Le Parlement libanais a affirmé vendredi que le juge d'instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur la double-explosion au port de Beyrouth, est incompétent pour demander la comparution du Premier ministre sortant Hassane Diab, suite au mandat d'amener émis jeudi par le magistrat. Il a demandé au parquet général près la Cour de cassation de "prendre les mesures appropriées", sans expliciter ce qu'il entendait par là.
"La procédure (d'amener) n'entre pas dans les compétences du juge Bitar", a déclaré le secrétaire général du Parlement, Adnan Daher, dans une missive adressée au parquet général près la Cour de Cassation. le responsable invoque les articles 70, 71 et 80 de la Constitution libanaise, ainsi que les dispositions des articles 18 et 19 de la loi 13/90 relative à l'action de la Haute cour chargée de juger les présidents et ministres. L'article 70 porte sur le droit de la Chambre d'accuser le Premier ministre et les ministres pour manquement grave à leurs devoirs, si les deux-tiers des voix sont réunies. L'article 71 stipule pour sa part que le Premier ministre mis en accusation sera jugé par la Haute Cour, dont la mission est de juger les présidents et les ministres. "Le parquet général près la Cour de cassation doit faire le nécessaire", a ainsi demandé le Parlement.
Le juge Bitar avait émis jeudi un mandat d'amener à l'encontre du Premier ministre sortant Hassane Diab, poursuivi pour négligence dans ce drame. Celui-ci a aussitôt refusé de comparaître devant le magistrat. Le juge a fixé au 20 septembre la date de cette audience et chargé les forces de sécurité d'interpeller M. Diab. Sa décision - qui fait l'objet d'accusations, notamment par le Hezbollah, de "politisation" de l'enquête - intervient au lendemain de l'envoi d'une lettre par la direction du Conseil des ministres arguant "d'obstacles constitutionnels" pour justifier la décision de M. Diab de ne pas se soumettre à l'interrogatoire.
Le mufti critique Bitar
Le Parlement a refusé jusqu'ici de lever l'immunité de trois députés qui ont occupé des postes de ministres, "pour potentielle intention d'homicide, négligence et manquements", tandis que le ministre de l'Intérieur n'a pas autorisé M. Bitar à interroger le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim.
Le mufti de la République, le cheikh Abdelatif Deriane, a critiqué vendredi la décision du juge Tarek Bitar. La plus haute autorité sunnite du pays a ainsi affirmé, lors de son prêche du vendredi, que le fait de s'en prendre au Premier ministre sortant était "répréhensible et contrevenait au traitement habituel réservé à ce poste, lequel est tout aussi important que la présidence de la République ou celle du Parlement".
La Rencontre consultative, groupe de députés sunnites proches du Hezbollah et du régime syrien, a elle aussi critiqué le mandat émis par le juge Bitar, estimant que seul le Parlement peut accuser le PM désigné de haute trahison ou de manquements. Le groupe parlementaire s'est enfin dit contre "l'atteinte à la dignité et au poste du Premier ministre".
Aoun répond aux ex-Premiers ministres
Pour leur part, les ex-Premiers ministres Fouad Siniora, Saad Hariri, Tammam Salam et Nagib Mikati se sont offusqués jeudi soir de ce "précédent dangereux" visant la communauté sunnite. Les ex-Premiers ministres avaient également estimé que le président de la République, Michel Aoun, était responsable de manquements dans cette catastrophe. Des critiques auxquelles la présidence a répondu vendredi. "Il est regrettable d'accuser le chef de l'Etat (...), surtout que celui-ci s'est déjà mis à la disposition de l'enquêteur judiciaire", a écrit le palais de Baabda. La présidence a également critiqué "la solidarité entre les ex-Premiers ministres en prétextant des atteintes qui visent la troisième présidence (la présidence du Conseil, NDLR)". Elle a enfin estimé que "le timing du communiqué des ex-Premiers ministres est suspect, au moment où le chef de l'Etat déploie des efforts pour la formation du gouvernement".
La classe dirigeante, qui a catégoriquement rejeté une enquête internationale, est accusée de tout faire pour torpiller l'enquête et éviter certaines inculpations. Plus d'un an après la double-explosion de plusieurs centaines de tonnes de nitrate d'ammonium qui a fait 214 morts et plus de 6.500 blessés, dévastant des quartiers entiers de la capitale, l'enquête locale n'a pas donné de résultats.
Ce parlement incarne l’incompétence même.
20 h 48, le 28 août 2021