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Société - Éclairage

Tripoli encore victime d’un racisme ordinaire

De nombreux messages à caractère haineux ont été déversés sur les réseaux sociaux en réponse aux manifestations qui secouent la capitale du Nord, historiquement objet de préjugés. 

Tripoli encore victime d’un racisme ordinaire

Un jeune homme se baladant devant un mur sur lequel est écrit « Nous sommes fatigués », à Tripoli, hier. Joseph Eid/AFP

« Mais ils sont instrumentalisés par qui alors ? » Depuis le premier jour (lundi) des manifestations contre le confinement et la pauvreté qui secouent Tripoli, leur caractère spontané est remis en question dans une grande partie des débats ou analyses politiques sur la scène locale. Si la thèse d’une instrumentalisation politique, dans une certaine mesure, ne peut jamais être exclue au pays du Cèdre, cette grille de lecture témoigne également d’une forme de mépris pour les contestataires qui, bien qu’ayant toutes les raisons objectives de manifester leur colère, ne le feraient, si on en croit certains analystes, que s’ils en recevaient la consigne. Ce déni de toute autonomie politique est d’autant plus diffus que les protestations ont lieu à Tripoli, une ville qui a toujours été victime de nombreux préjugés.

Les partis politiques de la société civile et les partisans de l’intifada du 17 octobre ont exprimé à l’unisson des messages de solidarité envers les manifestants de la capitale du Nord, y voyant parfois un retour de l’élan révolutionnaire éteint par la crise économique et celle du coronavirus. Mais d’autres ont profité de ces évènements pour déverser un flot de haine sur les réseaux sociaux, se moquant des Tripolitains et de leurs conditions de vie, et expliquant que tout ce qui leur arrive est finalement de leur faute. Ces réactions sont particulièrement visibles dans les milieux aounistes. Ainsi, un compte Twitter « Nous t’aimons Gebran » (en référence au chef du CPL Gebran Bassil) a lancé un sondage intitulé : « Devrions-nous séparer Tripoli du Liban ? » Rapidement, le compte semble avoir été suspendu en raison du nombre de réactions racistes que le tweet a dû générer.

Si le Liban est un pays connu pour son hospitalité et sa chaleur de vivre, il est aussi celui de tous les racismes et xénophobies. Tripoli n’a jamais été au goût de tous, c’est le moins que l’on puisse dire. Symbolisant pour une partie de la population l’extrémisme religieux, l’archaïsme idéologique et le conservatisme le plus radical, nombreux sont les Libanais qui colportent des propos haineux contre les habitants du Nord.

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La deuxième ville du pays était historiquement en compétition avec Beyrouth pour le leadership politique et économique. Forte d’un passé rayonnant, la ville refuse le mariage forcé avec la capitale lors de l’indépendance et a toujours eu du mal à trouver sa place dans un Liban fortement centralisateur. Durant la guerre civile libanaise, la réputation de Tripoli a largement souffert de la présence du Mouvement d’unification islamique (Tawhid) qui a laissé une trace indélébile dans les mentalités des habitants, particulièrement les chrétiens. Entre 2012 et 2014, des bandes organisées prennent la ville en otage alors que les clashs entre les quartiers alaouite de Jabal Mohsen et sunnite de Bab el-Tebbané se font plus réguliers en résonance du conflit syrien voisin.

« Les Beyrouthins me posent toujours tout un tas de questions sur Tripoli »

L’image d’extrémisme religieux qui colle à la peau de la ville a notamment pour conséquence de minimiser son attractivité économique et touristique. Pour Mira Minkara, guide touristique à Tripoli, il y a tout autant de conservatisme et de violence à Beyrouth que dans le nord du Liban. « Il ne faut pas oublier les bombardements, la guerre de 2006, les assassinats ciblés et les violences que Beyrouth a connus. Dans le Nord, il n’y a rien eu de tout cela, et pourtant, c’est notre ville qui est toujours stigmatisée », explique-t-elle. Conséquence de ces préjugés : l’absence flagrante des touristes à Tripoli, une ville qui renferme pourtant un héritage architectural médiéval exceptionnel. Fruit de l’ignorance, du système politico-confessionnel et de la propagande politique, dans l’esprit de beaucoup de Libanais, le Nord est un trou noir. Certains n’y ont jamais mis les pieds. Cette frontière mentale est matérialisée par le tunnel de Chekka.

