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Moyen-Orient - ÉGYPTE

Sissi célèbre en grande pompe les succès de sa « nouvelle République »

Le président égyptien a inauguré au début du mois la base navale du « 3 juillet » en compagnie d’alliés régionaux, dans le sillage d’une large campagne médiatique visant à promouvoir le bilan de son régime sept ans après son élection à la tête de l’État.

Sissi célèbre en grande pompe les succès de sa « nouvelle République »

Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, au centre, accompagné du prince héritier d’Abou Dhabi, le cheikh Mohammad ben Zayed, lors de l’inauguration de la nouvelle base navale du « 3 juillet » à Gargoub, à 80 kilomètres à l’ouest de la ville égyptienne de Marsa Matruh. Photo AFP

Le ciel est immaculé en ce samedi de juillet dans la petite ville portuaire de Gargoub, à quelques centaines de kilomètres à l’ouest d’Alexandrie. Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, parade aux côtés du prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed (MBZ), et de Mohammad Menfi, fraîchement élu président du Conseil en Libye voisine. Les trois hommes sont réunis pour l’inauguration de la nouvelle base navale du « 3 juillet ». Ailleurs, le spectacle aurait pu être un simple exercice militaire anecdotique. Mais, ici, chaque détail est le fruit d’un projet plus vaste ; la pièce rapportée d’un ensemble dont les fondations ont été posées il y a des années. Tout, du nom du site aux protagonistes en présence, est pensé pour mettre en scène la réussite de la « méthode Sissi » sur le plan intérieur et régional.

Le président égyptien est coutumier de ce genre de mégaprojets conçus pour impressionner la galerie. En 2015, des affiches géantes arrimées aux rues de la capitale se félicitent de l’extension du canal de Suez, célébré comme un « miracle égyptien » et un « cadeau au reste du monde ». D’autres projets phares incluent la construction du plus grand pont suspendu au monde ou encore l’échafaudage d’une nouvelle capitale administrative conçue pour désengorger Le Caire. Mais avec cette infrastructure militaire qui s’étend sur près de 1 000 hectares – la plus large d’Égypte avec une capacité d’accueil de 50 navires – le chef de l’État mise aujourd’hui sur le volet sécuritaire, un registre sur lequel il capitalise depuis son accession en 2014 à la présidence qui, dès le départ, est placée sous le signe de la stabilité et du combat contre les groupes jihadistes. La nouvelle base est située à 135 kilomètres à l’est de la frontière libyenne, elle-même devenue au fil des dernières années un enjeu de taille et une source d’inquiétude pour les Égyptiens qui, face aux soubresauts du conflit voisin, craignent une montée en puissance des groupes islamistes aux portes du pays. Au-delà du positionnement stratégique en Méditerranée orientale et de la protection des ressources en hydrocarbures, la base a également officiellement vocation à défendre les intérêts économiques – le port étant équipé de quais commerciaux – tout en offrant un paravent contre les flux migratoires clandestins. En invitant ses amis émiratis et libyens, le président égyptien transforme aussi cette opération de communication politique en moment diplomatique qui lui permettra d’aborder les grands dossiers qui lui tiennent à cœur, comme le barrage hydroélectrique construit par les Éthiopiens et qui menace de pomper sur les réserves nationales en eaux.

« Des instructions claires »

Derrière ces enjeux terre à terre, se cachent d’autres plus symboliques. La base du « 3 juillet » a été choisie en hommage à la date anniversaire du coup d’État de 2013 mené par M. Sissi alors qu’il était encore ministre de la Défense contre le président Mohammad Morsi issu de la mouvance des Frères musulmans. Chaque année à la même période, la grand-messe du régime commémore les épisodes fondateurs qui ont jalonné l’accession au pouvoir du « général Sissi »: le 8 juin, date de prise de fonction officielle en 2014, ou encore le 30 juin, jour des manifestations ayant précédé la chute du président Morsi en 2013. Le 30 juin dernier, Abdel Fattah al-Sissi célébrait ainsi cette « révolution glorieuse », « grâce à laquelle l’Égypte a retrouvé son identité nationale ». Après la révolution de janvier 2011, la chute de l’ancien « dictateur immobile » Hosni Moubarak, puis les errements de l’intermède « islamiste » en référence aux 12 mois de la présidence Morsi, 2013 marque l’année zéro de ce qui sera bientôt désigné comme une « nouvelle République ».

