
Le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil. Photo d’archives AFP
C’est une arme à laquelle il recourt quand il souhaite faire monter les enchères ou séduire une partie de son public. Dans un entretien accordé au site an-Nahar, c’est d’anomalie que le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a, cette fois, qualifié les armes du Hezbollah. Et comme à chaque fois, on l’attend au tournant pour saluer sa prise de position ou la stigmatiser. C’est manifestement ce qui s’est passé lundi soir, lorsque le leader aouniste a cherché à provoquer, une fois de plus, son allié chiite. Dans un entretien accordé au site an-Nahar, M. Bassil a considéré, en réponse à une question, qu’il « n’est pas normal qu’il y ait des armes en dehors de l’État ». Interrogé sur le slogan jadis cher aux aounistes – Liberté, souveraineté, indépendance–, le chef du CPL a tenté toutefois d’atténuer ses propos en justifiant qu’actuellement le Liban se trouve dans une situation exceptionnelle. Et que tant que cet arsenal reste encadré par une stratégie d’État « prévue dans les déclarations ministérielles », et qu’elle bénéficie de l’accord du peuple libanais, la présence de ces armes n’est pas en contradiction avec la souveraineté. Une stratégie d’État dite de défense qui, rappelons-le, n’existe toujours pas alors que Michel Aoun en avait fait son cheval de bataille.
Le chef du CPL, sanctionné en novembre dernier par les États-Unis, en a rajouté une couche en considérant que l’ingérence du Hezbollah au Yémen est injustifiée ce qui, selon lui, n’est pas le cas de son implication en Syrie d’où le parti chiite devait soi-disant bouter les « terroristes » qui menaçaient le Liban. « Les Libanais ont le droit de faire la distinction entre la guerre en Syrie et la guerre au Yémen », a-t-il dit.
En mars dernier, dans un discours considéré comme fondateur, le leader chrétien s’était clairement prononcé, pour la première fois, en faveur du monopole de la violence légitime par l’État et d’une stratégie de défense dans laquelle l’armée retrouverait son rôle en matière de défense du territoire et de ses frontières. Une prise de position destinée alors à reconquérir l’appui d’une partie de la base populaire du CPL qui contestait de plus en plus l’entente conclue entre le courant aouniste et le parti chiite, considérée comme néfaste pour les chrétiens.
Bien qu’elle ne soit pas inédite – ce n’est pas la première fois que le leader chrétien s’en prend à l’arsenal du Hezbollah –, cette prise de position est un nouveau message adressé par le camp aouniste à son allié chiite qu’il cherche à faire fléchir dans le cadre des tractations qui ont actuellement lieu pour la formation du gouvernement. « La relation entre le Hezbollah et le CPL est excellente tant que ce dernier ne veut rien de son partenaire. Mais dès que c’est le cas, il fait monter les enchères pour obtenir ce qu’il veut », commente un analyste du 14 Mars, qui a souhaité garder l’anonymat.
« Diable muet »
Les propos de Gebran Bassil au site an-Nahar avaient été précédés dimanche par des déclarations en flèche formulées, cette fois-ci, par Nagi Hayek, un médecin de renom connu pour son activisme en faveur du CPL. Dans un entretien à la chaîne al-Jadeed, ce dernier a affirmé que « le CPL a subi des préjudices au niveau de la rue chrétienne du fait de sa relation avec le Hezbollah et terni ses relations avec l’Occident ». En pressant là où ça fait le plus mal, M. Bassil et ses collaborateurs espèrent ainsi titiller le Hezbollah qui semble en avoir assez des manœuvres de blocage et tergiversations pratiquées par le camp aouniste. Aux dernières nouvelles, le CPL avait rejeté la formule de 24 ministres (8 pour chaque camp), initiée par Nabih Berry et Walid Joumblatt et soutenue par le Hezbollah.
Le parti chrétien, accusé de vouloir toujours se débarrasser de Saad Hariri, a dénoncé samedi « une répartition par tiers qui ne dit pas son nom ». Un constat dont se défendent farouchement les ténors de Aïn el-Tiné, tout en cherchant à minimiser cette nouvelle polémique. « Il n’y a ni tiers de blocage ni répartition par tiers, encore moins une violation de la Constitution. L’équation que soutient M. Berry – 8 ministres pour chaque camp – est une répartition politique et non communautaire », s’offusque un proche du président de la Chambre.
Bien que le Hezbollah tente depuis le début de la crise de ménager le président de la République, Michel Aoun, il n’en reste pas moins attaché à Saad Hariri, qu’il considère comme le plus représentatif de la rue sunnite et le mieux habilité à former le gouvernement. Selon l’analyste cité plus haut, Gebran Bassil semble oublier que pour le Hezbollah, sa relation avec le CPL n’est plus aussi sacrée qu’elle ne l’était du temps du mandat Trump qui menait une guerre acharnée contre l’axe iranien. Ce n’est plus le cas depuis que la nouvelle administration américaine sous Joe Biden a entamé le dialogue avec l’Iran.
Depuis le début de cette crise institutionnelle, le parti chiite évite coûte que coûte de tomber dans le piège de la polarisation et tente de jouer à l’équilibriste en ménageant la chèvre et le chou. Mais ce n’est pas de cette oreille que le camp aouniste l’entend. « Le Hezbollah sait parfaitement que le processus de formation du gouvernement tel qu’il a actuellement lieu porte atteinte à la Constitution et au pacte national et il joue le jeu du diable muet », a aussi lancé Nagi Hayek, qui répercutait l’état d’esprit qui prévaut au sein du camp aouniste et sa volonté de voir le parti chiite faire pression sur Saad Hariri pour qu’il « laisse les chrétiens nommer leurs ministres ».
Une attaque à laquelle le Hezbollah a aussitôt répliqué. Hier, Hussein Moussaoui, ancien député et conseiller politique de Hassan Nasrallah, a réagi dans un tweet, mais sans nommer explicitement M. Hayek, qui n’a d’ailleurs aucune fonction officielle au sein du CPL. « Ce à quoi vous faites référence n’a rien de juste et d’équitable, d’où précisément la décision du Hezbollah de se taire. » En soirée, Hassan Nasrallah a lancé à son tour une pique à Gebran Bassil en coupant court à toute possibilité d’organiser des législatives anticipées, une arme brandie entre autres par le chef du CPL qui avait affirmé envisager cette éventualité si le blocage persistait. « Parler d’élections anticipées est une perte de temps », a-t-il affirmé, tout en maintenant son soutien à l’initiative de Nabih Berry.
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“Rien ne me répugne comme lorsque les gens fraternisent parce que chacun voit dans l'autre sa propre bassesse.” Milan Kundera
Sabri
18 h 33, le 09 juin 2021