
Le port de Beyrouth après l’explosion du 4 août 2020. Photo d'archives AFP
S’il n’a fait que répéter des doutes déjà exprimés à propos de l’enquête sur la double explosion meurtrière au port du 4 août 2020 et repris certains arguments largement diffusés dans les milieux du Hezbollah, le chef du parti chiite, Hassan Nasrallah, a été un peu plus loin cette fois-ci. Dans un discours principalement destiné à blanchir son parti, pointé du doigt dans ce dossier, il a développé, samedi, toute une argumentation destinée à ôter toute crédibilité à l’investigation du juge d’instruction dans cette affaire, Tarek Bitar.
Une énième manœuvre visiblement destinée à torpiller le travail du juge qu’il accuse d’être « politisé », souhaitant le voir bientôt remplacé. S’il parvient à ses fins, ce serait le second enquêteur, après Fadi Sawan, qui aura été dessaisi de l’affaire.
Dans son discours, Hassan Nasrallah a dénoncé les accusations – qui restent extrajudiciaires à ce stade – dont son parti fait l’objet au sujet des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium qui étaient stockées au port depuis 2013 et qui ont explosé suite à un incendie, faisant plus de 200 morts, 6 500 blessés et ravageant des quartiers entiers de la capitale. Le leader chiite a demandé au juge Bitar de fournir des preuves pour étayer sa décision de convoquer des responsables pour les interroger. Le juge d’instruction avait mis en cause, le 2 juillet dernier, 9 hauts responsables politiques et sécuritaires, dont deux députés du mouvement Amal, son principal allié politique, et le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, un homme considéré proche du Hezb.
« Où sont les preuves ? » s’est interrogé le secrétaire général du Hezbollah, appelant le juge Bitar à partager ses conclusions. « L’enquête est politisée, a-t-il lancé. Soit il doit travailler (...) de manière claire, soit la justice doit trouver un autre juge. »
Le leader chiite assure, à qui veut l’entendre, qu’il ne permettra pas que ce dossier soit politisé et encore moins que certaines parties soient ciblées. Des propos et un ton qui, à n’en point douter, sont enrobés de menaces et de tentative d’intimidation. Pour de nombreux juristes, les motifs avancés par le dignitaire chiite et la logique qu’il défend relèvent de la pure hérésie.
Selon un ancien magistrat, Hassan Nasrallah ne peut tout de même pas ignorer les étapes d’une procédure judiciaire et sait pertinemment que l’affaire n’a pas encore atteint le stade de l’inculpation.
Par conséquent, dit l’ancien juge, il ne peut réclamer « des preuves », ce qui va d’ailleurs à l’encontre du secret de l’enquête.
« Le juge Bitar est sommé de rendre public le rapport technique ou au moins avancer les raisons qui justifient le retard mis pour révéler ce rapport », indique une source proche du parti chiite. Selon cette source, ce n’est d’ailleurs pas seulement le Hezb qui soulève des interrogations au sujet de l’enquête, mais « d’autres parties » également. Une allusion au mouvement Amal, dont deux des figures-clés sont mises en cause (Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter) et aux Marada, dont un ancien ministre, Youssef Fenianos, est également pointé du doigt.
Ce n’est pas la première fois que le Hezbollah tente de jeter le doute sur une enquête judiciaire. On se souvient de la campagne menée tambour battant contre le Tribunal spécial pour le Liban chargé de juger les assassins de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri. Et le TSL a d’ailleurs fini par condamner un membre du Hezb, Salim Ayache, dans cette affaire.
Si le chef du parti chiite a insisté dans son discours, et pour la seconde fois consécutive, sur l’aspect dit « technique » du dossier du port – à savoir qui ou qu’est-ce qui a provoqué l’explosion – c’est tout simplement pour se rabattre sur le rapport qui soutient la thèse de l’accident dû à la négligence.
Le leader chiite écarterait ainsi l’hypothèse d’un éventuel acte de sabotage ou d’une frappe israélienne, deux autres pistes que le juge Bitar n’a toujours pas épuisées alors qu’il poursuit son enquête. Les personnes mises en cause à ce jour sont soupçonnées d’avoir pris connaissance de l’entreposage de la substance explosive sans rien faire.
Le directeur exécutif de L’Agenda Légal, Nizar Saghiyé, critique notamment le fait que dans son discours, le secrétaire général du Hezbollah a avalisé le rapport établi par les services de renseignements de l’armée et ceux des FSI qui retiennent la thèse de la « soudure » effectuée dans la porte en fer du Hangar n° 12. Il dénonce à ce propos le fait que le Hezb continue d’avancer la thèse des « assurances qui refusent de compenser quelques-unes parmi les victimes », en attendant que la lumière soit faite sur les causes techniques de l’explosion. Une énigme que Hassan Nasrallah a vraisemblablement tranchée par lui-même.
« En insistant sur une explosion provoquée par un incident due à la soudure, il élimine donc la possibilité d’un acte de guerre ou d’un acte terroriste », dit M. Saghiyé. « Le juge a la souveraineté totale dans son enquête et ne peut être contraint par aucune autre thèse. Après tout, c’est lui et personne d’autre qui établit la vérité judiciaire », souligne-t-il.
À ce jour, le Parlement a refusé de lever l’immunité des députés dont la responsabilité a été mise en cause. Il y a quelques semaines, une pétition a été signée par une trentaine de députés, visant clairement à contourner l’enquête du juge Bitar. Cette initiative a poussé les familles des victimes et une large partie des Libanais à qualifier les signataires dont font partie les membres du bloc du Hezbollah « de députés du nitrate et de députés de la honte ». Des propos que le secrétaire général a stigmatisés.
« Il y a dans le discours de Nasrallah une incohérence certaine. Non seulement il souscrit à cette pétition, ce qui signifie que les accusations du juge ont, à ses yeux, un fondement juridique. D’un autre côté, il considère que les demandes du juge sont politiques. On n’y comprend plus rien », commente l’ancien ministre de la Justice Ibrahim Najjar.
S’il n’a fait que répéter des doutes déjà exprimés à propos de l’enquête sur la double explosion meurtrière au port du 4 août 2020 et repris certains arguments largement diffusés dans les milieux du Hezbollah, le chef du parti chiite, Hassan Nasrallah, a été un peu plus loin cette fois-ci. Dans un discours principalement destiné à blanchir son parti, pointé du doigt dans ce...
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" La médisance et la calomnie sont le fort des traîtres. " Citation de Pierre-Claude-Victor Boiste ; Le dictionnaire universel
Sabri
19 h 54, le 09 août 2021