Face à un pouvoir plongé dans une apathie asthénique chronique, c’est encore une fois le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, qui a pointé du doigt les dérives résultant de l’affaiblissement de l’État central et de la montée en puissance d’un groupe armé, le Hezbollah, qui s’est substitué aux autorités constitutionnelles dans la prise de décisions stratégiques qui engagent le sort du pays et des Libanais. Dans son homélie d’hier, le chef de l’Église maronite a dénoncé ces dérives et s’est attelé à déconstruire l’argumentation développée la veille par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, pour tenter de justifier les tirs de roquettes contre Israël. En ce faisant, il a surtout recentré le débat sur la décision de guerre et de paix que s’arroge la formation chiite depuis des années.
À la logique de « la préservation des règles d’engagement » avec Israël et du « maintien de l’équilibre de la terreur » défendue samedi par Hassan Nasrallah, Mgr Raï a opposé, textes juridiques et constitutionnels à l’appui, celle de « la primauté des décisions de l’État central en fonction des intérêts du Liban ». Son discours lui a valu d’être la cible d’une violente campagne de dénigrement lancée par des partisans et alliés du Hezbollah contre lui sur les réseaux sociaux.
Les propos du chef de l’Église maronite détonaient hier avec le vide sidéral qui s’est manifesté au niveau officiel, après les tirs de roquettes survenus mercredi, en pleine commémoration de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, contre la partie nord d’Israël. Les autorités n’ont réagi que pour dénoncer la riposte israélienne qui a suivi, puis de nouveau les raids israéliens de vendredi alors qu’une nouvelle salve de roquettes tirées à partir de Chouaya, dans le caza de Hasbaya, s’abattait sur le plateau occupé du Golan.
Les priorités des Libanais
Quant à la responsabilité première au niveau du réchauffement à la frontière, elles l’ont complètement ignorée, comme si elles trouvaient normal que le Hezbollah décide du timing et du lieu pour bombarder Israël. Et cette anomalie, le patriarche l’a relevée, dans une démarche inhabituelle, en rappelant aux responsables libanais que Beyrouth est « officiellement engagé par l’accord d’armistice de 1949 » et, plus encore, que les Libanais ont aujourd’hui d’autres priorités, en rapport avec leur propre survie, que d’entrer en guerre contre Israël. « Nous nous tenons aux côtés de nos compatriotes au Sud pour dénoncer la tension (à la frontière), eux qui ont en assez, et ils ont parfaitement raison, des guerres, des morts, des exodes et des destructions », a d’emblée affirmé le patriarche. « Nous dénonçons les violations israéliennes répétées au Liban-Sud et les violations de la 1701, mais nous dénonçons le réchauffement de la frontière à partir des zones résidentielles », a-t-il encore dit, avant d’affirmer « ne pas pouvoir accepter au nom de l’égalité de tous devant la loi, qu’une partie s’arroge la décision de guerre et de paix en dehors du cadre de la légalité nationale que représente le Conseil des ministres, conformément à l’article 65 de la Constitution ». Et de poursuivre : « Il est vrai que le Liban n’a pas signé un accord de paix avec Israël, mais il est tout aussi vrai qu’il n’a pas décidé de lui faire la guerre et reste engagé par l’accord d’armistice de 1949. » Ces propos en particulier ont entraîné une série de réactions violentes.
Le patriarche a ensuite rappelé que le Liban est « aujourd’hui engagé dans des négociations avec Tel-Aviv autour de la prospection gazière et pétrolière off-shore ». « Il est en quête de paix, d’issues à ses crises et ne veut pas être impliqué dans des opérations militaires suscitant des ripostes israéliennes destructrices », a-t-il fait valoir, avant de demander à l’armée et à la Finul de prendre le contrôle de l’ensemble du territoire méridional, d’appliquer strictement la résolution 1701 (adoptée en 2006 pour rétablir une cessation des hostilités entre Israël et le Liban), et, surtout, d’empêcher le lancement de roquettes depuis le territoire libanais, non pas tant pour préserver la sécurité d’Israël mais plutôt celle du Liban. « Nous voulons en finir avec la logique de la guerre au profit de celle de la paix et de l’intérêt du Liban et des Libanais », a-t-il encore plaidé.
Considérations géographiques
Dans son discours samedi soir, le chef du Hezbollah avait accusé Israël de chercher à modifier les règles d’engagement au Liban-Sud, expliquant en substance que son parti ne laissera pas faire et laissant entendre par la même occasion que le Hezbollah ne cherche pas une confrontation ouverte avec l’État hébreu. Il a expliqué par cette équation le fait que ses combattants aient choisi de bombarder une région israélienne « ouverte ». « Si nous pouvions lancer des roquettes de nos villages chiites pour atteindre les zones ouvertes non habitées des hameaux (de Chebaa), nous l’aurions fait. Ce sont les considérations géographiques et militaires qui nous ont imposé le choix du site », a-t-il expliqué, en allusion à Chouaya, qui est un village druze, tout en multipliant les menaces à l’encontre d’Israël.
Anticipant les réactions locales aux tirs de roquettes, il avait mis en garde contre toute « tentative de miser sur un clivage autour de la Résistance ». « De toute façon, ce clivage est vieux. Il n’y a jamais eu d’unanimité nationale autour de la Résistance », a-t-il observé. Le déchaînement d’internautes contre le patriarche sur les réseaux sociaux et les contre-réactions tout aussi violentes en sont la preuve.
Quoi qu’il en soit, venant de la plus haute autorité chrétienne, dans un contexte de clivage politique aigu et alors que certains font assumer au Hezbollah la responsabilité du stock de nitrate d’ammonium qui a pulvérisé Beyrouth, les critiques de Bkerké ne peuvent qu’embarrasser une formation chiite soucieuse de maintenir la couverture chrétienne que lui assure son alliance avec le Courant patriotique libre, le parti fondé par le président Michel Aoun. Elles embarrassent aussi un chef de l’État qui semble s’accommoder de plus en plus de la spoliation de la décision de guerre et de paix au profit d’un groupe armé, certes libanais, mais transnational et dont la stratégie militaire est dictée essentiellement par les intérêts de l’Iran, son parrain, et auxquels le Liban demeure étranger.
commentaires (16)
Je ne suis pas surpris de voire le public Hezbollahis recourir a ces methodes. Elles refletent finalement les vraies valeures de ce public: l'insulte, la violence, le refus de l'autre etc... tout cela est prouvé. je suis par contre EXTREMEMENT SURPRIS par le manque de reaction du president de la republique ! le patriarche maronite se fait insulter de la sorte et "fakhémto" est aux abonnés absent ?!? je suis surpris, mais a un degré moindre, par le manque de reaction de Nabih Berri. Quand aux Chiites hezbo-Irano-resisto-machin il est de plus en plus en clair que les "autres" libanais ne peuvent plus vivre avec eux.
Lebinlon
10 h 35, le 10 août 2021