Quand Henri IV pressait ses compagnons de se rallier à son panache blanc pour s’en aller vaincre l’ennemi, du moins avait-il le bon goût de ne pas traiter les récalcitrants de poules mouillées ou, pire encore, de vendus. Aux plus démunis de ses sujets, davantage soucieux de bonnes récoltes que de brassées de lauriers guerriers, le bon vivant allait même jusqu’à garantir la poule au pot du dimanche.
Cela fait plus d’un demi-siècle que notre pays, lui, vit (fort mal !) sous la férule de boutefeux que nul, pourtant, n’a sacrés rois. Avec la guérilla palestinienne implantée sur son sol et échappant à son contrôle, avec aussi les massives représailles israéliennes qu’entraînait cette situation, allait rapidement disparaître le statut particulier dont bénéficiait auparavant le Liban : celui d’un État arabe solidaire de la cause palestinienne certes, et néanmoins dispensé de toute participation notable aux aventures militaires. Qui n’est pas avec nous est contre nous : de cette époque l’odieuse accusation de complaisance pour Israël, de trahison, brandie contre quiconque se refuserait à voir la milice s’arroger la décision de paix ou guerre, en lieu et place du pouvoir légal. L’outrageuse duperie a beau être cousue de fil blanc, usée jusqu’à la corde, elle vient de viser, à la faveur d’une féroce campagne cybernétique, le patriarche maronite. À plus d’un titre, c’était une fois de trop.
Vous bombardez, nous bombardons ; nous ne voulons pas la guerre, mais nous y sommes préparés. Formulées en termes identiques, ces mises en garde étaient échangées par Naftali Bennett et Hassan Nasrallah, au lendemain d’un ping-pong d’artillerie à la frontière sud. Elles résument, à elles seules, le rôle peu reluisant que les deux protagonistes assignent à l’État libanais : celui de partenaire non point seulement muet ou dormant, mais carrément absent, inexistant ! De fait, et non content de dénoncer, dimanche, l’arraisonnement, par la milice, des options stratégiques nationales, le patriarche maronite rappelait vertement à ce même État ses obligations internationales les plus élémentaires.
Cet assourdissant silence officiel, le président de la République ne le rompait qu’au bout de 48 heures, appelant le cardinal Raï au téléphone pour condamner l’irrespectueuse cabale médiatique dont il était l’objet. Des transparents auteurs de celle-ci il ne pipait mot, bien entendu, se contentant de souligner le respect dû à un chef d’Église et son droit à la liberté expression. Sa liberté d’expression, on a bien lu, s’agissant pourtant de l’autorité morale la plus haute du pays ; oui, sa simple, sa banale liberté d’expression, à l’heure où est assidûment réprimée celle de nombreux internautes coupables du crime de lèse-majesté…
Ce n’est pas la première fois que le patriarche Raï est la cible d’un tel flot d’insanités, dûment orchestrées. Ce fut le cas lors de sa tournée paroissiale en Terre sainte, comme de ses appels en faveur d’un statut de neutralité positive pour le Liban. De folkloriques salamalecs suffirent à l’époque pour calmer le jeu ; mais les dernières et virulentes attaques contre le patriarche maronite ne sont guère de nature à étoffer la couverture chrétienne, elle-même largement écornée, que Michel Aoun et son parti apportent à un parti déjà confronté à l’hostilité d’une part substantielle de la communauté sunnite. La donne a sensiblement changé d’ailleurs, le seuil de tolérance se trouvant soudain enfoncé en d’autres points de la carte démographique du Liban. Circonscrite, comme par jeu, à des espaces ouverts, c’est-à-dire non peuplés, la canonnade de la semaine dernière n’a heureusement pas fait de victimes. Assez ironiquement toutefois, elle aura suffi pour poser, avec une acuité sans précédent, le problème des activités militaires de la milice au voisinage, ou à l’intérieur, des agglomérations. En témoigne l’incident de Chouaya, où une population en colère a intercepté un véhicule lance-roquettes du Hezbollah : expression énergique d’un ras-le-bol que partagent, plus que probablement, les autres localités druzes du Sud.
Tout comme ces aires de tir évoquées plus haut, le débat se trouve donc largement ouvert. Et il ne servira à rien, bien au contraire, de chercher à l’occulter en le transposant ailleurs, au port de Beyrouth par exemple. Nasrallah s’y est pourtant essayé lors de sa dernière adresse publique, en contestant le professionnalisme et l’impartialité du magistrat Tarek Bitar, qui instruit l’affaire de la meurtrière explosion du 4 août 2020. Double était cependant la maladresse. Car on ne somme pas un juge d’instruction de fournir de quelconques preuves, à ce stade d’une enquête censée être, par définition, secrète. Le faire quand même, c’est seulement raviver les suspicions et rancœurs croissantes quant aux munitions et autres matières explosives pouvant somnoler sournoisement un peu partout.
Qui attendent peut-être de tuer en masse, comme si les gouvernants n’en faisaient pas déjà assez en déniant criminellement au peuple le pain, le médicament, l’essence et tout le reste…