En 2009, en pleine semaine de la mode londonienne, les médias qui se bousculaient dans les rangs des défilés des marques établies avaient été attirés par la présentation d’une petite maison marginale qui essayait de percer avec des idées inédites : Ziad Ghanem venait de révéler l’une de ses premières collections. Elle était entièrement taillée dans des journaux anoblis par des coupes somptueuses. La photo de sa robe de bal affichant les grands titres du Times, du Guardian, du Financial Times et autres Daily Telegraph avait fait le tour du monde. Parfait autodidacte, victime collatérale de la guerre du Liban qui, de fuites en déplacements, avait fini par lui faire interrompre ses études, Ziad Ghanem voyait enfin venir la reconnaissance de l’univers exclusif de la haute couture. Cette exposition, qui lui attire la clientèle des stars, de Lady Gaga à Gwen Stefani, le conforte surtout dans son choix esthétique, celui d’une mode qui fait sens à travers le recyclage et émotion à travers une touche gothique jamais morose. Il y a dans sa démarche quelque chose d’un Alexander McQueen empreint de fatalisme oriental et une fréquentation de l’obscur avec une touche de dérision.
Machines à coudre et marteaux-piqueurs
La sombre année 2020-2021, le couturier la passe à Beyrouth entre explosions et pandémie. Cela n’empêche pas cet hédoniste dans l’âme de débusquer des formes de bonheur dans les interstices du chagrin et d’en tisser la matière de sa nouvelle collection. Avec la complicité de son partenaire Aiden Conor, jamais loin quand il s’agit d’aller « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau », il refuse de céder Beyrouth à ses démons. Avec des machines à coudre en guise de marteaux-piqueurs, il va participer à la reconstruction postexplosion en reprisant l’âme de la ville comme d’autres en refont les façades.
Sa collection va se traduire par une silhouette édouardienne, corset léger, jupe évasée, drapés fluides, courbes accentuées. Un glamour discret prévaut dans cette ligne relevée par des broderies florales inspirées des jardins luxuriants des demeures ottomanes de Beyrouth. Les techniques haute couture, entre moulage et drapage, courent sur toutes les robes agrémentées de traines et de capes. Avant même de commencer, il tient déjà son thème : ce sera « La Belle Époque », comme un pied de nez à la morosité et une invitation aux beaux jours qui finissent toujours par revenir.
Un art de la vanité
Cette collection, il va la faire photographier sur la terrasse d’un immeuble typique de la ville, un de ces bâtiments modernistes en béton décrépit donnant sur les toits hérissés d’antennes en déshérence et de réservoirs d’eau tout autant. À l’arrière-plan d’une image, sur les derniers étages d’une bâtisse en béton gris de ruissellements, de pollution et d’absence d’entretien, on peut lire ce graffiti : « Hamra, you are amazing ». Pour présenter ces somptuosités, un plant de bananier et un drap de lit blanc en fond de décor. Parce qu’il n’en faut pas davantage à Marie-Thérèse Hanna pour attirer la lumière. Elle est bien plus qu’un mannequin. Pour Ziad Ghanem, elle est une muse et peut-être la personnification même de Beyrouth. Cette danseuse qui fait carrière à l’international a été grièvement blessée dans la double explosion du 4 août. La jambe droite profondément entaillée, muscles, nerfs, tendons sectionnés, le dos profondément lacéré, la peau douce, précieuse, marquée par des cicatrices quasi indélébiles, elle a cru un moment devoir changer de carrière, ouvrir un autre chapitre de vie. Mais Ziad Ghanem lui restitue sa confiance en soi. Sa beauté est intacte, sa jambe remarche, elle est vivante, rien d’autre ne compte pour lui ! Ces corsets lui vont à merveille, ces jupes qui tournent, elle sait les faire danser comme personne. La dentelle vintage et le crêpe stretch se mêlent avec bonheur à même sa silhouette parfaite dont les courbes se dessinent spontanément avec une grâce inouïe. Et puis il y a ce regard qui dit une force inconnue dans ce corps blessé. La ville est dans ces yeux-là, dans cette démarche, dans ce défi. Elle est dans la soie en cascades dont Ziad Ghanem habille sa nostalgie. Son art de la vanité trouve ici son expression la plus sincère.
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