« Il n’y a pas d’école, pas de travail, les commerces sont fermés. Tous les habitants sont cloîtrés chez eux ». Depuis dimanche, Kaboul a des airs de ville fantôme, raconte Zoya*, une jeune femme de 28 ans qui réside dans la capitale afghane. Après s’être emparés en dix jours de la majorité des capitales provinciales du pays, les talibans ont annoncé dimanche soir avoir pris le contrôle de Kaboul ainsi que du palais présidentiel, semant la panique parmi la population. « Il y a un sentiment de peur car nous ne savons pas quels sont leurs plans pour le futur. Tout est flou pour le moment », confie Rahman*, ingénieur en informatique âgé de 26 ans. Admettant la défaite, le chef de l’État Ashraf Ghani a reconnu avoir quitté le pays dans la journée hier, après avoir déclaré que le groupe insurgé avait gagné. Une décision qu’il aurait prise pour éviter « un bain de sang » car « d’innombrables patriotes auraient été tués » et Kaboul « aurait été détruite », a-t-il reconnu.
Ces derniers jours, les rumeurs de la prise imminente de la capitale afghane s’étaient répandues comme une traînée de poudre, plongeant ses habitants dans la crainte de subir le même sort que celui des civils fuyant leur province assiégée vers Kaboul. Pour Rahman, la prise de la capitale n’était qu’une question de temps, alors que les talibans avaient affirmé jeudi avoir imposé leur domination sur Logar, capitale provinciale située à seulement 90 km au sud-ouest de Kaboul, et avec qui elle partage une frontière commune. « Il semble qu'il n'y ait pas eu de financement pour soutenir l'armée nationale. J'ai l'impression que le gouvernement encourage les troupes à se rendre et que les talibans ne tuent pas les soldats capturés, comme s'il s'agissait d'un accord conclu par les autorités », raconte le jeune homme. « C'est fou. Personne ne sait ce qu’il se passe en coulisses », renchérit-il.
Sentiment d’abandon
Si les insurgés mènent leur offensive depuis le mois de mai - à la faveur du début du retrait final du contingent américain et étranger - jamais ils n’ont été aussi proches de leur but d’asseoir leur pouvoir sur l’ensemble de l'Afghanistan. Vieille promesse de campagne de l’ancien président américain Donald Trump d’en finir avec les « guerres sans fin », le départ des forces internationales négocié avec les talibans doit s’achever le 31 août, comme l’a annoncé début juillet le locataire actuel de la Maison-Blanche, Joe Biden. Une date symbolique qui marque les vingt ans de l’intervention américaine en Afghanistan suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Depuis l’annonce du président démocrate, de nombreux Afghans se sentent néanmoins abandonnés et laissés à la merci des attaques des insurgés que l’armée régulière, minée par la corruption et pesant bien moins lourd sans son allié américain, peine à repousser. « Tout ce pour quoi nous avons travaillé ces 20 dernières années sera réduit en cendres et nous devrons repartir de zéro », s’indigne Rahman. « Mon pays ressemble à une jungle », se désole pour sa part Zoya. Cette titulaire d’une licence en économie, qui habite Kaboul depuis près de 10 ans après avoir résidé à Kandahar, en veut à son gouvernement mais aussi aux Américains qui ont décidé de quitter le pays sans avoir achevé leur mission, estime-t-elle. « Grâce à eux, la situation s’est améliorée dans le pays. Ils ont créé des opportunités pour notre éducation et pour les femmes. Mais ils partent maintenant, en pleine mission », dénonce-t-elle. Une décision que le président des États-Unis, Joe Biden, a indiqué il y a une semaine ne pas regretter, appelant les Afghans mardi dernier à « se battre pour leur nation ». Cette affirmation a sonné comme une provocation pour de nombreux responsables afghans, qui considèrent avoir été mis en danger par Washington. Dans plusieurs provinces, des membres des forces de sécurité afghanes se sont rendus sans résister alors que le combat leur semblait perdu d’avance au cours des dernières semaines.
