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Nos Lecteurs ont la Parole

Lettre aux résilients

Chers résilients,

Je ne viens pas vous donner des leçons, mais je viens en prendre.

Je viens apprendre.

Apprenez-moi votre résilience.

Apprenez-moi votre résignation.

Apprenez-moi votre résistance

À toutes les humiliations !

Apprenez-moi votre résilience qui vous a permis de résilier votre contrat social, votre pacte national, votre identité libanaise, votre État de droit, votre État tout court, votre régime démocratique et parlementaire, vos valeurs républicaines, votre vivre-ensemble, votre Constitution, vos droits constitutionnels, vos droits fondamentaux…

Apprenez-moi votre confessionnalisme, votre panurgisme et votre culte de la personnalité du « zaïm » communautaire !

Apprenez-moi à attendre patiemment, avec vous, plus d’un an pour la « non-formation » d’un gouvernement salvateur, susceptible de nous sortir du malheur ; à contempler, avec vous, et jusqu’à ce jour, nos gouvernants en train de s’arracher les membres de la carcasse nationale.

Apprenez-moi la substitution du mini-État à l’État, de l’armée milicienne à l’armée régulière sous le règne du Liban mort !

Apprenez-moi à être, avec vous, l’otage des intérêts locaux et régionaux et à entretenir le syndrome de Stockholm.

Apprenez-moi votre réputation d’être bons noceurs et bons viveurs ; de faire la fête même dans la défaite ! De passer allègrement de la joie de vivre à la joie de survivre !

Apprenez-moi votre résilience qui vous fait supporter les « tawabir el zil », les colonnes de l’avilissement, devant les stations d’essence, les boulangeries, les pharmacies, etc.

Apprenez-moi à attendre d’interminables heures, ou une journée entière, dans la canicule de mon habitacle, pour avoir quelques gouttes d’essence, et me retrouver devant un pistolet de distribution vide ou un autre pistolet plein et prêt à me brûler la cervelle pour prendre ma place !

Apprenez-moi à passer la nuit, couché à même le sol du « sanctuaire » d’essence dans l’espoir de recueillir, à l’aube, l’eau de source bénite mêlée de rosée !

Apprenez-moi à prendre religieusement, dans le creux de ma main, cette nouvelle eau de Lourdes… jusqu’à la boire !

Apprenez-moi à rentrer dans votre rang et à avouer publiquement, dans la sueur mêlée de pleurs, au journaliste sur place, que « cela fait des heures que j’attends mon tour » ou « depuis hier », ou à faire contre mauvaise fortune bon cœur et plaisanter de mon infortune.

Apprenez-moi à préférer rouler sous mes oppresseurs plutôt que marcher sur eux !

Apprenez-moi votre faculté de pester contre nos dirigeants en usant de tous les gros mots susceptibles d’alléger vos maux et les rendre supportables.

Apprenez-moi à faire l’interminable queue et à défaire la mienne !

Apprenez-moi à m’incliner, à me courber, à m’aplatir ou à faire le beau pour mériter une émanation, une évanescence d’essence, ou un zeste de gaz.

Apprenez-moi l’opprobre de carburer au carburant iranien et d’être redevable au parti des armes illégales. Apprenez-moi la capitulation et la soumission !

Apprenez-moi la servitude volontaire !

Apprenez-moi « l’aplaventrisme » et le masochisme !

Apprenez-moi votre proverbiale résilience ! Apprenez-moi à m’insurger contre la possible taxe sur le WhatsApp mais pas contre la hausse effective d’environ 70 % des prix de l’essence, du mazout et du gaz, et de plus de 100 % des biens de première nécessité.

Apprenez-moi à accepter que mon argent, mes dépôts, mon épargne soient « contrôlés », ponctionnés, retenus, confisqués, voire volés !

Apprenez-moi à regarder, impassible, passer le train des marchandises subventionnées en Syrie ! À voir les contrebandiers, leurs parrains et partenaires se nourrir de mon portefeuille et de ma chair !

Ou la brûler comme au Akkar ! Et voir l’enquête partir en fumée plus vite que la citerne !

Apprenez-moi votre résilience d’excellence depuis la double explosion au port !

Apprenez-moi à fumer le narguilé sur les décombres de ma maison, puis sur ceux du pays !

Apprenez-moi à balayer sur-le-champ (de ruines) les gravats et les débris au lieu de balayer tous les coupables de crimes contre notre humanité !

Apprenez-moi à avaler des couleuvres, comme vous, et à les digérer avec philosophie !

Apprenez-moi votre résilience ! Apprenez-moi à résilier ma conscience, mon honneur, ma fierté, ma liberté ! À m’anesthésier, comme vous, à m’anéantir, à m’ensevelir et ne plus avoir à assister à cette déchéance, à ces avanies quotidiennes, à cette pusillanimité délétère, à cette abnégation morbide !

Veuillez agréer, chers résilients, l’expression de ma plus haute (dé)considération.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Chers résilients, Je ne viens pas vous donner des leçons, mais je viens en prendre. Je viens apprendre.Apprenez-moi votre résilience.Apprenez-moi votre résignation.Apprenez-moi votre résistanceÀ toutes les humiliations ! Apprenez-moi votre résilience qui vous a permis de résilier votre contrat social, votre pacte national, votre identité libanaise, votre État de droit, votre État tout...

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