« Avec mes tours, je casse les stéréotypes. Les femmes d’Achrafieh avaient des idées préconçues sur la ville, des clichés très négatifs. Ma mission est aussi de changer les mentalités », souligne Mira Minkara. Pour Malak el-Lawzy, avocate et enseignante d’arabe langue étrangère pour étudiants internationaux, cette image véhiculée par ses compatriotes est totalement insensée. « Quand nos étudiants arrivent à Beyrouth, les habitants leur conseillent de ne pas se rendre à Tripoli car ils risqueraient de se faire kidnapper ou pire... Nous recevons alors des messages d’une extrême inquiétude de leur part. »

Autre conséquence : certains Tripolitains n’osent plus revendiquer leur lieu d’origine quand ils se trouvent dans la capitale.

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« Quand je suis arrivée à l’université à Beyrouth, je partageais une chambre avec d’autres étudiantes. Au moment où elles ont su que j’étais de Tripoli, leur attitude a radicalement changé. Elles me demandaient s’il y avait des constructions à Tripoli, comme si j’appartenais à un autre monde, confie une jeune femme qui a voulu garder l’anonymat. À Beyrouth, je me présente rarement au premier abord comme tripolitaine de peur d’effrayer les gens. » « Après des années de vie à Beyrouth, il faut constamment rappeler que non, Tripoli n’est pas un champ de ruine ni l’antichambre de l’obscurantisme, explique Mira Minkara. Les Beyrouthins me posent toujours tout un tas de questions sur Tripoli, comme s’il s’agissait d’un lieu qui leur était inatteignable, alors que la ville se situe à seulement 80 km de la capitale. »

Les stéréotypes qui collent à la capitale du Nord ont néanmoins été mis à mal par le sentiment unificateur porté par la contestation de 2019, et la solidarité qui s’est créée entre toutes les villes et groupes de manifestants. Durant cette période, pour beaucoup de Beyrouthins, la fracture mentale s’est effondrée. Des réseaux de solidarité entre les habitants se sont mis en place pour la première fois dans l’histoire moderne des deux villes, et le sentiment d’appartenir à la même nation a été largement partagé dans les différentes régions libanaises.

« Mais ils sont instrumentalisés par qui alors ? » Depuis le premier jour (lundi) des manifestations contre le confinement et la pauvreté qui secouent Tripoli, leur caractère spontané est remis en question dans une grande partie des débats ou analyses politiques sur la scène locale. Si la thèse d’une instrumentalisation politique, dans une certaine mesure, ne peut jamais...

commentaires (18)

La haine en engendre une autre et au Liban aucune région n’est à l’abri des désastres fomentés par les vendus. La solidarité et le patriotisme sont les seuls remèdes à nos souffrances collectives. Pour cela il faut une union sacrée qui se traduit sur le terrain par une aide inconditionnelle à tous les citoyens libanais en souffrance par des citoyens libanais. Ainsi nous tordrons le cou à tous les préjugés et les rumeurs de sectarisme et de divergences d’appartenance politiques qui ont ruiné le pays. En tenant les mêmes discours de racisme et de haine nous alimentons les réseaux mafieux qui n’espèrent pas mieux que de nous voir divisés pour régner. On se réveille et on sauve le pays tous ensemble l’occasion qui s’offre aux libanais pour montrer leur bonne foi ne se répétera pas et nous devons devancer les protagonistes vendus pour assister nos compatriotes. C’est un devoir.

Sissi zayyat

13 h 22, le 31 janvier 2021

Tous les commentaires

Commentaires (18)

  • La haine en engendre une autre et au Liban aucune région n’est à l’abri des désastres fomentés par les vendus. La solidarité et le patriotisme sont les seuls remèdes à nos souffrances collectives. Pour cela il faut une union sacrée qui se traduit sur le terrain par une aide inconditionnelle à tous les citoyens libanais en souffrance par des citoyens libanais. Ainsi nous tordrons le cou à tous les préjugés et les rumeurs de sectarisme et de divergences d’appartenance politiques qui ont ruiné le pays. En tenant les mêmes discours de racisme et de haine nous alimentons les réseaux mafieux qui n’espèrent pas mieux que de nous voir divisés pour régner. On se réveille et on sauve le pays tous ensemble l’occasion qui s’offre aux libanais pour montrer leur bonne foi ne se répétera pas et nous devons devancer les protagonistes vendus pour assister nos compatriotes. C’est un devoir.

