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Économie - Électricité

Black-out forcé : les Libanais à la merci des propriétaires de générateurs

S’il est difficile de dégager une réponse définitive quant à la raison de la pénurie de mazout alimentant les groupes électrogènes, les pistes probables sont connues.

Black-out forcé : les Libanais à la merci des propriétaires de générateurs

Un générateur privé alimentant un commerce à Hazmieh. Photo P.H.B.

De deux choses l’une : soit il y a bien une pénurie de mazout au Liban forçant l’arrêt des groupes électrogènes palliant le manque d’approvisionnement en courant d’Électricité du Liban (EDL) ; soit il existe un stockage malicieux de ce carburant essentiel par certains acteurs dans l’attente de prix plus juteux liés à une levée prochaine des subventions.

Dans les deux cas, le fait est que nombre de Libanais sont plongés dans le noir depuis le week-end dernier, leur donnant un nouvel aperçu du black-out annoncé depuis des mois, alors que le pays a touché le fond après près de deux années de crise et que ses responsables politiques creusent encore. Une obscurité pour le moment forcée après que les propriétaires de générateurs ont manifesté vendredi dernier devant le ministère de l’Énergie et de l’Eau en présage d’une pénurie pour réclamer que les chargements de mazout arrivant au Liban soient distribués « de manière équitable et au prix officiel », soit celui fixé par le ministère chaque mercredi.

La semaine dernière, le prix du bidon de 20 litres de mazout avait baissé de 400 livres libanaises pour s’établir à 57 100 livres, tandis que les tarifs des générateurs ont bondi de 49 % en un mois pour les factures de juillet (1 975 livres par kilowattheure, sans compter les frais annexes). Sur le marché noir par contre, les prix peuvent être deux, trois, voire quatre fois plus élevés, selon les témoignages recueillis par L’Orient-Le Jour ces dernières semaines.

Le point sur le terrain

Si le nombre de coupures par jour et leur durée différent selon les régions, les localités, les quartiers et même les rues, beaucoup de dîners se sont tenus à la chandelle lundi, et s’annonçaient pareils hier soir, entraînant des manifestations et blocages de route sporadiques à Saïda (Liban-Sud), Tripoli (Liban-Nord) et Bourj Hammoud (banlieue est de la capitale). Un rationnement de l’électricité fournie par les générateurs devenu soudain extrême et amplifié dans des secteurs où il avait été jusqu’à maintenant relativement plus clément, comme à Adonis (Kesrouan), dans certaines zones du Metn, ou encore à Jdeidé et Bauchriyé, où des appels à protester ont été lancés dès dimanche sur les réseaux sociaux.

Dans la Békaa, Électricité de Zahlé (EDZ) a indiqué lundi ne plus avoir de mazout que pour « les prochaines 48 heures tout au plus » pour la zone qu’elle dessert. C’est ce qu’a rappelé hier le directeur adjoint d’EDZ Nagi Jreissati à L’Orient-Le Jour. Hier également, EDZ a annoncé avoir sécurisé « 120 000 litres de mazout » grâce à l’aide de certaines autorités, dont le ministre sortant de l’Énergie, Raymond Ghajar, contre des besoins journaliers de « 250 000 litres » pour compenser les carences d’EDL, allant jusqu’à 23 heures par jour dans certaines régions. « Nous avons gagné une demi-journée de répit, alors que nos propres stocks sont presque à sec », a ainsi résumé Nagi Jreissati. Dans une déclaration relayée par l’Agence nationale d’information (ANI, officielle), le directeur d’EDZ, Assaad Nakad, a pour sa part refusé que son entreprise « soit le bouc émissaire de batailles politiques ». Il a réfuté les accusations de stockage qui le visent et appelé les autorités à sécuriser l’approvisionnement du pays en mazout, comparant la perspective d’un black-out complet à une « bombe atomique ».

La situation n’est guère meilleure sur la côte où convergent beaucoup de Libanais et de touristes et où l’approvisionnement en électricité est par conséquent d’autant plus essentiel. À Jbeil, la Byblos Advanced Energy (BAE) avait annoncé la semaine dernière devoir durcir son rationnement, en invoquant des difficultés concernant son approvisionnement en carburant et la chaleur estivale. Contactée hier, elle n’a cependant pas répondu à notre demande d’entretien.

De manière plus générale, certains stigmates que les Libanais pensaient avoir enterrés depuis des décennies refont leur apparition. Selon des témoignages recueillis, nombre de commerçants ont installé en urgence des moteurs privés pour continuer à travailler, renouant par là avec des réflexes pris pendant la guerre civile (1975-1990). Enfin, certaines villes réputées plus riches et attirant une clientèle plus huppée semblent encore échapper au pire, avec un rationnement des générateurs plus restreint, même si cette amplitude peut varier d’un quartier à l’autre, un point commun partagé avec des villes moins bien loties.

