Le juge Tarek Bitar, chargé de l'enquête sur la double explosion meurtrière survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020, a émis jeudi un mandat d'amener à l'encontre du Premier ministre sortant Hassane Diab, poursuivi pour négligence dans ce drame, et qui a refusé d'être entendu aujourd'hui par le magistrat, selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle). Le juge Bitar a fixé au 20 septembre la date de cette audience et a chargé les forces de sécurité d'interpeller M. Diab, selon une source judiciaire à l'AFP. La décision du juge Bitar - qui fait l'objet d'accusations de "politisation" de l'enquête notamment par le puissant parti chiite pro-Iran Hezbollah - intervient au lendemain d'une lettre envoyée par la direction du Conseil des ministres arguant "d'obstacles constitutionnels" pour justifier la décision de M. Diab de ne pas assister à la séance d'interrogatoire.
L'explosion le 4 août 2020 de plusieurs centaines de tonnes de nitrate d'ammonium, stockées depuis des années au port - "sans mesure de précaution" de l'aveu même du gouvernement - a fait 214 morts et plus de 6.500 blessés, dévastant des quartiers entiers de la capitale.
Chargé début 2021 d'enquêter sur le drame, Tarek Bitar avait demandé, début juillet, la levée de l'immunité de responsables sécuritaires et politiques, notamment quatre anciens ministres, dont trois sont actuellement députés (Nouhad Machnouk, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, les deux derniers étant proches du président du Parlement Nabih Berry). Il veut pouvoir les juger pour "potentielle intention d'homicide" mais aussi pour "négligence et manquements", les responsables "n'ayant pas pris les mesures (nécessaires) pour éviter au pays le danger de l'explosion", selon lui. Sauf que la Chambre n'a pas pu se réunir pour statuer sur ce point, en dépit du fait que plusieurs groupes parlementaires affirment être favorables à une telle démarche. Le Parlement n'avait pas réussi à assurer le quorum nécessaire le 12 août dernier pour la séance en question.
La colère des anciens PM
Réagissant à la procédure engagée par le juge, les ex-Premiers ministres sunnites Fouad Siniora, Saad Hariri, Tammam Salam et Nagib Mikati se sont offusqués dans un communiqué du "précédent dangereux" créé par Tarek Bitar en délivrant un mandat d’amener contre un Premier ministre, stigmatisant "une initiative suspecte qui se recoupe avec des tentatives menées depuis des années pour neutraliser l’accorde de Taëf, briser l’autorité de la présidence du Conseil et réduire sa place dans le système politique". "En témoignent les actes maintenus depuis des années pour bloquer la formation des gouvernements et essayer de contenir les prérogatives constitutionnelles des Premiers ministres désignés", souligne le communiqué qui lance ainsi une attaque directe au président Michel Aoun alors que Nagib Mikati s’efforce toujours de parvenir avec lui à une formule consensuelle pour la formation d’un nouveau cabinet. "Le président a reconnu avoir pris connaissance de la présence du nitrate d’ammonium au port quinze jours avant l’explosion suspecte. En tant qu’ancien commandant de l’armée, il connaissait parfaitement la procédure (…) et le danger que la quantité stockée représentait. Un délai de quinze jours est suffisant pour désamorcer une bombe nucléaire. (…) Le chef de l’Etat s’est rendu responsable de négligence (….) et son immunité devrait être levée (…) ce qui permettrait au juge d’instruction de se libérer de textes qui l’empêchent de poursuivre des présidents et autres", selon le communiqué qui rappelle la proposition de loi soumise par le bloc parlementaire du Futur pour une suspension des textes constitutionnels et juridiques relatifs aux immunités. Pour MM. Hariri, Siniora Salam et Mikati, la démarche de Tarek Bitar "représente une insulte à la fonction de président du Conseil, un affaiblissement inacceptable du Premier ministre sortant et une reconnaissance flagrante du fait que le dossier de l’enquête est manipulé à partir de Baabda".
Toujours sur le plan judiciaire, le site al-Modon rapporte que le procureur général près la cour de cassation, Ghassan Oueidate, a refusé d'accorder son autorisation afin que le juge Bitar puisse poursuivre le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, et le directeur de la Sécurité de l'État, le général Tony Saliba. Le parquet de cassation a réagi à ces informations jeudi en les démentant, avant d'affirmer que le juge Oueidate "n'a examiné aucune demande concernant l'enquête sur le port depuis qu'il s'est dessaisi de l'affaire". Le juge Oueidate, beau-frère du député Ghazi Zeaïter, poursuivi dans l'enquête, s'était récusé de l'affaire en estimant que ce lien de parenté constituait pour lui un conflit d'intérêt. "Examiner ces demandes revient au Conseil supérieur de défense et au ministre de l'Intérieur", a enfin affirmé le parquet.
La classe dirigeante est accusée de tout faire pour torpiller l'enquête et éviter des inculpations. Après avoir catégoriquement rejeté une enquête internationale, les autorités libanaises ont dessaisi de ses fonctions le premier juge chargé de l'affaire, Fadi Sawan, après l'inculpation de hauts responsables. Hassane Diab avait démissionné quelques jours après l'explosion, mais continue depuis d'assumer ses fonctions de Premier ministre chargé de la gestion des affaires courantes, faute de la formation d'un nouveau gouvernement dans ce pays en plein marasme politique et économique.
Reconstitution
Sur le terrain, le juge d'instruction a supervisé mercredi après-midi une reconstitution de l'opération de soudure qui avait eu lieu avant la déflagration au hangar numéro 12 où étaient stockées les tonnes de nitrate d’ammonium dont la détonation avait causé le drame, rapporte l'Ani. Selon l'une des hypothèses, ce sont les travaux de soudure qui ont déclenché le feu au port, mais jusque-là, ni celle-ci ni aucune autre hypothèse n'a encore été validée par le juge.
Le magistrat s'est également entretenu jeudi avec une délégation des parents des volontaires de la Défense civile, victimes de la déflagration, pour les tenir informés des développements de l'enquête. S'exprimant à l'issue de l'entretien, William Noun, frère du pompier Joe Noun tué dans l'explosion, a réitéré "la confiance totale" des parents dans le juge Bitar, et toute décision qu'il prendrait. Aux responsables que le juge entendrait interroger et poursuivre en justice, M. Noun a adressé un message ferme, sans mâcher ses mots : "Gardez le silence et laissez le juge travailler!", a-t-il lancé, faisant savoir que les parents des victimes se mobiliseront à nouveau devant le palais de Justice à Beyrouth, dans les deux prochaines semaines.
Et soudain toute autorité devient crédible après koulloun certains peuvent passer entre les mailles du filet et exercer leur autorité en attendant de recevoir une médaille de Bachar ou de Has! Comme Tarek Bittartiste!
08 h 27, le 27 août 2021