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Lifestyle - Patrimoine

De l’autre rive de la Méditerranée, l’école Camondo adresse une lettre d’amour à Beyrouth

Le palais de Lady Yvonne Cochrane a été placé sous la loupe d’un groupe d’architectes et de designers encadrés par Aline Asmar d’Amman, fondatrice de l’agence Culture in Architecture.

De l’autre rive de la Méditerranée, l’école Camondo adresse une lettre d’amour à Beyrouth

Les réflexions déclinées en croquis, dessins et rendus colorés durant le workshop. Photo DR

Quatre-vingts étudiants de la prestigieuse école d’architecture d’intérieur et de design Camondo Paris et Camondo Toulon ont été invités à contribuer à la reconstruction des zones sinistrées de Beyrouth en s’investissant dans la création. Le workshop, qui s’est déroulé du 10 au 21 mai à Toulon, a été initié par René-Jacques Mayer, directeur de Camondo et ancien directeur des Designer’s Days (le festival de design à Paris) et de la Manufacture nationale de Sèvres.

Pour ce programme, intitulé « Je vous écris de Toulon », René-Jacques Mayer a sollicité l’intervention de plusieurs professionnels qui ont collaboré avec les étudiants sur des pistes de réflexion et d’idées créatives autour de l’architecture d’intérieur, du design et de la scénographie. Parmi ces spécialistes, certains ont un lien étroit avec le Liban, tels l’architecte et fondatrice de l’agence Culture in Architecture Aline Asmar d’Amman ; les designers et concepteurs Marc Baroud, Marc Dibeh et Karim Chaya ; ainsi que l’artiste plasticien et cinéaste Arnold Pasquier et le spécialiste du design François Leblanc Di Cicilia qui était présent au Beirut Design Fair en septembre 2019. Par groupes de 15 à 16 personnes, les étudiants de 3e et de 4e année ont planché sur l’étude d’un système de mobilier facile à fabriquer avec des éléments récupérés après la double explosion du port le 4 août 2020 (groupe de Marc Dibeh) ; sur la conception d’un design spéculatif sur le site de la gare désaffectée de Beyrouth (groupe de Marc Baroud) ; sur la création de mobilier urbain en partenariat avec l’architecte libanais Karim Chaya, cofondateur de Acid Projects et Blat Chaya (groupe de François Leblanc) ; ou encore sur le travail d’écriture d’un poème audiovisuel adressé à la ville de Beyrouth (groupe d’Arnold Pasquier). Pour sa part, Aline Asmar d’Amman a convié son équipe à travailler sur le projet intitulé « Le palais Sursock, architecture de la mémoire », portant sur sa reconversion en musée et centre culturel. « Par son raffinement le plus total, cette demeure exprime la quintessence de l’architecture du Levant et évoque à mes yeux le retour aux origines. Elle est pour moi l’idéal rêvé de la maison libanaise, le symbole du patrimoine et de l’art de vivre au Liban », explique l’architecte à L’Orient-Le Jour.

Les réflexions déclinées en croquis, dessins et rendus colorés durant le workshop. Photo DR

Pourquoi le palais Sursock ?

Aline Asmar d’Amman confie avoir maintenu des relations profondes d’amitié avec Lady Cochrane et garde un souvenir très ému de ses moments privilégiés auprès d’elle. « J’avais le plaisir, à chaque fois que j’atterrissais à Beyrouth, d’aller déjeuner ou prendre le thé en sa compagnie. Je la vois encore installée sur son canapé de velours vert à côté des arcades. Cet atelier de travail a été, d’une certaine façon, un hommage à cette dame militante de la première heure en faveur du patrimoine. C’est à notre tour de contribuer à la sauvegarde des maisons de Beyrouth, comme le fait merveilleusement Beirut Heritage Initiative en fédérant les compétences au sein d’une action unifiée au service de la ville. »

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Le choix du palais Sursock est aussi en lien avec les valeurs de l’école Camondo et l’histoire de l’hôtel particulier Nissim de Camondo, à Paris, qui fut aménagé en musée par décision de son légataire, banquier et collectionneur d’art italien d’origine turque, le comte Moïse de Camondo (1860-1935), en hommage à son fils décédé, le lieutenant aviateur Nissim de Camondo, héros de la Première Guerre mondiale. Repenser la nouvelle vie du palais Sursock est d’autant plus stimulant pour Aline Asmar d’Amman qu’elle connaît chaque recoin du palais. Lorsqu’elle a terminé ses études à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) et fait son premier stage au bureau Ziad Akl et Associés, elle s’est penchée sur le relevé d’architecture des lieux. D’autre part, et ce n’est pas négligeable, elle avait pris depuis longtemps la mesure de l’intérêt du patrimoine en réalisant la rénovation intérieure de bâtiments emblématiques, tel l’hôtel Le Crillon (XVIIIe siècle) à Paris et celle du restaurant étoilé Le Jules Verne situé au deuxième étage de la tour Eiffel. Actuellement, elle planche sur la restauration d’un des fleurons de la Cité des Doges, le Palazzo Donà Giovannelli (XVe siècle), futur Rosewood Hotel, à Venise.

