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Moyen-Orient - Analyse

Palestine-Israël : cinq histoires en une

Les dynamiques en cours pourraient dessiner une perspective plus positive à moyen et long termes.

Palestine-Israël : cinq histoires en une

Des fidèles musulmans participent à la prière du vendredi sur l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem. Photo d’archives Ahmad Gharabli/AFP

À court terme, il n’y a aucun espoir pour la cause palestinienne. On peut se réjouir qu’elle soit à nouveau au cœur de l’actualité et que le monde découvre ou redécouvre la colonisation, le blocus, l’apartheid, que les Palestiniens subissent au quotidien depuis des décennies. On peut se réjouir de cet élan de solidarité à l’échelle mondiale qui dénonce avec de plus en plus de vigueur la politique israélienne qui, à Gaza comme à Jérusalem, en passant par la Cisjordanie, fait fi de toutes les normes du droit international et ne repose que sur la loi du plus fort. Il y a actuellement un moment palestinien qui a le mérite de rompre, le temps d’une parenthèse, avec cette mort lente qui se matérialise depuis des années par le grignotage progressif des territoires de cette population et de leurs droits sous le regard désintéressé, blasé ou approbateur de la communauté internationale. Mais une fois cette parenthèse refermée, le quotidien va malheureusement reprendre le dessus. Pire encore, cette séquence ne va se conclure que par des centaines ou des milliers de morts supplémentaires, l’anéantissement de quartiers entiers, le renforcement des tensions avec les Israéliens, et la confirmation qu’il n’y a aucune lumière au bout du tunnel. À supposer même qu’il y ait un tunnel. C’est l’aspect le plus tragique du drame palestinien : la répétition d’un même scénario depuis 1948 dans lequel ils ne peuvent l’emporter ni par la voie diplomatique ni par la voie militaire et qui les condamne à une agonie entrecoupée à intervalles plus ou moins réguliers d’électrochocs aussi intenses que douloureux. Se contenter de faire ce constat, c’est toutefois passer à côté des dynamiques en cours, qui sont loin d’être toutes positives, mais qui ont déjà et devraient avoir encore plus à l’avenir un impact sur la situation. Cinq histoires parallèles, cinq batailles pourrait-on dire, qui se jouent actuellement et peuvent, ou non, dessiner une perspective plus positive sur les moyen et long termes.

Idéologie suprémaciste

La première, c’est le changement de nature de l’État israélien. La colonisation, les exactions, les tueries font partie intégrante de l’histoire israélienne depuis les soubresauts du projet sioniste. Mais ils étaient réalisés au nom d’un idéal, celui de construire un État dans lequel les juifs pourraient enfin être en sécurité. Les Palestiniens étaient perçus dès le départ comme un obstacle à ce dessein, un peuple, dont la présence même était niée dans le discours officiel sioniste, qui devait être bouté hors de la terre promise pour que le rêve se réalise. C’est une toute autre logique qui est aujourd’hui à l’œuvre. Israël est désormais un État gagné par l’idéologie suprémaciste juive, portée par les ultrareligieux et par l’extrême droite. Celle-ci déverse, sans même s’en cacher, un discours de haine à l’égard de tout ce qui ne correspond pas à sa vision ethnique et politique. Elle exclut de ce fait les Palestiniens, qu’ils soient de Jérusalem-Est ou de Lod, qui doivent disparaître, au moins symboliquement, pour que la Terre Sainte ne soit habitée que par ceux qui en sont dignes à leurs yeux.

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Les tensions qui agitent aujourd’hui les villes mixtes au sein de l’État hébreu sont essentiellement liées à cette évolution qui fait des Palestiniens d’Israël (les “Arabes israéliens”) non seulement des citoyens de seconde zone – comme la loi sur l’État-nation juif promulguée en juillet 2018 le laisse entendre – mais plus encore des citoyens indésirables. Même s’il existe au sein de la société israélienne des gens pour s’opposer à cette idéologie, celle-ci est tout sauf marginale et a, de fait, pu avoir accès au cœur du pouvoir par l’intermédiaire du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l’homme qui, sans être entièrement de cette mouvance, incarne l’extrême-droitisation de son pays mieux que personne d’autre. Cette évolution, qui crée de profondes divisions au sein de la société israélienne et qui explique en partie la crise politique et institutionnelle que vit le pays depuis deux ans, rend toutes négociations impossibles avec la partie israélienne qui ne peut admettre l’existence d’un État palestinien dans un territoire qui lui revient légitimement de droit (divin).