    Sissi zayyat

    13 h 22, le 31 janvier 2021

  • Résidant à Tripoli et sa campagne depuis quelques années, je ne peux être plus d'accord sur le constat qui est fait dans cet article qui éclaire l'actualité pressante du moment. J'aimerais toutefois rajouter une pierre à l'édifice. Une fracture se manifeste au sein même de Tripoli dans les prises de position quant aux soulèvements actuels : la classe sociale. Alors que toutes classes sociales confondues ont pris part à la révolution du 17 octobre, les Tripolitains plus aisés me semblent prendre une certaine distance par rapport aux manifestants actuels venant des quartiers les plus pauvres de la ville. Il est compréhensible que ceux dont le pain n’est pas encore totalement confisqué ne prennent pas part aux manifestations des affamés, mais dans l’esprit national de la Thaoura, nous nous devons de réaliser la détresse des moins fortunés.

    Vulin Timothé

    20 h 09, le 30 janvier 2021

  • Tripoli est une ville magnifique, hélas méconnue!

    Politiquement incorrect(e)

    19 h 56, le 30 janvier 2021

  • C'est un drame ce qui se passe, mais aussi les circonstances sont tres difficiles: pauvrete , et tres grande densite de population ... En tous cas, j'ai visite Tripoli en tourisme, et je ne suis pas musulman, mais par exemple la visite a la Grande Mosquee m'a impressione, et il y a un guide touristique qui fait des tours guides, il y avait une ambiance de tolerance je trouvais.

    Stes David

    19 h 40, le 30 janvier 2021

  • Tout le reste c’est dès joubanas !!!

    PROFIL BAS

    18 h 56, le 30 janvier 2021

  • TRIPOLITAINS VOUS ÊTES LES SEULS À FAIRE PEUR AU HEZBOLLAH CAR VOUS AVEZ DES C.........

    PROFIL BAS

    18 h 55, le 30 janvier 2021

  • Pourquoi la violence augmente à l’intérieur d’une même nation, et peut parfois déboucher sur une guerre civil? Un des instincts primaires qui domine la raison d'être de l'espèce humaine, c'est la violence. Heureusement que le rôle de la civilisation, c’est la gestion de cet instinct primaire pour les canaliser via les institutions démocratiques et de la bonne gouvernance. Malheureusement même les civilisations sophistiquées n'y arrivent plus, si : • L’incapacité de la gouvernance d’endiguer les influences subversives par des intérêts étrangères. • L’écart de niveau de vie est important entre les classes sociales. • L’inadéquation de la densité de la population par rapport aux ressources suffisantes. • L’ambition des individus de satisfaire des besoins difficilement accessible et même les besoins primaires. • Le manque d’éducation structurante et de formation permettant la création de richesse par une majorité des citoyens.

    DAMMOUS Hanna

    12 h 32, le 30 janvier 2021

  • c'est dommage que les medias reprennent allegrement la propagande "officielle" dans ses 2 branches, celle des gens au pouvoir ainsi que celle des soit disant opposants, sans assez insister sur une verite qu'elles memes mentionnent, qui veut que s'il n'y avait pas tant de misere generalisee les miserables tropolitains n'auraient eu aucune raison d'etre "" manipules"".

    Gaby SIOUFI

    11 h 54, le 30 janvier 2021

  • Le Libanais NE CONNAIT PAS son pays. Beaucoup – sans rentrer dans des explications- plutôt la majorité n’ont jamais visiter Byblos , Tyr , Baalbeck, Anjar, Hamra , Ashrafié , etc. Qu’on le veuille ou pas cette tragique Thaoura depuis plus d’un an sert comme couverture à tout genre de débordement, l’incendie de la municipalité de Tripoli en est un exemple : maintenant que beaucoup de documents ont brulé pensez combien cela est UN PLUS à tous ceux qui veulent faire disparaitre les MAGOUILLES fonciers et c’est pas cela qui manque à Tripoli ( au Liban en général ) ; ( Revoyez le rôle de la Mafia Italienne dans le vol des banques à Beyrouth en 1975 ! ) c’est dans ce sens qu’il faut chercher QUI EN PROFITE. Soyez sûre c’est pas le pauvre Tripolitain. Le racisme que votre article mentionne est une accusation prise à la légère et à la va vite, une étude sociologique serait plutôt plus intéressante

    aliosha

    10 h 53, le 30 janvier 2021

  • Il est quand meme interessant de constater dans cette analyse le manque de mention des quatre grands Barons multi milliardaires tripolitains... Comme aussi, dans toutes analyses au liban, le manque d’objectivite suite au desir de vouloir menager la chevre et le choux...

