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Nos Lecteurs ont la Parole

L’armée n’est pas la création du système

Le jour où la fusion entre l’Égypte et la Syrie fut déclarée et après s’être adressé, en présence de Choukri al-Kouatli, aux millions de personnes qui le saluaient, Abdel Nasser s’est retiré au salon de la résidence d’hôte où Choukri al-Kouatli, le félicitant de cet évènement historique, lui dit en riant :

« Tu ne sais pas avec qui tu as fait cette fusion. Tu ne connais pas le peuple syrien. Tu as hérité d’une nation dont la moitié des membres sont des politiciens, le quart se considèrent comme des prophètes et le quart se considèrent comme des dieux. La Syrie est composée de gens qui rendent un culte à Dieu et d’autres qui rendent un culte à Satan (la confession des yézidis). Il y a même ceux qui rendent un culte à un organe spécifique des organes féminins car ils considèrent qu’il est la source de la vie. »

Le peuple libanais, tout comme le peuple syrien, est composé d’une multitude de « prophètes » ainsi que d’une multitude de dieux et de suppôts de Satan. Le Liban comprend de même des anges comme Gebran Khalil Gibran, un auteur dont les ouvrages ont été lus aux quatre coins du monde et qui est une source de grande fierté pour le pays. Mais il comprend aussi un autre Gebran qui est Gebran Bassil, qui a chargé son ami l’imam Hassan Nasrallah, d’allégeance iranienne et de passeport libanais et le chef de la milice armée qui gouverne le Liban, de la protection des droits des chrétiens !

Malgré la présence d’anges et d’hommes d’État comme Fouad Chéhab, Raymond Eddé, Saëb Salam et Riad el-Solh, les démons ont été plus forts, ce qui a mené à l’effondrement du Liban, tout comme l’effondrement de la Syrie, deux pays qui partagent plusieurs points communs.

Au Liban, certaines femmes sont plus viriles que les hommes et plus courageuses parce qu’elles disent la vérité. Yasmine Sabri, une femme cultivée et patriote, rencontrait ses amies dans un café à Batroun quand Gebran Bassil, l’ami de Hassan Nasrallah qui s’est déclaré le protecteur et le défenseur des droits des chrétiens, passa devant leur table, marchant avec arrogance et orgueil, accompagné des « baltajis » (voyous) du Courant patriotique libre. Elle ne put se contrôler et lui cracha à la figure. Elle fut alors attaquée et insultée par les « baltajis » de Bassil, mais le pire fut que ces derniers ont contraint le père de Yasmine à présenter des excuses à Gebran Bassil. L’héroïne Yasmine Sabri a publié une déclaration refusant l’excuse de son père, la considérant comme non avenue.

Cela rappelle la période de tension qui a régné entre Abdel Nasser et Khrouchtchev au cours de laquelle les deux leaders échangeaient des lettres ; à la fin de l’une d’elles, Khrouchtchev dit à Abdel Nasser : « Ne crache pas dans le puits, il se peut que tu aies besoin de boire son eau. » La réponse de Abdel Nasser fut alors qu’« on ne peut pas applaudir avec une seule main » et que « nous voulons sentir que la main que nous tendons vers vous en amitié ne restera pas pendue en l’air ». Yasmine Masri n’a pas craché dans le puits. Tout au contraire, elle a dit avec audace ce que tous les Libanais, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, disent lorsqu’ils entendent Gebran Bassil charger un cheikh religieux de tendance iranienne de la protection et de la défense des droits des chrétiens, un cheikh dont la milice trafique les drogues et blanchit l’argent, un cheikh qui protège les corrompus et la corruption et qui transforme le Liban avec « le père de tous » en un enfer terrifiant ! Yasmine Sabri a au moins élevé haut la voix contre l’humiliation, et en le faisant, elle fut la fierté du Liban !

La description précitée faite par Choukri al-Kouatli a été relatée par Abdel Nasser au maréchal Tito. Notons ici que les points similaires entre le Liban et la Yougoslavie de Tito sont que le Liban est un État multiconfessionnel et fragile, et la Yougoslavie était un État plurinational et plurilingue. Le maréchal Tito pour sa part décrivit à Abdel Nasser la situation de la Yougoslavie qui se transformait en un pays balkanique en état de guerre et il lui dit :

« Je fais face à sept problèmes complexes. Nous sommes un seul État mais nous utilisons deux alphabets : le latin et le slave. Nous avons trois religions : l’islam, le christianisme dans ses deux branches orthodoxe et catholique, et le judaïsme. Notre population parle quatre langues : le serbe, le croate, le slovène et le macédonien. Nous avons cinq peuples : les Slovènes, les Croates, les Serbes, les Monténégrins et les Macédoniens. Nous avons six républiques et nous sommes entourés par sept pays ! »

