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Société - Focus

À Tripoli, le « black-out » total est déjà (presque) une réalité

La grande ville du Liban-Nord est à l’arrêt en raison de la pénurie de carburants.

À Tripoli, le « black-out » total est déjà (presque) une réalité

Des heurts à Tripoli, mercredi. Photo Sawratcom

À Tripoli, le manque d’électricité a mis le feu aux poudres. Les rumeurs sur la mort d’un enfant suite à l’arrêt de son appareil respiratoire – l’enfant était effectivement à court d’oxygène, mais il est toujours vivant – ont été un des facteurs de la colère des habitants de Bab el-Tebbané qui ont provoqué mercredi des heurts avec l’armée. Des protestataires sont également entrés dans les locaux d’Électricité de Kadicha à Bohsas pour obliger les employés à fournir du courant à certaines régions de la grande ville du Nord. À Tripoli, l’essence est un sésame encore plus précieux que dans le reste du pays. Le marché noir vampirise l’offre et la demande en raison de la proximité avec la Syrie qui favorise la contrebande, et de la faiblesse de l’État. Fait remarquable, la ville se vide progressivement de ses embouteillages incessants durant la journée. « Regardez autour de vous, il n’y a pas grand monde, la moitié de la ville fait la queue devant les stations », constate un commerçant rue Azmi, en plein centre de Tripoli.

L’électricité d’EDL, cela fait bien des semaines qu’elle a pratiquement disparu. À l’instar du reste du pays, l’approvisionnement ne dépasse jamais deux heures par jour. Il y a quelques mois de cela, la « Kadicha », entreprise privée détenue à plus de 90 % par EDL et en charge de la distribution d’électricité, fournissait près de 14 heures d’électricité par jour. Cette baisse d’énergie entraîne un ralentissement généralisé de l’économie locale. Bachir possède un petit magasin de réparation de matériel informatique. « Je ne peux strictement rien faire, ni souder ni faire fonctionner mes machines. Il m’est impossible de payer 500 000 livres libanaises pour 10 ampères qui me permettraient de travailler », raconte-t-il. Même son de cloche chez les menuisiers de Mina, proche du port. Ahmad, assis dans son atelier, les mains pleines de suie et la cigarette à la bouche, confie être quasiment à l’arrêt. « Nous ne pouvons pas faire fonctionner nos machines, il ne nous reste plus qu’à vendre et quitter ce pays qui ne veut plus de nous. » La levée partielle des subventions sur les hydrocarbures risque d’être un coup fatal porté aux familles et aux commerçants de cette région. Le prix des carburants a de nouveau augmenté hier avec les 20 litres d’essence 95 octanes désormais vendus à 70 100 LL.

Marché noir inabordable

Dans la ville la plus pauvre du pays comme un peu partout au Liban, les propriétaires de groupes électrogènes sont dans l’obligation de rationner l’approvisionnement de courant à leurs abonnées. Mercredi dernier, c’est tout le centre de Tripoli qui était privé d’électricité durant de nombreuses heures, en pleine journée. Ces coupures à répétition n’augurent rien de bon quant à la capacité de ces opérateurs à remplacer l’État sur une longue durée. Khazneh, propriétaire d’une entreprise d’électricité locale, affirme ne plus pouvoir tenir longtemps à ce rythme. « Nous avons d’énormes difficultés à nous approvisionner en mazout légalement. Il ne reste que le marché noir, mais le gallon coûte près du double. J’en ai eu pour 65 000 LL aujourd’hui pour remplir mes citernes au lieu de 38 000 LL. » La pénurie de mazout est en effet un défi de taille pour ces entreprises sur qui repose le fardeau de l’électricité. Les propriétaires de groupes électrogènes avouent que la situation a terriblement empiré ces deux dernières semaines et que la plupart d’entre eux doivent réduire l’approvisionnement de quatre à cinq heures par jours pour reposer les moteurs. La compagnie Fadel qui couvre les secteurs de Mitain et Azmi était contrainte de couper le courant près de sept heures par jour en raison du manque d’approvisionnement. « Il est impossible de trouver une seule goutte de mazout et les prix du marché noir sont inabordables », confie un des responsables de la compagnie.

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Le marché noir est le dernier recours pour remplir les citernes. Cependant, lorsque que des manifestants commencent à couper des routes, celui-ci se fige. « Ils ont peur d’envoyer leurs camions-citernes quand des jeunes bloquent les routes. Les manifestants vont croire que c’est du mazout destiné à la Syrie et feront main basse dessus », confirme Beytieh, un des poids lourds du marché de l’électricité à Tripoli.

La maintenance des machines est aussi un gros obstacle pour les propriétaires de groupe électrogène. « Chaque semaine, je dois payer 500 dollars en “fresh” pour acheter de l’huile de rechange et les filtres pour mes moteurs, c’est une perte énorme », ajoute Fadel. Le prix de ces huiles d’entretien a été multiplié par dix avec l’hyperinflation, tout comme celui des filtres et pièces de rechange.

Les propriétaires confient avoir des groupes électrogènes à l’arrêt, ne pouvant pas payer pour les réparations. « J’ai deux moteurs à Abou Samra qui ne fonctionnent plus. Il me faut un prêt de 5 000 dollars pour les réparer, mieux vaut les vendre », dit Khazneh.

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Certains parviennent à maintenir un courant constant, comme Rattel à Mina. Cette entreprise affirme arriver à se procurer du mazout sur le marché, mais reste soumise à une pression quotidienne pour s’en procurer. « Nos fournisseurs ne nous ont pas encore coupé l’approvisionnement, mais on ne sait pas de quoi demain sera fait. »

Ces disparités dans la distribution entre entreprises créent beaucoup de tensions entre ces propriétaires. « La situation est très tendue. À Tripoli, il y a un accord entre nous, nous ne prenons jamais les clients des autres. Mais aujourd’hui la situation est explosive et de nombreux conflits apparaissent, les clients voulant absolument changer de X à Y », affirme Beytieh.

À Tripoli, le manque d’électricité a mis le feu aux poudres. Les rumeurs sur la mort d’un enfant suite à l’arrêt de son appareil respiratoire – l’enfant était effectivement à court d’oxygène, mais il est toujours vivant – ont été un des facteurs de la colère des habitants de Bab el-Tebbané qui ont provoqué mercredi des heurts avec l’armée. Des protestataires sont...

commentaires (1)

Il faut dire la vérité: il y a beaucoup d’opportunités de travail a Tripoli. Mais les tripolitains n'en veulent pas, car c'est en-dessous de leur niveau et porter des armes est plus profitable. Les 'déplacés' syriens font tout le travail que les tripolitains dédaignent. Maintenant l'OJ va censurer sous prétexte que ce commentaire est 'raciste'...

Mago1

22 h 06, le 02 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Il faut dire la vérité: il y a beaucoup d’opportunités de travail a Tripoli. Mais les tripolitains n'en veulent pas, car c'est en-dessous de leur niveau et porter des armes est plus profitable. Les 'déplacés' syriens font tout le travail que les tripolitains dédaignent. Maintenant l'OJ va censurer sous prétexte que ce commentaire est 'raciste'...

    Mago1

    22 h 06, le 02 juillet 2021

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