
Des secouristes de la Croix-Rouge évacuant les victimes de l’explosion d’une citerne d’essence à Tleil, dans le Akkar, dans la nuit de samedi à dimanche. AFP/Croix-Rouge libanaise
« Nous n’allons pas quitter la rue tant que Georges Rachid ne nous sera pas livré ». Devant la maison de l’entrepreneur propriétaire du terrain où se trouvait la citerne d’essence qui a explosé dans la nuit de samedi à dimanche à Tleil, dans le Akkar, les manifestants affichent leur détermination. Cet homme, dont ils estiment qu'il est la cause du drame qui a coûté la vie à au moins 28 personnes et fait des dizaines de blessés, parmi lesquels leurs proches, doit être jugé d'une manière ou d'une autre.
Devant eux, la villa de l’entrepreneur flambe. Les habitants de la région et certains proches des victimes y ont mis le feu. Et les personnes présentes, dont toutes ou presque ont perdu un proches dans le drame, empêchent la Défense civile d’approcher de la bâtisse de l'homme, dont le fils avait été arrêté un peu plus tôt par l’armée. Le père sera arrêté dans la soirée. Ils veulent de toute évidence la voir totalement consumée, tout comme ont été brûlés les corps de leurs proches.
Les soupçons des habitants du cru à l’encontre de l’homme qu’ils accusent aujourd’hui du drame ne datent pas d’hier. « Vous voyez cette voiture qui brûle là-bas (incendiée par les habitants eux-mêmes) ? Je la voyais passer la frontière (avec la Syrie) tous les jours », assure Moustapha, la trentaine, dont le cousin figure parmi les blessés de l’explosion.
Jusque dans l’après-midi, les blessés étaient encore transportés dans des voitures jusqu’aux hôpitaux. Aucune ambulance en vue, dans cette région notoirement négligée par les autorités depuis des décennies. « Nous sommes prêts à ne pas quitter la rue, à rester là jusqu’à ce que cet homme nous soit livré, à nous pas aux autorités, ajoute Moustapha, reflétant toute la colère des manifestants. Nous n’avons plus rien à perdre et sommes prêts à nous défendre », poursuit Moustapha.
Tleil, un village en grande majorité chrétien comptant 3.000 habitants, est situé entre Halba et Kobeyate. Depuis le drame de la nuit de samedi à dimanche, certains redoutent que l’harmonie ne soit brisée entre les habitants de ce village et ses voisins sunnites, d’où proviennent la plupart des victimes, certaines familles ayant perdu deux ou trois membres dans le drame. Les victimes s’étaient ruées vers la citerne pour remplir leurs galons vides, l’essence étant devenue une denrée rare au Liban depuis la crise. A l’évocation d'un éventuel risque de dérapages confessionnels, Moustapha est catégorique : « Ma mère est chrétienne et mon père musulman, martèle-t-il. Ce n’est pas une question de confessionnalisme mais de vol et de corruption. C’est une question politique ! ».
Quelques heures avant le drame, l’armée avait perquisitionné la citerne placée dans l’enceinte d’une usine de béton appartenant à Georges Ibrahim Rachid. Selon des sources sur le terrain, Rachid aurait loué l'usine à un homme originaire de Wadi Khaled (une autre localité du Akkar, frontalière de la Syrie), nommé Faraj. Ce dernier serait un contrebandier bien connu des autorités, puisqu’il a été arrêté il y a trois mois au moins avec ses fils. Suite à sa perquisition, l'armée avait saisi une partie de l'essence et laissé une autre partie à la disposition des habitants. Lesquels s'étaient rendus en nombre sur les lieux pour s'approvisionner, avant que la citerne n'explose pour des raisons non-identifiées dimanche. Plusieurs témoins rencontrés sur place à Tleil assurent toutefois à L’Orient-Le Jour qu’un proche du propriétaire des lieux a tiré trois fois sur la citerne, provoquant le drame.
