Critiques littéraires Récit

Irène Frain : « Une mort ne doit jamais rester sans voix. »

À soixante-dix ans, couverte de lauriers et de distinctions, Irène Frain, romancière, journaliste et militante pour la cause féminine, a remporté le Prix Interrallié pour son dernier opus Un crime sans importance.

Irène Frain : « Une mort ne doit jamais rester sans voix. »

© Joel Saget / AFP

Un crime sans importance d’Irène Frain, Seuil, 2021, 256 p.

Pourtant Dostoevsky ne laisse jamais le crime en zone de négligence et l’associe au châtiment… Un titre qui pique la curiosité, non seulement des juristes mais du public. Peut-on minimiser l’importance d’un crime ou le gommer ? Y a-t-il une classification des crimes quand un crime reste par essence et nature une atteinte à l’autre, à la société, une infraction aux lois, un interdit passible de sanction ? De quoi s’agit-il par conséquent dans ce récit au titre légèrement provocateur et qui a pour exergue une phrase de Bertold Brecht : « Lorsque les souffrances deviennent insupportables, les cris ne sont plus entendus. Les cris, aussi, tombent comme la pluie en été. »

Entre dénonciation, révolte, empathie et une touche de poésie, on entre de plain-pied dans cette narration conduite de main de maître. Et qui révèle, en strates subtilement dévoilées, la part de l’intimité familiale de l’écrivaine, à travers un émouvant portrait de femme « invisible », en l’occurrence sa sœur inexplicablement assassinée. Car l’âge et la misère des carrières qui s’effilochent ne laissent plus de place à la considération et l’estime. Considération et estime, expressions pourtant si nobles, même si elles relèvent de la modestie des êtres en dehors des brillantes ou productives activités sociales. Vivre à l’ombre, en retrait et à la retraite ou dans l’anonymat ne doit pas être synonyme de mise à l’index…

Le temps était beau ce jour-là. Dans une banlieue parisienne ordinaire, tandis que les gens s’affairent entre promenades et barbecues au jardin pour profiter d’une exceptionnelle journée ensoleillée, une septuagénaire, Denise, la sœur de l’auteure, dans la solitude de sa vie, elle qui a rompu les liens avec sa famille, cousait sagement des sacs de lavandes. Son nouveau gagne-pain. Et voilà que pour un vol insignifiant ou un instinct de serial killer, s’invite chez elle un inconnu enragé et la tue sauvagement de plusieurs coups.

Et la mort emporte, dans l’indifférence, l’oubli ou la négligence, une vieille bien « invisible » aux yeux du système sociétal, policier et judiciaire. Et dire que Denise fut dans sa jeunesse une remarquable artiste, cultivée et pleine de ressources. L’exemple et référence suprême de sa sœur aujourd’hui auteure reconnue et adulée.

Pour contrer ce triste état de fait où tout est enterré dans un scandaleux silence, Irène Frain entreprend une narration autobiographique, entre détails d’une histoire familiale, souvenirs d’enfance et, pour faire toute la lumière sur l’affaire, un sens de l’enquête poussé jusqu’aux détails les plus précis et les plus pointus. L’écrivaine tente de reconstituer les faits, de mener sa propre investigation et de percer le mystère de ce qui semble une inadmissible affaire classée. Sans jamais se départir de l’acidité d’une plume incisive et qui ne perd pas le nord pour ironiser et apporter un rayon de drôlerie dans un univers étouffant… En substance, aux premières lignes de sa quête et enquête, elle avance cet aveu : « J’ai entrepris d’écrire ce livre quatorze mois après le meurtre, quand le silence m’est devenu insupportable. »

« Pour que cette mort ne reste pas sans voix », l’écrivaine trempe sa plume dans toutes les zones d’ombre qui enveloppent cette disparition violente mais étouffée. Ressurgit alors le passé ainsi que la rencontre avec les rares témoins d’une personne simple, qui vivait en mode presque monacal, loin de tout tapage.

Écrit dans une langue française ciselée et châtiée (il ne faut pas oublier qu’Irène Frain est agrégée de lettres et a enseigné à la Sorbonne), animé par le sentiment d’une certaine volonté de justice et d’équité, cet ouvrage, mêlant adroitement l’intime et le social, est servi par un sens de l’intrigue et une imagination foisonnante. Il n’en reste pas moins, par-delà un caustique procès à une société au système judiciaire discutable et insatisfaisant, un touchant message de tendresse et d’admiration à une sœur injustement frappée par l’infortune et le malheur.

Un des plus beaux textes d’Irène Frain pour défendre, par-delà la mort de sa propre sœur, toutes les vieilles dames inoffensives à qui on accorde si peu d’importance ou d’égards…

Un crime sans importance d’Irène Frain, Seuil, 2021, 256 p.Pourtant Dostoevsky ne laisse jamais le crime en zone de négligence et l’associe au châtiment… Un titre qui pique la curiosité, non seulement des juristes mais du public. Peut-on minimiser l’importance d’un crime ou le gommer ? Y a-t-il une classification des crimes quand un crime reste par essence et nature une atteinte...

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