux de change se stabilise. Certes, le moment de mettre en place un programme de plus grande envergure viendra, mais, en attendant, la priorité actuelle est de maintenir le pays à flot suffisamment longtemps pour qu’il puisse atteindre ce stade.

Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center.

Chef de l’unité « investissements souverains et marchés émergents » du gestionnaire d’actifs BlackRock et ancien économiste au FMI.

La crise économique du Liban a presque deux ans et le pays est entré dans un territoire dangereux. Si un plan de réforme économique ambitieux reste le meilleur moyen d’en sortir, le réalisme doit être de mise : sa mise en œuvre est désormais hautement improbable avant les élections prévues en 2022. Malgré un effondrement économique et institutionnel sans précédent, les...

commentaires (7)

J’adore tous ces experts qui viennent étaler leur science nous expliquant ce qui s’est passé et ce qu’il faut faire dans des articles qu’un élève de brevet saurait écrire. Mais où étaient donc toutes ces lumières avant que le crise n’éclate? Pourquoi n’a t on jamais lu un seul article nous prévenant que notre épargne allait être séquestrée et que la monnaie nationale allait s’effondrer et ce n’est pas fini! Mais même lorsque les restrictions bancaires ont commencé, aucun de ces experts n’a écrit que très bientôt les banques allaient fermer les guichets. Il vaut mieux pour ces experts d’aller vendre des crêpes plutôt que de nous casser les oreilles

Lecteur excédé par la censure

16 h 33, le 28 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • J’adore tous ces experts qui viennent étaler leur science nous expliquant ce qui s’est passé et ce qu’il faut faire dans des articles qu’un élève de brevet saurait écrire. Mais où étaient donc toutes ces lumières avant que le crise n’éclate? Pourquoi n’a t on jamais lu un seul article nous prévenant que notre épargne allait être séquestrée et que la monnaie nationale allait s’effondrer et ce n’est pas fini! Mais même lorsque les restrictions bancaires ont commencé, aucun de ces experts n’a écrit que très bientôt les banques allaient fermer les guichets. Il vaut mieux pour ces experts d’aller vendre des crêpes plutôt que de nous casser les oreilles

    Lecteur excédé par la censure

    16 h 33, le 28 août 2021

  • Pourquoi vous ne faites pas d’articles sur le Iceberg qui a causé le naufrage ??

    Wow

    13 h 55, le 28 août 2021

  • Tout cela est TRÈS jolie : ET LA CONTREBANDE VERS LA SYRIE ON OUBLIE ? ZAHLE CAPITALE DU STOCKAGE ILLÉGALE DES CARBURANTS ET MÉDICAMENTS : C’EST CHUT.. LA TRANSPARENCE SUR LE NOM DU PÈRE , MÈRE , SOEUR ,FRÈRE DES TRAFIQUANTS/ENTREPOSEURS A TRAVERS TOUT LE TERRITOIRE C’EST DOUBLEMENT CHUT , CHUT . ALLONS SOCIÉTÉ CIVILE A VOUS : NOV. 2019 A CE JOUR VOUS NE VALEZ PAS PLUS QUE 5 CENTS … COMME NOUS SOMMES DANS LA MERDE C’EST DEVENU UNE RAISON POUR LA REMUER ..

    aliosha

    13 h 03, le 28 août 2021

  • Toute une analyse et recommandations, très sérieuses. Sauf qu'il n'y a aucune mention de Hezbollah et son action destructrice sur le pays et son économie. C'est INADMISSIBLE et foncièrement biaisé, effaçant toute crédibilité à cette analyse.

    Nicolas Sbeih

    12 h 48, le 28 août 2021

  • LA TRINITE DU MAL, BIEN CONNUE DORENAVANT DE TOUS LES LIBANAIS, A STABILISE L,ECONOMIE DU PAYS AUX TREFONDS DES GOUFFRES DE L,ENFER.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 19, le 28 août 2021

  • le fin mot de toute cette histoire est UN GOUVERNEMENT AVEC DES POUVOIRS D'URGENCES, D'EXCEPTION. sinon RIEN, meme pas l'accord obtenu de l'IMF n'y pourront rien. a la longue KELLON resteront KELLON. il faut rappeler que le venezuella n'a toujours pas retrouve sa sante economiques malgre l'assistance REPETEE de l'IMF, et ce depuis de longues annees . QUE DIEU NOUS VIENNE EN AIDE.

    Gaby SIOUFI

    09 h 49, le 28 août 2021

  • Avec la Mafia qui tient à l'heure actuelle les rênes des pouvoirs politique et économique, il est fort probable que l'application des recettes proposées dans cet article restera de l'ordre d'un voeu pieux. En effet la mise en œuvre des mesures suggérées suppose la présence de dirigeants responsables et sérieux ayant à cœur le bien-être du pays. Or de tels dirigeants font malheureusement défaut jusqu'à nouvel ordre!

    Georges Airut

    00 h 31, le 28 août 2021

Retour en haut