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D’une contrainte à l’autre

Israël s’est souvent promis de pulvériser, le cas échéant, les infrastructures du Liban, le ramenant ainsi des décennies en arrière. Parce qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, les dirigeants libanais eux-mêmes ont fait mieux.

À force d’incompétence et de corruption, ils ont fait d’un pays phare une sombre caverne livrée, dans tous les sens du terme, à l’obscurantisme. Ce qui fut le refuge bancaire des fortunes arabes n’est plus qu’une geôle pour les dépôts. Le centre hospitalier qui desservait admirablement toute cette partie du monde ? Une léproserie de brousse où les blouses blanches entrent en révolte ; où, par cruel manque d’anesthésiques, l’on n’opère plus qu’au compte-gouttes ; où même la dialyse pourrait se voir bientôt déniée à ceux de nos concitoyens qui se font, littéralement, du mauvais sang. Les rayons sont à moitié vides dans les pharmacies en grève et les mères libanaises se battraient toutes griffes dehors pour une ou deux boîtes de lait pour nourrisson. Dans un pays où la production économique est quasiment réduite au point mort, hallucinant – et avilissant! – est enfin le spectacle des files interminables de voitures attendant, des heures durant, l’aumône de quelques litres d’essence. Trouvera-t-on jamais des mots assez explicites pour maudire les fauteurs de tant de maux ?

C’est à dessein que j’écris fauteurs, et non responsables; depuis longtemps déjà, en effet, le Liban est orphelin de dirigeants méritant d’être désignés de la sorte, capables d’assumer les implications de leur charge, l’imputabilité de leurs actions ou omissions. Irresponsables est d’ailleurs le mot qui revient comme un leitmotiv dans les admonestations régulières que leur crachent les puissances amies : à tel point irresponsables, en fait (et chapardeurs, avec ça !), que pour éviter toute fraude officielle, les aides étrangères ne sont plus prodiguées qu’aux ONG. Or, c’est une filière encore plus dégradante pour les dirigeants de Beyrouth que devrait emprunter le projet français, annoncé jeudi par Emmanuel Macron, de financement des services publics locaux en soutien au peuple libanais.

Fort bienvenue est l’idée qui, par le biais d’une action à caractère humanitaire, vient conforter celle d’une conférence planétaire pour le Liban, impuissant otage des tensions régionales. Fait saillant, cette opération se déroulerait sous contrainte internationale, terme ordinairement réservé aux territoires placés sous tutelle ou mandat. Et tout aussi bien aux États faillis, incapables d’assurer les besoins essentiels, vitaux, de leurs populations et dont le consentement n’est même pas requis, dès lors que cet impératif se trouve pris en charge par le concert des nations. Que les assassins du Liban n’aillent surtout pas crier au déshonneur national : la honte d’une telle mainmise sur les affaires du pays ne rejaillit que sur les gouvernants indignes qui l’ont conduit droit à l’abîme. Qui, par inconscience ou opportunisme, ont foulé aux pieds tous les principes de démocratie et de souveraineté en se soumettant à certaine contrainte autrement plus pernicieuse que celle que pourrait jamais imposer l’ONU.

Cette influence profondément déstabilisatrice, exercée par l’Iran et ses affiliés au Liban et dans l’ensemble de la région, le président français ne l’a pas ignorée dans son intervention de jeudi. Et pourtant, il a sacrifié, une fois de plus, au mythe tenace d’un Hezbollah biface, tout à la fois interlocuteur politique et mouvement classé terroriste. Mais n’est-ce pas ainsi se vouer soi-même, au nom du pragmatisme, à un dédoublement similaire, source de confusion au niveau du traitement de la question ? Non moins stérile d’ailleurs – pire, lénifiant, car entretenant inconsidérément le doute – est le débat byzantin sur les objectifs réels d’un parti qui affiche haut et clair sa vocation islamiste chiite au beau milieu de la précieuse mosaïque communautaire qu’est le Liban. Ou encore sur l’étendue exacte de l’emprise iranienne par procuration, à l’heure où la milice, avec son arsenal privé, son propre circuit financier et son réseau social et hospitalier, contrôle notoirement plus d’une zone sensible du pays.

En fait de contrainte, difficile de trouver mieux…

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Israël s’est souvent promis de pulvériser, le cas échéant, les infrastructures du Liban, le ramenant ainsi des décennies en arrière. Parce qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, les dirigeants libanais eux-mêmes ont fait mieux.À force d’incompétence et de corruption, ils ont fait d’un pays phare une sombre caverne livrée, dans tous les sens du terme, à...