Elle a donc tout organisé afin que les étudiants puissent s’imprégner au mieux de l’atmosphère beyrouthine : ouvrages et photographies portant sur le palais, visite virtuelle des lieux avec Roderick et Mary Cochrane, et même une soirée libanaise dans ses bureaux parisiens, en interaction virtuelle directe avec l’artiste cinéaste Joana Hadjithomas, le couturier Rabih Kayrouz, Liza Asseily, fondatrice du restaurant éponyme, l’artiste Lamia Joreige, Camille Tarazi, de la maison Tarazi, et la créatrice de mode Milia Maroun, qui ont développé le concept d’une ville aux mille sons et couleurs. Car, à l’instar des autres volets artistiques, la mode, l’art et la gastronomie sont des disciplines à part entière qui partagent avec le design des problématiques liées à l’innovation et à la mémoire des savoir-faire, et représentent un enjeu économique et culturel fort.

Emotions et ressentis en croquis

« Garder intacte l’âme du palais Sursock et préserver la dimension de l’intime » a été le mot d’ordre lancé par Aline Asmar d’Amman aux membres de son équipe. Permettre aux visiteurs de cueillir le condensé du travail des artisans d’antan, de suivre le processus de la maestria artistique, de découvrir le parfum des objets sélectionnés par les générations qui se sont succédé, et de plonger au cœur du patrimoine architectural et familial aussi. À partir de ce que les lieux lui offraient, le groupe a réfléchi à la billetterie, au circuit du musée, au parcours d’une exposition temporaire ou à un mur mobile sur lequel viendrait se greffer une toile. Les étudiants ont imaginé un salon où seront dévoilées les archives du palais, ainsi qu’un film qui relatera l’histoire et la mémoire de la demeure. Un coin librairie et une petite boutique à identité culturelle mettront en valeur l’artisanat du pays ; un petit café dans le jardin a également été prévu. « Mais ils ont été encore plus loin, et m’ont surprise avec leur approche poétique et contextuelle », souligne l’architecte. « Certains ont travaillé sur une direction artistique graphique à adapter pour différents usages ; d’autres sur un arbre généalogique de la famille sous forme d’un paravent sculpté. Un autre groupe a été jusqu’à collecter le témoignage d’une quinzaine de proches et amis de la famille Cochrane pour construire un lexique amoureux des détails du palais et de son vécu. Je suis épatée par le courage et la persévérance de l’ensemble des étudiants et étudiantes qui ont écouté, appris et assimilé autant d’informations et d’émotions afin d’apporter des réponses créatives et innovantes », ajoute-t-elle.

Aline Asmar d’Amman et son groupe à Camondo Toulon. Photo DR

Rebâtir la ville avec amour

Les réflexions déclinées en croquis et la production infographique d’images en 3D, de maquettes, de dessins et rendus colorés, de textes explicatifs seront rassemblées et offertes au palais Sursock. De même, un film écrit et réalisé par Arnold Pasquier, comme un résumé poétique, sera bientôt partagé sur le net par l’école Camondo qui a également documenté l’ensemble du workshop et les travaux de tous les intervenants. « Le fruit de notre action sera remis à l’ALBA, au sein de laquelle j’ai acquis mes connaissances sur l’architecture. Et aussi à Beirut Heritage Initiative et Fadlallah Dagher, un ami cher dont l’action résonne avec les valeurs que nous défendons collectivement. En un mot, j’entends rendre à ma ville natale tout l’amour qu’elle a pu m’offrir », précise Aline Asmar d’Amman. « J’adore cette phrase du poète Adonis : “Mon corps est mon pays”. Et c’est vrai que l’on emporte son pays partout avec soi. Il est ancré dans notre chair. » « Réfléchir à des sujets qui touchent à la reconstruction de Beyrouth a été pour moi une merveilleuse opportunité », conclut-elle, ajoutant que cet atelier, intitulé « Je vous écris de Toulon », est une lettre d’amour adressée au Liban. « Face à la crise profonde que traverse le Liban, la culture est une arme absolue. Une arme de construction massive et non de destruction. » Last but not least, René-Jacques Mayer envisage une seconde édition du workshop en septembre à Camondo Paris.

Quatre-vingts étudiants de la prestigieuse école d’architecture d’intérieur et de design Camondo Paris et Camondo Toulon ont été invités à contribuer à la reconstruction des zones sinistrées de Beyrouth en s’investissant dans la création. Le workshop, qui s’est déroulé du 10 au 21 mai à Toulon, a été initié par René-Jacques Mayer, directeur de Camondo et ancien directeur...
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