Lorsque l’écrivain Samir Atallah demanda à l’ambassadeur du Liban en Yougoslavie, le cheikh Mounir Takieddine, ce qui adviendrait des deux États après Tito et après Fouad Chéhab, l’ambassadeur répondit : « Je suis rassuré sur le sort du Liban avec Fouad Chéhab et je suis rassuré sur le sort de la Yougoslavie avec Tito. Mais après eux, qui sait ? »

Le Liban touche actuellement le fond et il se balkanise de plus en plus ! Le système actuel n’a aucune chance de survie ! Nous voulons dire par « système » la classe gouvernante, non le pays ! Mais l’armée fait-elle partie de la classe gouvernante ? Sûrement pas ! L’armée fait partie de l’État et non de la classe qui gouverne le pays en ce moment décisif de l’histoire du Liban. Depuis le 17 octobre 2019, il est devenu clair que le système actuel ne survivra plus du point de vue historique ! Il a été paralysé politiquement par un gouvernement formé par ce système même, suivi par un gouvernement intérimaire et puis par des conseillers qui ne comprennent rien et ne connaissent rien ! Quant au pouvoir politique, c’est une autre histoire. Il est probable que ses membres soient imposés par un parti ou élus, mais ils sont intégrés dans l’État afin de commander ses institutions. Pour cette raison, les organes de l’État resteront, mais l’autorité chargée de leur commandement est absente dans le contexte présent, d’où la crise ! Tout le monde est conscient de leur existence, mais l’autorité chargée de leur commandement est absente car elle est paralysée !

L’armée au Liban a un statut spécial et joue un rôle spécifique. L’armée n’est pas la création du système, mais de l’histoire et de la nature du Liban, et ainsi elle ne doit pas être tournée contre le peuple. La première révolution dans le Liban moderne fut celle de Tanios Chahine et fut menée par des forces armées. La deuxième révolution fut celle de 1958, mais ce furent les forces armées qui dispersèrent les combattants cette fois-ci ! Le 17 octobre 2019, les forces de la corruption, plus particulièrement les gardes du Parlement, ont usurpé la qualité de forces armées et ont agressé les civils, dont certains ont perdu un œil. Mais ces prétendues forces armées n’ont rien à voir avec l’armée ou avec son chef ! Le président Michel Aoun, qui dit de lui-même qu’il est « le père de tous », a fui l’armée après sa défaite lors de la guerre de libération et s’est réfugié en France pendant quinze ans ! Et quand il est revenu, il a fondé un parti !

C’est la fin du système actuel à tous les niveaux. Quand la classe gouvernante demande l’aide des forces armées, cela reflète la crise qu’elle traverse, et si elle demande l’usage de la force contre des civils, cela prouve qu’elle est au bord du suicide. Aucune superpuissance peut aider un système qui est incapable de se protéger ! Si Gebran Bassil est la seule alternative à Michel Aoun, dans ce cas notre peuple mérite la mort.

Seul le peuple est constant. Le peuple peut changer ses gouverneurs, mais aucun gouverneur ne peut changer son peuple ! Si la politique libanaise continue à être dictée par Aoun et son gendre, le peuple changera et deviendra iranien !

Tous les partis sont épuisés, mais le système a épuisé tout le monde. Nous faisons face à maints défis : des banques qui n’ouvrent pas leurs portes ou qui ne paient pas l’argent des déposants ; une absence d’alimentation en courant électrique ; des hôpitaux qui tirent la sonnette d’alarme ; une année académique qui vacille entre arrêt et continuation des cours ; un stock épuisé de denrées alimentaires et d’essence, etc. Bref, le système pousse le pays à une anarchie destructrice.

Une telle situation a besoin de forces politiques matures capables de combler le vide entre la légitimité et le pouvoir, mais il semble qu’elles sont incapables de le faire. Il paraît donc excessif d’attendre un rôle efficace de leur part. La communauté internationale, y compris les États amis, est partie prenante dans la crise. Les pays amis essayent de la résoudre et sont devenus l’un de ses problèmes ! Cette communauté voit devant elle un pouvoir qui n’est plus habilité à représenter la nation ! Elle veut percevoir la vérité ; elle la voit et l’entend mais ne peut toujours pas la saisir.

La vérité, claire et évidente, est que l’avenir est entre les mains des forces armées qui sont le symbole et l’outil de la souveraineté. Elles font maintenant face à des défis majeurs et elles sont les seules à pouvoir les relever.

Avocat

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Le jour où la fusion entre l’Égypte et la Syrie fut déclarée et après s’être adressé, en présence de Choukri al-Kouatli, aux millions de personnes qui le saluaient, Abdel Nasser s’est retiré au salon de la résidence d’hôte où Choukri al-Kouatli, le félicitant de cet évènement historique, lui dit en riant :« Tu ne sais pas avec qui tu as fait cette fusion....

commentaires (1)

Excellent comme analyse

Hind Faddoul FAUCON

07 h 54, le 09 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Excellent comme analyse

    Hind Faddoul FAUCON

    07 h 54, le 09 juillet 2021

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