Des juges d'instruction anticorruption à Paris ont été chargés début juillet de poursuivre les investigations sur le riche patrimoine en Europe du gouverneur de la banque centrale du Liban, Riad Salamé, et de son entourage. Il s'agit d'une nouvelle étape importante dans cette affaire emblématique de la crise économique au Liban.
Le parquet national financier (PNF), qui menait depuis fin mai une enquête préliminaire, à la suite de deux plaintes déposées contre M. Salamé et son entourage, a ouvert le 2 juillet une information judiciaire contre X pour "blanchiment en bande organisée" et "association de malfaiteurs", a indiqué vendredi le parquet anticorruption à l'AFP.
Les juges d'instruction du pôle financier du tribunal de Paris bénéficient de pouvoirs d'enquêtes plus étendus, notamment en matière de coopération internationale ou d'éventuelles saisies de biens des suspects.
"Nous appelions de nos vœux l'ouverture d'une information judiciaire qui nous permettra d'avoir accès au dossier", une fois les protagonistes entendus par les juges, "et de savoir quelles sont les personnes qui se trouvent derrière les organismes qui ont déposé plainte et quels sont leurs vrais buts", a réagi auprès de l'AFP Me Pierre-Olivier Sur, avocat de M. Salamé, qui "conteste les faits dans leur globalité". "Nous sommes les premiers à avoir déposé plainte pour dénonciation calomnieuse et tentative d'escroquerie au jugement contre l'officine française qui a diffusé le premier rapport d'investigations", a-t-il rappelé.
"C'est tout un mécanisme systémique d'évaporation et de blanchiment de sommes gigantesques qui va être mis au jour", ont souligné à l'inverse Mes William Bourdon et Amélie Lefebvre, avocats de deux des plaignants, l'association Sherpa et le "Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban", constitué par des épargnants spoliés lors de la crise qui frappe le pays depuis 2019.
"Un bouc-émissaire"
Arrivé à la tête de la banque centrale libanaise en 1993, après vingt ans comme banquier d'affaires chez Merill Lynch à Beyrouth et Paris, l'influent Riad Salamé, qui aura 71 ans samedi, a longtemps été salué par la classe politique libanaise et le monde économique. Mais alors que le Liban est confronté à une crise économique sans précédent, ce proche du clan de la famille Hariri est aujourd'hui conspué par la rue, qui le soupçonne d'avoir, comme d'autres hauts responsables du pays, discrètement transféré d'importantes sommes à l'étranger lors du soulèvement d'octobre 2019, malgré les restrictions draconiennes imposées par les banques.
En avril, alors qu'il était déjà visé depuis plusieurs mois par une enquête en Suisse pour "blanchiment d'argent aggravé" et "un éventuel détournement de fonds au détriment de la Banque du Liban", deux plaintes avaient été déposées en France, où M. Salamé, franco-libanais, possède plusieurs biens immobiliers. La première provient de la fondation suisse Accountability Now, qui estime à "plus de 150 millions d'euros" le patrimoine - résidences, bureaux en location, etc. - détenu par le gouverneur et son entourage entre la France, l'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne et la Belgique, selon son avocat suisse Zena Wakim, cité par le quotidien Le Monde. Dans la seconde plainte, Sherpa et le collectif accusent M. Salamé et quatre membres de son entourage - son frère Raja, son fils Nadi, son neveu et une proche collaboratrice à la banque centrale libanaise, Marianne Hoayek - d'avoir constitué frauduleusement leur patrimoine en Europe.
Dans ce nouveau cadre procédural, les associations plaignantes bénéficieront d'un accès aux investigations et pourront solliciter des actes d'enquête auprès des magistrats.
Riad Salamé s'est défendu à plusieurs reprises dans les médias, estimant être le "bouc-émissaire" de la crise économique. Il affirme avoir fait légalement fructifier le patrimoine de 23 millions de dollars (19,5 millions d'euros) qu'il détenait en 1993, au moment de sa prise de fonction comme gouverneur de la banque centrale. Ce patrimoine provenait, selon lui, de deux héritages et des revenus perçus lorsqu'il travaillait pour Merrill Lynch.
Les investigations sur son patrimoine s'inscrivent dans la lignée des affaires des "biens mal acquis", surnom donné aux dossiers dans lesquels la justice française, poussée par le combat d'ONG, scrute l'origine du patrimoine en France de dirigeants étrangers, notamment africains ou moyen-orientaux, et potentiellement acquis avec de l'argent public détourné.
commentaires (5)
Cette série est assez intéressante. Un scénario pour un film d'action. L'important, c'est la fin. Coupable ou non coupable ?
Esber
17 h 28, le 17 juillet 2021