Ces conditions touchent aussi de plein fouet les ONG, qui peinent à répondre aux besoins des civils lesquels ne cessent de grandir depuis l’annonce du retrait des troupes américaines. « De nombreuses organisations d'aide humanitaire ont réduit leurs activités et arrêté leurs projets et beaucoup de leurs personnels - locaux et internationaux - ont décidé de quitter l'Afghanistan », déplore Ali Amani, fondateur de l’ONG basée à Kaboul Porsesh Research and Studies Organization (PRSO), qui vient en aide aux communautés marginalisées dans le pays. Cherchant à s’échapper à tout prix, des milliers de civils ont par ailleurs trouvé refuge dans les stades, les mosquées ou encore les rues de la capitale. Depuis la fin du mois de mai, près de 250.000 personnes ont été déplacées par le conflit, dont 80% sont des femmes, estime l’ONU. Hier soir, l’aéroport de Kaboul semblait totalement hors de contrôle, alors que des foules désemparées se bousculaient sur le tarmac.
« Je préfère me suicider »
Dans le sillage de la chute de la capitale afghane, certains habitants semblent davantage exposés à un risque de représailles de la part des talibans, à l’image des femmes éduquées et de toute personne ayant collaboré avec les Américains. C’est le cas de Zoya, qui n’a cessé d’aller contre l’avis de sa famille en cherchant à tout prix à faire des études. Depuis l’offensive des talibans, la jeune femme redoute d’avoir affaire à ses oncles résidant à Kandahar et souhaitant rétablir la charia à l’instar des talibans. « Les femmes instruites comme moi sont leurs ennemis, raconte-t-elle. Quand j’étais enfant à Kandahar, je me souviens que je n’avais pas le droit de me trouver au même endroit que les hommes, que je devais me couvrir entièrement. Si les talibans arrivent au pouvoir, mes oncles vont penser que c’est à eux de choisir notre avenir », s’inquiète Zoya, très éprouvée. Il y a quelques jours, sa mère lui a conseillé de se marier rapidement afin d’échapper à un mariage forcé avec un de ses cousins. « Je lui ai dit que je préférais me suicider plutôt que d’obéir à ces gens-là », lance-t-elle avant de confier qu’elle se prépare tout de même au pire. « L’autre soir, j’ai supprimé toutes les photos sur mon téléphone, surtout celles que j’avais prises avec des soldats américains. Je sais que si les talibans trouvent quoi que ce soit en rapport avec eux, toute ma famille sera en danger », poursuit-elle.
Face à cette situation désastreuse, tous les Afghans n’ont qu’une idée en tête : quitter le pays. « Partir d’Afghanistan est ma priorité absolue mais nous sommes impuissants, nous ne pouvons pas nous permettre de partir, confie de son côté Rahman. Nous avons besoin de milliers de dollars pour obtenir des visas et des billets pour voyager dans un endroit sûr et demander l'asile ».
Sous le choc
D’autres, à l’instar de Yasir, 23 ans, ont déjà quitté la capitale pour un pays frontalier. Le jeune homme était sur le point d’être diplômé après ses études de médecine, alors qu’il devait pour cela finir le stage en hôpital qu’il avait entamé. Mais la situation sécuritaire l’a contraint à fuir le 3 août au Tadjikistan avec son père, sa mère et ses cinq frères et sœurs. Ayant choisi de s’y rendre en raison de la présence du bureau du Haut commissariat aux réfugiés (HCR), l’étudiant et sa famille souhaitent faire une demande d’immigration au Canada, même s’ils sont conscients que la démarche peut prendre plusieurs années. « C'était très très dur pour moi d'accepter le fait que mon stage resterait incomplet et que je ne pourrai pas obtenir mon diplôme de fin d'études. Mais après avoir beaucoup réfléchi, j'ai réalisé que la paix et la sécurité sont plus importantes que l'éducation », se résigne Yasir, qui confie vivre avec de l’anxiété et un stress quotidien. Le jeune homme a été traumatisé par l’attentat à la bombe et les fusillades ayant ciblé l’Université de Kaboul le 2 novembre 2020 faisant 35 morts, majoritairement des étudiants. « Mon hôpital se trouvait juste en face. J’étais en train de boire du thé avec mes collègues au moment de l’attentat. J’ai immédiatement sauté par-dessus un mur et je me suis blessé à la tête. Je suis resté sous le choc », raconte-t-il. Aujourd’hui, l’étudiant espère obtenir une bourse pour poursuivre ses études de master. A l’instar de Zoya, pour qui l’éducation passe avant tout : « Je me fiche du manque de nourriture, d’eau et des coupures d'électricité. Je ne me soucie que de mon avenir. Parce que pour cette éducation, j'ai tout donné ».
*Les prénoms ont été modifiés.
PRIERE LIRE TRUMP LE HALLUCINE ETC... MERCI.
16 h 30, le 16 août 2021