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Les grandes chaleurs

Quelque chose devra forcément craquer : ce sentiment étreint confusément nombre d’entre nous, à l’orée d’un mois d’août qui s’annonce brûlant sans que les canicules de saison y soient pour grand-chose. On pouvait compter en effet sur l’endémique incurie des autorités pour voir s’enflammer non plus l’atmosphère, mais la terre.


Une fois de plus, un État criminel se fait prendre culottes baissées devant l’ampleur des incendies de forêt qui, depuis mercredi, ravagent de larges portions du territoire. Une fois de plus, impréparation et désorganisation font loi malgré l’héroïsme des équipes de la Défense civile qui combattent le feu quasiment à mains nues, alors que finit de rouiller, faute d’entretien, le matériel tant roulant que volant. En plus d’un lieu, des populations à l’abandon ont donc dû se débrouiller comme elles pouvaient, à l’aide de seaux, baquets et autres récipients de fortune, pour sauver leurs habitations.


Assassin, voleur, naufrageur et maintenant pyromane, quels autres talents cache encore ce non-État ? À la veille de la date fatidique du 4 août, regardez donc la mafia politique s’activer à racler les fonds de ses tiroirs à malices. Nul n’ignore que ce premier anniversaire de l’explosion du port de Beyrouth, qui fit plus de 200 morts, près de 7 000 blessés et détruisit toute une partie de la capitale, ne saurait passer comme une lettre à la poste, alors que les responsables de ce cataclysme demeurent impunis.


Trop intenses en effet sont la frustration et la colère des familles des victimes, que partage à juste titre le grand public. Trop grossiers sont, en revanche, les subterfuges et coups de bluff multipliés par divers bords pour faire obstruction à la justice dans l’affaire du port : le plus révoltant étant que ces manœuvres ont notamment pour théâtre l’Assemblée, pourtant censée incarner et répercuter la voix du peuple. Ainsi, et sous prétexte de s’en remettre à une haute, mais largement fictive cour d’exception, une pétition parlementaire n’avait d’autre objet, en réalité, que de neutraliser les poursuites engagées contre plusieurs élus, arguant abusivement de leur immunité. À menteur, menteur et demi : c’est la levée des immunités à tous les échelons de la pyramide étatique que d’autres s’efforcent de marketiser auprès des blocs les plus divers.


Piqué au vif, le président de la République vient de se mettre de la partie. Au lendemain de la catastrophe du port, le chef de l’État avait admis avoir été informé du péril que représentaient les stocks de nitrate entreposés aux portes de la capitale, se défendant toutefois de détenir le moindre pouvoir sur les autorités portuaires. Hier, Michel Aoun se disait prêt à être entendu par le juge d’instruction Tarek Bitar, car nul n’est au-dessus de la justice. Entendu : le terme laisse paradoxalement sous-entendre que les choses ne sauraient en aucun cas aller plus loin ; de fait, la formule était aussitôt saisie au bond et revendiquée par un des députés poursuivis, tandis que le président de l’Assemblée se déclarait favorable à une levée des exonérations dont jouissent les parlementaires. De ce vertueux concert de bonnes résolutions, faut-il donc conclure que cette scélérate immunité sera pour tous ou ne sera pas ? Mais bon sang, de quelle immunité, de quelle inviolabilité ose-t-on encore parler, s’agissant d’une hécatombe aussi effroyable que celle du 4 août 2020 ?


Outre l’explosif dossier du port, la météo politique pour le mois d’août se ressentira probablement aussi des tractations pour la formation d’un nouveau gouvernement. Cette double pierre d’achoppement qu’est l’attribution, à tels ou tels courant ou confession, des portefeuilles de l’Intérieur et de la Justice revêt aujourd’hui une portée particulière. Ces départements figurent en tête de ceux dits régaliens, c’est-à-dire dont la fonction est inhérente au caractère souverain de tout État digne de ce nom. La souveraineté n’est plus qu’un souvenir; mais à l’heure des échanges de piques entre membres du même establishment qui a mis à terre le Liban, reste quand même deux instruments de pouvoir bassement politicien. Deux solides polices d’assurance en ces temps d’incertitude.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Quelque chose devra forcément craquer : ce sentiment étreint confusément nombre d’entre nous, à l’orée d’un mois d’août qui s’annonce brûlant sans que les canicules de saison y soient pour grand-chose. On pouvait compter en effet sur l’endémique incurie des autorités pour voir s’enflammer non plus l’atmosphère, mais la terre. Une fois de plus, un État criminel se...