    Cadige William

    10 h 50, le 30 janvier 2021

  • C,EST MECONNAITRE TRIPOLI. LE RACISME COMMENCE A PARTIR DE JBEIL ET JUSQU,A L,EXTREME SUD DU PAYS. DURANT LES MULTIPLES GUERRES CIVILES ET SURTOUT LA DERNIERE ET LA PLUS GRANDE, TRIPOLI ETAIT LA VILLE LA PLUS SURE DU PAYS. LES EXACTIONS SE FAISAIENT DANS ET PAR LES REGIONS EN DEHORS DE TRIPOLI ET SURTOUT A BEYROUTH ET DANS SES MONTAGNES.. JE SUIS TRIPOLITAIN CHRETIEN ET JE SUIS FIER DE MA VILLE. TRIPOLI DURANT LES CENT ANS DU LIBAN EST RESTEE PAR TOUS LES GOUVERNEMENTS EN MARGE DU PAYS COMME SI ELLE N,EXISTAIT PAS. MAIS TOUT LE MONDE BEYROUTHINS EN TETE VENAIENT A TRIPOLI POUR DEGUSTER SES BAKLAVAS ET REPARTIR. C,EST TOUT CE QU,ILS SAVENT DE LA VILLE. DOMMAGE ! HAKIM, LES TRIPOLITAINS VOUS APPRECIENT CAR VOUS ETES JUSTE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 32, le 30 janvier 2021

  • Quand il s’agit de les enrôler dans l’armée comme premier rempart et chair à canon là les gens du Nord sont fréquentables.

    PROFIL BAS

    06 h 02, le 30 janvier 2021

  • TRIPOLI est mille fois mieux que BEIRUT avec sa riche architecture ....en plus elle est tres bon marche,sans oublier qu elle n est souillee ni par le HEZB,ni par le CPL......

    HABIBI FRANCAIS

    05 h 43, le 30 janvier 2021

  • Le politiquement correct, comme d'habitude... Cet article n'attaque pas le cœur du problème de la "Kandahar du Nord": la culture de la surpopulation démographique débridée chez ces gens, qui n'est pas en relation avec la capacité économique de la ville. Si Tripoli n'avait que 100,000 habitants, avec son emplacement sur la mer, au pied du Mont Liban, ce serait le paradis sur terre... Maintenant, tous ces chômeurs/ casseurs veulent que les autres libanais payent pour financer leur appétit insatiable pour de nouvelles familles nombreuses. On dit NON.

    Mago1

    04 h 00, le 30 janvier 2021

  • les aounistes c'est comme les virus, moins il y en a, et plus ils deviennent virulents

    Liban Libre

    03 h 25, le 30 janvier 2021

  • « ... particulièrement visible dans les milieux aounistes ». En effet, les phalangistes ont meilleure conscience; eux détestent tous les musulmans libanais sans distinction!

    Bourji Mahdi

    02 h 41, le 30 janvier 2021

  • "... comme s’il s’agissait d’un lieu qui leur était inatteignable, alors que Tripoli se situe à seulement 80 km de la capitale ..." - que dire de Khandak et de la banlieue sud de Beyrouth, si proches et en même temps aux antipodes?... Liban, pays des contrastes... ce qui fait sa beauté, et sa faiblesse...

    Gros Gnon

    02 h 32, le 30 janvier 2021

  • Les "soi disants" responsables n'ont pas encore réalisé que le peuple "crève de faim"?? Bien sûr..Ils vivent dans leurs "palais". Ils pensent plus à défendre "les droits de leurs communautés" ( comprendre les leurs) qu'aux intérêts du pays alors que les libanais n'en ont plus rien à cirer. Ils demandent JUSTICE pour les assassins qui ont commis le génocide du Port de Beyrouth. Ils demandent de quoi subvenir à leurs besoins. ils demandent de quoi manger. Bien évidemment, les débiles et crétins congénitaux sont là pour défendre tel ou tel autre "leader". Un leader sur un pays meurtri, en faillite. N'ont ils pas réalisé , ces soit disant leaders, qu'ils sont la RISEE des autres pays, des autres responsables? C'est à peine si l'opinion internationale et les présidents du monde entier daignent leur parler.. TFEH comme ces nains de la politique sont ridicules dans leurs costumes larges et qui ne leur convient pas . ils occupent (c'est bien le mot OCCUPATION) ces postes dédiés à des personnes compétentes dont ils sont tout à fait étranger. Merci pour la publication.

    LE FRANCOPHONE

    01 h 22, le 30 janvier 2021

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