Par ailleurs, l’Association des industriels (AIL), qui souhaitait récemment importer son propre mazout au taux du marché parallèle, n’est toujours pas parvenue à ses fins, obligeant ses acteurs à limiter le fonctionnement des générateurs de leurs usines. Selon un membre de l’association chargé du dossier, Ibrahim Mallah, la procédure serait retardée par les douanes et la Direction générale du pétrole, qui leur avait réservé une cuve pour le stockage, officiellement pour vérifier que tout se déroule dans les règles.

Tentatives d’explication

Cette dégradation dramatique d’une situation qui n’était déjà pas fameuse en temps normal alimente naturellement les spéculations au sujet de ses causes. D’une part, le rythme d’approvisionnement du pays en carburant est bien perturbé par sa situation financière. Plus précisément par la dévaluation de la monnaie nationale sur le marché des changes (20 500 livres hier environ pour un dollar, contre 1 507,5 livres en parité officielle), les restrictions bancaires sur les transactions en devises ou encore les retards chroniques de la Banque du Liban dans le déblocage des crédits visant à régler les subventions de facto dont bénéficient certaines importations, dont celles de carburant, depuis presque deux ans.

Mais d’autre part, les chaînes d’approvisionnement n’ont jamais été complètement rompues et le pays reçoit régulièrement des chargements d’essence et de mazout. Contactée, une des sociétés importatrices a même laissé entendre que le processus de validation par la BDL de cargaisons qu’il prévoit de décharger cette semaine s’était passé sans incident. La Banque centrale, qui communique rarement ses chiffres, avait de son côté affirmé avoir validé 708 millions de dollars pour importer de l’essence et du mazout – dont 415 millions pour des dossiers déjà validés –, mais sans communiquer sur les quantités commandées. Depuis fin juin, la BDL a modifié le mécanisme et accepte désormais de fournir des dollars aux importateurs contre des livres au taux de 3 900 livres pour un dollar pour régler 100 % des factures, au lieu de 90 % auparavant et d’un échange au taux officiel.

Il est difficile de dégager une réponse définitive à cette énigme, compte tenu de l’absence globale de transparence au niveau du suivi des importations de carburant et de la manière dont ces quantités sont distribuées et consommées. Mais les pistes probables concernant cette dernière crise d’approvisionnement, qui concerne davantage le mazout que l’essence, sont désormais connues.

Premier facteur, la baisse dramatique et prolongée de l’approvisionnement d’EDL qui, pour des raisons également liées à la santé financière du pays, ne fait actuellement fonctionner qu’environ 800 mégawatts sur les 1 800 MW théoriquement disponibles, alors que la consommation est en forte hausse pendant l’été, notamment à cause des climatiseurs. Le fournisseur public peut difficilement publier des données précises à ce sujet dans la mesure où le centre de commande national du réseau a été détruit lors de l’explosion meurtrière survenue à Beyrouth le 4 août 2020. Zahlé et la quinzaine de localités desservies par EDZ nécessitent ainsi de mobiliser 15 MW de plus que la soixantaine déployée (soit 25 % de plus).

Deuxième raison : les aléas du calendrier. « Il y a eu les congés pour la fête de l’Adha pendant la deuxième quinzaine de juillet, puis un week-end de trois jours avec l’Hégire lundi, sans parler des autres. Ces jours chômés, qui sont scrupuleusement respectés par les agents de l’État, combinés aux retards de la BDL affectent fatalement l’approvisionnement du marché », regrette une source proche des distributeurs avec une pointe d’ironie en direction des institutions.

Le troisième facteur est lié à la captation par le marché noir d’une partie des quantités de mazout et d’essence importées. Un phénomène qui n’est malheureusement traçable qu’à travers des témoignages résiduels, lesquels permettent néanmoins de noter plusieurs tendances qui concernent principalement certains distributeurs : ceux qui stockent pour alimenter la contrebande en direction de la Syrie ; ceux qui stockent pour revendre au marché local. Selon une source proche des importateurs, le prix de la tonne de mazout, vendue 2,7 millions de livres, peut être facilement multiplié par 7 ; enfin ceux qui stockent en attendant la très probable levée des subventions qui répercutera la totalité de l’impact de la dévaluation sur les prix en livres des carburants. La première source précitée évoque, elle, des agissements « couverts par plusieurs formations politiques du pays pour satisfaire un certain clientélisme auprès de leur base populaire en amont des échéances électorales », mais sans pouvoir fournir d’éléments permettant de le vérifier.