« L’armée avait ouvert une sorte de robinet pour vider le réservoir de son contenu. Nous avons tous couru pour remplir deux bidons chacun, il y avait de l’essence partout et nous étions tous imbibés, voilà pourquoi il y a eu autant de brûlés. J’ai marché sur des hommes en feu pour fuir. J’ai été blessé aux pieds, aux mains et au cou », raconte un jeune de 28 ans.
24 heures déterminantes
Au lendemain du drame, les rues de Tleil sont vides. Les habitants sont terrés chez eux de peur des répercussions. La tension est palpable et l'armée déployée sur toutes les routes principales de la région. Après avoir incendié la propriété de Georges Ibrahim Rachid, les proches des victimes menacent d’incendier la maison d’Assaad Dergham, un député du Courant patriotique libre dans le village voisin de Haytla, accusé d’avoir couvert le propriétaire du terrain. Le domicile du député est gardé par des militaires.
Chez le président du conseil municipal de Tleil, Joseph Mansour, on sert le café aux visiteurs. Quand celui-ci évoque l’explosion, il commence par déplorer que la maison de Georges Ibrahim Rachid ait été incendiée. Puis, il parle de la trentaine de victimes. « Ce qui s’est passé ici aujourd’hui, c’est toute la sécurité du Liban qui en dépend, affirme-t-il à L’Orient-Le Jour. Les prochaines 24 heures seront déterminantes pour le sort du Liban. Soit ça se calme ici, soit les problèmes se propageront partout. »
« Cette affaire sera enterrée comme toutes les autres »
Dans les villages voisins, où l’on compte plusieurs morts et blessés, le temps semble suspendu. Les habitants en deuil restent chez eux. Seuls des véhicules militaires circulent dans les rues. Un grand nombre parmi les blessés sont des soldats, qui s’étaient rendus sur le terrain où se trouvaient les citernes pour s’approvisionner en essence. Au nombre des victimes, on compte également des réfugiés syriens.
Fida, 24 ans, originaire du village de Doussé, a perdu deux de ses frères dans l’explosion. Son mari a été gravement brûlé, il est hospitalisé à l'hôpital Geitaoui de Beyrouth. Face à cette tragédie, elle est en état de choc. « Nous n’avons rien au Akkar. Nous sommes des laissés-pour-compte. Cette affaire sera enterrée comme toutes les autres, mes frères seront morts pour rien », lâche-t-elle. Dans la pièce d’à côté, on entend les gémissements de la mère éplorée des deux jeunes de 16 et 20 ans. Les hommes, eux, sont rassemblés en silence. Dans un autre village, une habitante, Nour, raconte que son beau-frère est lui aussi hospitalisé à l’hôpital Geitaoui, dans la section réservée aux grands brûlés. « Nous n’avons même pas le prix d’une pommade, comment allons-nous nous occuper de lui ? ».
En quittant le Akkar, on peut toujours voir la maison de Georges Ibrahim Rachid se consumer sans aucune intervention de la Défense civile. Une image qui concentre en elle toute la tension et la colère qui, dimanche soir, étaient encore prégnantes.
« Nous n’allons pas quitter la rue tant que Georges Rachid ne nous sera pas livré ». Devant la maison de l’entrepreneur propriétaire du terrain où se trouvait la citerne d’essence qui a explosé dans la nuit de samedi à dimanche à Tleil, dans le Akkar, les manifestants affichent leur détermination. Cet homme, dont ils estiment qu'il est la cause du drame qui a coûté la vie...
commentaires (5)
Georges Rachid, un grand menteur. Riad Salamé s'étonnait de la disparition des millions de dollars sur les carburants, et la population est privée de tout. Voici un exemple vivant ici et là, on découvre où sont partis les millions. Rechercher les criminels propriétaires des citernes qui vidaient les carburants partout sauf dans les stations essences. On attend beaucoup des services sécuritaires et de la justice. On verra les résultats de cette corruption immense.
Esber
00 h 17, le 17 août 2021