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Rien de commun avec ce cadavre

Voilà des mois que chaque 4 du mois, nous ajoutons une croix au décompte du vide. Bientôt un an et toujours rien, aucun résultat d’enquête, aucun procès, sauf la confirmation et désormais la certitude que ce régime se montre lui-même du doigt dans le crime le plus abject et l’explosion la plus monstrueuse du XXIe siècle. À se couvrir ainsi les uns les autres et se dérober à la justice, ces dirigeants qui ne dirigent que leurs propres affaires avouent de manière tacite avoir trempé à divers degrés dans l’acheminement et/ou le stockage irresponsable des matières létales qui ont arraché la moitié de la ville. Pour complaire à qui ? En contrepartie de quoi? Comment ne pas se poser ces questions qui entourent et rendent suspects au final tous ces caciques qui se distinguent depuis plusieurs décennies par leur opacité et leurs allégeances occultes ?

Mardi, soutenus par des concitoyens encore fidèles à la révolte du 17 octobre, et en qui la quête quotidienne d’essence, de nourriture et de médicaments n’a pas étouffé la soif de justice, les familles des victimes de la double explosion au port avancent vers le domicile du ministre sortant de l’Intérieur. Le but de ce rassemblement est d’exiger la comparution, à la demande du juge d’instruction Bitar, du général Abbas Ibrahim. Ce dernier, comme d’autres poursuivis par le même juge, bénéficie d’une couverture politique que ses pairs se refusent à lever. Si nul ne peut être interrogé, quelle justice peut-on espérer ?

Hautement symboliques sont les cercueils factices que ces Libanais éplorés transportent jusqu’au seuil du ministre, espérant remuer en lui quelque empathie. Mais que nenni. Du reste, on sait depuis longtemps à quoi s’attendre avec ces gens-là. Des cercueils, donc, et ils glissent d’épaule en épaule, fendant la foule pour aller, avec des chocs funèbres, s’accumuler devant le grand portail de verre. « Laissez passer notre cortège, dit calmement, fermement, Paul Najjar à travers le porte-voix : c’est le second enterrement de nos enfants et de nos proches. » Les forces de l’ordre et autres gardes privés repoussent le groupe avec une violence croissante. Déstabilisés bien que surarmés face aux mains nues de la foule endeuillée, ils hurlent, vocifèrent, s’agitent en tout sens, donnent aveuglément de la matraque et tout ce qui leur tombe sous la main. Des protestataires bombent les boucliers antiémeute de graffitis infamants. Les gendarmes se bousculent, ignorant, dans la tension du moment, les symboles tagués sur le plexi transparent supposé les protéger, et qui dégradent leur statut et leur rôle. L’instant le plus jubilatoire est sans doute celui où un agent en civil particulièrement virulent se reçoit un cercueil dans le groin. On sent se réveiller en soi un soi cruel que seule la justice est à même de tempérer. On sait désormais que si les tribunaux ne s’en chargent pas, l’impunité va ouvrir la voie à des dérapages incontrôlés. La vidéo circule abondamment. Avec ce surréalisme et ce côté tragi-comique propres au Liban, elle diffuse un parfum de victoire et ranime un feu qu’on croyait éteint.

Le 5 juillet, le rapporteur de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale française formulait clairement et franchement ce que nous n’osons encore nous avouer : « Le Liban d’antan n’existe plus. » Le Liban d’antan, pour nombre d’entre nous, c’est un pays lacéré par les guerres et le sectarisme, et un peuple non gouverné, assommé par un chaos endémique qui l’empêche de se projeter dans l’avenir. Tout deuil est difficile, mais à y regarder de près, il n’y a rien à regretter dans ce gâchis. Quant à la classe gouvernante, comme l’affirmait Victor Hugo dans son « Appel aux Allemands » au lendemain de la capitulation de Napoléon III : « Nous n’avons rien de commun avec ce cadavre. » Le 4 août approche. Un an après le crime, la colère pour un temps étouffée sous le poids de la crise économique se réveille. Si la justice tarde à venir, elle sera terrible. Il y a une fin à tout. La fin de ce Liban qui ne ressemble pas à son bon peuple, nous l’espérons sous la forme d’un déluge électoral qui emportera enfin les résidus virulents du passé avec tous leurs variants.

Voilà des mois que chaque 4 du mois, nous ajoutons une croix au décompte du vide. Bientôt un an et toujours rien, aucun résultat d’enquête, aucun procès, sauf la confirmation et désormais la certitude que ce régime se montre lui-même du doigt dans le crime le plus abject et l’explosion la plus monstrueuse du XXIe siècle. À se couvrir ainsi les uns les autres et se dérober à la...

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