Face à ces aléas, l’attitude des propriétaires de générateurs peut varier d’un exploitant à un autre, selon les témoignages recueillis. Certains d’entre eux refusent de s’approvisionner sur le marché noir sans garantie que le ministère de l’Énergie ne leur permette de rentrer dans leurs frais en ajustant les tarifs, quitte à laisser leurs abonnés dans l’obscurité la majeure partie de la journée. D’autres, qui habitent généralement dans la même zone, franchissent le pas en répercutant le surcoût sur les factures, les effectifs du ministère de l’Économie, qui sont chargés de contrôler les prix, n’étant tout simplement pas assez pourvus pour contrôler les 4 000 propriétaires de générateurs répartis dans le pays, selon une étude de la Banque mondiale publiée en 2020. Enfin, d’autres iraient jusqu’à revendre eux-mêmes au noir une partie des quantités qu’ils achètent au prix officiel, un cas de figure rapporté par un habitant de la capitale. Il existe malgré tout certains exploitants de bonne foi, qui sont obligés de couper leurs générateurs pour les reposer après de longues périodes d’utilisation en pleine chaleur, pour les réparer ou parce qu’ils n’ont simplement pas trouvé de quoi les approvisionner.

De deux choses l’une : soit il y a bien une pénurie de mazout au Liban forçant l’arrêt des groupes électrogènes palliant le manque d’approvisionnement en courant d’Électricité du Liban (EDL) ; soit il existe un stockage malicieux de ce carburant essentiel par certains acteurs dans l’attente de prix plus juteux liés à une levée prochaine des subventions. Dans les deux cas,...

commentaires (5)

Voilà ils ont trouvé un nouveau moyen de voler les libanais. Mazout au marché noir ou pas d’électricité du tout. Je suis sidéré par les réalisations extraordinaires de ce régime qui se résument en : morts, destructions, malheurs et émigration massive. Je vous invite à aller voir les bureaux de la Surete Generale pris d’assaut pour les demandes de passeport

Lecteur excédé par la censure

12 h 15, le 11 août 2021

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Commentaires (5)

  • Voilà ils ont trouvé un nouveau moyen de voler les libanais. Mazout au marché noir ou pas d’électricité du tout. Je suis sidéré par les réalisations extraordinaires de ce régime qui se résument en : morts, destructions, malheurs et émigration massive. Je vous invite à aller voir les bureaux de la Surete Generale pris d’assaut pour les demandes de passeport

    Lecteur excédé par la censure

    12 h 15, le 11 août 2021

  • Tout ce qu'ils font, mènera de plus en plus vers la dérive. Il n'y a que le soutien des fonds monétaires en parallèle avec des réformes crédibles en parallèle avec un gouvernement crédible, qui peut nous retirer de cet enfer voulu.

    Esber

    11 h 44, le 11 août 2021

  • Cette crise du mazout crée de toute pièce par l’état lui même est une mane pour tous ces voleurs pour pouvoir se déplumer après avoir eu le beurre et l’argent du beurre ils lorgnent sur la crémière. Ce ne sont pas les politichiens qui sont à blâmer mais ce peuple qui, plus on l’humilie plus il en redemande. Ne pas réagir à toutes les catastrophes qui les touchent n’est autre qu’un permis de massacrer et d’humilier qu’ils accordent à ces moins que rien qui, vu le laxisme du peuple se permettent de pousser le bouchon aussi loin que la patience et la servitude du peuple le leur permet. Les libanais sont en colère mais la refoulent et on se demande de quelle pâte ils sont fait. De quoi ont ils peur pour aller arracher leurs droits à cette mafia? Celui qui a peur meurt tous les jours, mais celui qui n’a pas peur ne meurt qu’une fois a dit un jour le juge Giovanni Falcone, mort pour sauver les italiens du racket, des meurtres et des actes criminels de la mafia tout comme le juge Paolo Borsellino et tant d’autres. mais grace à leur sacrifice la mafia est en train de croupir en prison. Où sont nos Falcone, Borsellino et Grassi à nous? Ils attendent la repentance des mafieux? Ça ne sera pas demain la veille.

    Sissi zayyat

    11 h 37, le 11 août 2021

  • ..> gentils les 2 auteurs de ce papier. parce que peut on en degager une de reponse claire s'agissant de tout ce magma ou les crapules du publique & maintenant surtout celles du prive ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 20, le 11 août 2021

  • Gabegie, absence de transparence et clientélisme…tout ce qu’il faut pour que ce ne fonctionne pas

    mokpo

    09 h 08, le 11 août 2021

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