Ce discours, tout comme la mise en scène de la puissance militaire à Gargoub, poursuit en fait une campagne débutée le mois précédent à travers les médias du pays. L’idée est simple : il faut faire parler, faire les louanges du régime et célébrer ses performances au cours des 7 dernières années. Les journaux font leur gros titres sur « la naissance d’une nouvelle République » (el-Masri el-Yom), célèbre « un grand plan de réforme » (el-Yom el-sebe’) ou bien encore « l’image d’une Égypte moderne » (el-Bouaba News). Sur les chaînes de télévision nationales, les invités se succèdent afin de vanter les « succès » du régime, à l’image du journaliste Adel Hamoudi qui dans le programme Min Misr vante le bilan sécuritaire de l’État qui est parvenu à éviter le sort d’autres pays de la région. « Des instructions claires ont été données afin de mettre en lumière les réussites de Sissi, et d’éviter toute référence aux informations négatives, même s’il s’agit de l’effondrement de bâtiments ou d’accidents ferroviaires », explique le média indépendant Mada Misr qui a mené l’enquête à travers plusieurs rédactions. Un journaliste interrogé par le site d’information dévoile les détails de cette « opération séduction » pilotée par des agences médiatiques gouvernementales dont certaines sont directement rattachées au bureau de la présidence : « les instructions envoyées sont accompagnées d’une liste exhaustive des réussites à mettre en avant, classées par ordre d’apparition et accompagnées d’éléments spécifiques les illustrant », rapporte le site.

Une vitrine néolibérale

Au cœur de ces « réussites », la question du « développement » et des avancées socio-économiques. Dès sa campagne électorale de 2014, le général met l’accent sur une opération de sauvetage de l’économie nationale : la révolution de 2011 a coûté cher au secteur touristique et les investissements étrangers ont chuté. Dans ce contexte, le futur président promet de réduire le taux de pauvreté, de développer le secteur agricole, la politique de logements, ou encore le système éducatif. C’est cette même thématique que la campagne d’aujourd’hui entend poursuivre, en tentant cette fois de vendre le produit final. Mais pour certains observateurs, le calendrier de cette offensive médiatique n’est pas anodin. « Selon plusieurs sources, cette campagne pourrait constituer les prémices d’un tournant politique important », rapporte Mada Masr, mentionnant la possibilité d’une nouvelle réforme constitutionnelle qui pourrait allonger encore d’avantage la possibilité pour M. Sissi de conserver la présidence.

Mais derrière ces projets pharaoniques et l’image d’une politique de modernisation agressive, la réalité socio-économique de la population est toute autre. Le niveau de vie des Égyptiens a en réalité dégringolé durant la présidence Sissi, notamment du fait de la dévaluation de la monnaie nationale et d’autres mesures d’austérité adoptées afin de répondre aux conditions du Fonds monétaire international qui a accordé un prêt de 12 milliards de dollars. Et si le taux de chômage a baissé de plus de deux points entre 2018 et 2019, le taux de pauvreté est quant à lui passé de 27,8 % à 32,5 % entre 2015 et 2018, selon la Central Agency for Public Mobilisation and Statistics. Ajouté à une ligne autoritaire faite de mesures anti-démocratiques (amendement constitutionnel permettant au président de rester au pouvoir jusqu’en 2030 ; criminalisation de l’opposition) et de mécanismes de répression multiformes (censure ; arrestations arbitraires ; restriction des libertés de manifester), ce contexte économique signifie que le pouvoir a en réalité troqué les aspirations économiques, politiques et sociales de la population pour une « vitrine néolibérale » faite de patriotisme exacerbé, d’une militarisation croissante, et de mégaprojets faisant illusion.

Le ciel est immaculé en ce samedi de juillet dans la petite ville portuaire de Gargoub, à quelques centaines de kilomètres à l’ouest d’Alexandrie. Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, parade aux côtés du prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed (MBZ), et de Mohammad Menfi, fraîchement élu président du Conseil en Libye voisine. Les trois hommes sont réunis pour...

commentaires (3)

Sissi est un president pragmatique et frequentable. Son alternative est connue, pitoyable et essayee.

Nadim Audi

23 h 03, le 10 juillet 2021

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Commentaires (3)

  • Sissi est un president pragmatique et frequentable. Son alternative est connue, pitoyable et essayee.

    Nadim Audi

    23 h 03, le 10 juillet 2021

  • Meilleurs souhaits à Sissi dans ses efforts à mettre l'Egypte sur le chemin de l'avenir! Il aura besoins d'efforts énormes!

    Wlek Sanferlou

    18 h 56, le 10 juillet 2021

  • Vous constatez que personne ne commente et ne s’intéresse à ces articles « cassant » le président Sissi. Vous perdez votre temps. À chaque fois. Lorsqu’un pdt sait que s’il lâche les rennes ,dans un pays où la religion passe avant l’économie, la culture, le tourisme, le pays… les frérots musulmans l’attendent au tournant. Ce pdt essaie de faire de son pays , un carrefour culturel et touristique. En grandes pompes … oui. Et alors? Voyez à l’époque, l’iran du chah était une référence… les grandes constructions etc… aujourd’hui ? En Égypte, les familles tranquilles et honnêtes vivent HEUREUSES . Même les français et étrangers y vivant. Seuls les râleurs, extrémistes gauches et intégristes foutent le bordel… la réponse est effectivement dure et catégorique parce que les pays arabes, en général, ne connaissent pas les limites de la démocratie et le respect de la différence d’autrui. Vous préférez l’egypte de Morsi alors?

    LE FRANCOPHONE

    11 h 34, le 10 juillet 2021

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