Après la Suisse, la justice française s'intéresse à son tour au patrimoine en Europe du gouverneur de la banque centrale du Liban, Riad Salamé, figure désormais honnie par son peuple, à mesure que le pays s'enfonce dans la pire crise économique de son histoire.
Quelques semaines après avoir été destinataire de deux plaintes visant M. Salamé et son entourage, le parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête préliminaire pour "association de malfaiteurs" et "blanchiment en bande organisée", a appris dimanche l'AFP de source proche du dossier, confirmée par une source judiciaire. Les investigations devraient notamment permettre d'éclaircir la provenance du riche patrimoine de M. Salamé, aujourd'hui âgé de 70 ans.
Dans un communiqué, l'avocat de M. Salamé, Me Pierre-Olivier Sur, a estimé qu'il s'agissait "principalement d'une opération de communication, voire d'une opération politique, ainsi que le prouvent les termes utilisés par Me Bourdon et son entourage", dénonçant des "outrances qui démontrent la manipulation". "La plainte de Sherpa se fonde principalement sur un travail d’investigation d’un cabinet anglais qui conclut par la formule +no smoking gun+, tandis que la plainte du Collectif s’appuie sur un rapport d’un cabinet d’investigation français contre lequel une enquête préliminaire est en cours depuis près de 6 mois pour +tentative d’escroquerie à jugement+ à la suite d’une plainte que j’ai déposée pour le compte de M. Salamé auprès du Parquet de Lyon", rappelle Me Sur.
Arrivé à la tête de la banque centrale libanaise en 1993, après avoir œuvré pendant vingt ans comme banquier d'affaires chez Merill Lynch à Beyrouth et à Paris, cet influent personnage a longtemps été salué par la classe politique libanaise et le monde économique. Mais alors que le Liban fait face à une crise économique sans précédent - une des pires crises financières du monde depuis le milieu du XIXe siècle selon la Banque Mondiale - ce proche du clan de la famille Hariri est aujourd'hui une des figures les plus conspuées par la rue.
Au sein de l'opinion publique, certains le soupçonnent d'avoir, comme d'autres hauts-responsables du pays, discrètement transféré d'importantes sommes à l'étranger au moment du soulèvement d'octobre 2019, malgré les restrictions draconiennes adoptées par les banques.
Alors qu'il était déjà visé depuis plusieurs mois par une enquête en Suisse pour "blanchiment d'argent aggravé en lien avec un éventuel détournement de fonds au détriment de la Banque du Liban", deux plaintes ont été déposées en avril en France, où M. Salamé possède plusieurs biens immobiliers et où des flux financiers suspects ont pu transiter.
Epargnants spoliés
La première a été déposée par la fondation suisse Accountability Now. La seconde émane de l'ONG Sherpa, qui lutte contre la grande délinquance financière, et du "Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban", constitué par des épargnants spoliés lors de la crise qui frappe le pays depuis 2019.
"Une méga-enquête s'ouvre, œcuménique, à dimension européenne", se sont félicités auprès de l'AFP les avocats de Sherpa et du collectif, Me William Bourdon et Amélie Lefebvre, à l'annonce de cette enquête française. "De vastes opérations de blanchiment seront auscultées qui devraient ouvrir tous les tiroirs de la mafia qui a mis le Liban à genoux", espèrent-ils.
Leur plainte, consultée par l'AFP, accuse M. Salamé et quatre membres de son entourage - son frère Raja, son fils Nadi, son neveu et une proche collaboratrice à la banque centrale libanaise, Marianne Hoayek - d'avoir constitué frauduleusement un riche patrimoine en Europe.
Les associations demandent ainsi à la justice d'enquêter sur la fuite massive de capitaux libanais depuis le début de la crise, l'acquisition de patrimoine immobilier luxueux en disproportion avec les revenus des personnes visées, mais aussi sur la responsabilité des intermédiaires financiers, via des paradis fiscaux et des prête-noms. Selon les plaignants, "le patrimoine global" de Riad Salamé "dépasserait aujourd'hui les 2 milliards de dollars". "Ses avoirs identifiés au Luxembourg atteignaient 94 millions de dollars en 2018", souligne la plainte, qui s'appuie notamment sur les révélations du site libanais Daraj.com et les investigations d'une plateforme, l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP).
Des chiffres que M. Salamé a contestés, affirmant avoir constitué sa fortune à partir d'héritages et de sa carrière dans la finance.
Selon Le Monde, le banquier central explique que "ses avoirs personnels s'élevaient à 23 millions de dollars (19 millions d'euros)" lorsqu'il a pris ses fonctions en 1993 et "que la croissance de son patrimoine, depuis, résulte d'investissements qui ne contreviennent pas aux obligations liées à ses fonctions", ce que contestent des juristes libanais.
Cette nouvelle enquête du PNF s'inscrit dans la lignée des affaires dites des "biens mal acquis", des dossiers dans lesquels la justice française, poussée par le combat d'ONG, scrute l'origine du patrimoine en France de dirigeants étrangers, notamment africains ou moyen-orientaux, potentiellement acquis avec de l'argent public détourné de leurs pays.
commentaires (8)
Dans cette association de malfaiteurs si bien décrite par Karim Daher. On se demande néanmoins si les banques ont été davantage complice qu’obstacle. Rappelons brièvement l’environnement qui a entouré la crise: guerre, fermeture du centre ville, du parlement, enlèvements, barrages sur les routes, coercition par les armes, obstruction criminelle des élections… Tout cela s’est répercuté négativement sur la rentabilité du secteur privé mais les banques étaient anesthésiées par un afflux massif de capitaux, elles n’ont pas pris la mesure du danger. En même temps survenait une hausse des intérêts sur les dettes du secteur public alimentée par les déficits sournois et rampants du gouvernement et de toute la collectivité, Les banques ont trouvé dans les intérêts élevés versés par les obligations du gouvernement et les certificats de dépôt de la BDL un pactole qui les mettait à l’abri des soubresauts du secteur privé croyant avoir trouvé dans ces placements souverains la sécurité plus un profit substantiel !! Les placements dans les dettes publics allaient atteindre 2,5 fois les avances du secteur privé!! Les banques se sont retrouvées comme dans un creuset avec pour unique déversoir les placements dans les dettes du gouvernement ou les dépôts auprès de la BDL Prise isolément aucune banque ne pouvait résister à ce tsunami mais une intervention énergique et conjointe entre la BDL et l’ABL le .
Georges Lati
00 h 39, le 07 juin 2021