Révolution interne

La deuxième, ce sont les prémices d’un bouleversement de la scène politique dans les territoires occupés, une révolution à la fois contre la puissance occupante et contre les partis traditionnels. La jeunesse ne croit plus en l’Autorité palestinienne (AP) et tout ce qu’elle incarne, d’Oslo à la coopération avec Israël. Elle veut s’émanciper de cette double tutelle et développe pour ce faire un nouveau langage basé sur une demande d’égalité en matière de droits avec les autres citoyens, israéliens ou non, résidents entre le Jourdain et la mer. Le fait que Mahmoud Abbas soit complètement dépassé par les évènements actuels, pas seulement ceux de Gaza mais ceux qui se déroulent aussi en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, donne une idée du gouffre qui sépare aujourd’hui la vieille garde palestinienne et la jeune génération. Signe d’une crise profonde au sein même de la société palestinienne, le président de l’AP, conscient de la menace, a décidé de reporter les élections législatives prévues le 22 mai, les premières depuis 2006. Plus cette mutation nécessaire sera reniée en interne, plus le bouillonnement risque de se terminer en explosion, si l’on prend en compte en plus les conditions de vie générales (accès à l’emploi, éducation, santé) dans lesquelles évolue cette jeunesse. Au niveau politique et diplomatique, le changement de rhétorique, désormais centrée sur la lutte contre l’apartheid, peut pour sa part avoir des effets bénéfiques et d’autres plus problématiques. L’appellation a le mérite de faire écho à la situation qui prévalait en Afrique du Sud et rallier ainsi toute une partie des sociétés occidentales sensibles à ces questions et à ce vocabulaire. Mais elle ne suffit à décrire la réalité palestinienne, puisqu’à l’apartheid s’ajoutent le blocus (à Gaza) et la colonisation (dans les territoires occupés) et suppose in fine que la solution ne peut passer que par la création d’un seul État où tous les citoyens auraient les mêmes droits. Un rêve qui paraît encore plus impossible à réaliser que celui de la création d’un État palestinien, compte tenu de l’histoire et de l’évolution d’Israël qui se voit comme un État fondamentalement juif.

Stérilité

La troisième, c’est l’énième confrontation militaire entre le Hamas et l’État hébreu, dont la souffrance qu’elle provoque n’a d’égal que la stérilité de l’opération, d’un côté comme de l’autre. Le Hamas a son propre agenda, qui n’est pas exclusivement palestinien, et ne pouvait accepter que la révolte palestinienne, qui plus est à Jérusalem, se fasse sans lui. En tirant des centaines de roquettes sur Israël de façon indiscriminée, il a changé le narratif et a rendu tout soutien de la communauté internationale envers le soulèvement palestinien encore plus improbable. Le mouvement islamiste a démontré qu’il avait largement amélioré ses capacités militaires depuis 2014 et qu’il était capable de viser Tel-Aviv et de contourner le système de défense anti-missile israélien, le Dôme de fer. L’État hébreu a prouvé pour sa part qu’il pouvait annihiler des bâtiments en quelques secondes, et profite de l’opération pour éliminer une partie de l’appareil sécuritaire de son ennemi. Le résultat est connu d’avance : le Hamas va gagner la bataille médiatique, Israël la bataille militaire. Le premier va tout faire pour reconstituer son armement une fois le combat terminé, le second va se sentir conforté dans sa stratégie parce qu’il aura réduit en poussière des quartiers entiers et tué des centaines, voire des milliers de civils. Mais tout cela ne va mener à rien. Le mouvement islamiste va renforcer son emprise sur les près de deux millions d’habitants qui vivent à Gaza et à qui on n’offre aucune autre perspective que celle de la lutte armée contre Israël. Ce dernier va continuer en retour d’imposer son blocus sur la bande de Gaza (en place depuis 2007), en poursuivant par ailleurs la colonisation des territoires, tout en jouant les vierges effarouchées à chaque fois que la jeunesse palestinienne refuse de se laisser mourir à petit feu et décide de se défendre.

Effets limités

La quatrième, c’est celle qui concerne le monde arabe et plus généralement le Moyen-Orient. La cause palestinienne a perdu sa centralité politique et géopolitique mais elle garde une place unique sur le plan symbolique dans la conscience des populations. En dehors du vieux monde arabe, pour qui cette cause reste centrale, pour des questions d’idéologies, de nostalgies ou d’intérêts, a germé récemment toute une génération qui a été au cœur des soulèvements régionaux et qui considère que la question palestinienne est une partie intégrante de la lutte contre les régimes répressifs dans la région. La normalisation avec l’État israélien reste un tabou dans le monde arabe. Mais cet élan de solidarité devrait toutefois avoir des effets politiques très limités, si ce n’est celui de peut-être retarder l’officialisation de la noce pour certains pays, à l’instar de l’Arabie saoudite. La région a été beaucoup trop chamboulée au cours de cette dernière décennie pour que la question palestinienne vienne à nouveau bouleverser les cartes. Les pays arabes vont probablement rester en retrait sur cette question récupérée depuis des années déjà par l’Iran et la Turquie. C’est en fonction de la détermination de ces deux puissances non arabes à jouer un rôle central dans ce conflit, au-delà de la rhétorique, que la situation pourrait évoluer sur le plan géopolitique.

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Deux poids, deux mesures

La cinquième concerne la communauté internationale par rapport à laquelle Israël jouit d’une impunité sans égale par ailleurs. Quel autre État peut en effet se permettre de multiplier les crimes de guerre, de poursuivre une politique coloniale et xénophobe sans subir aucune pression, ne serait-ce que dans les mots, de la part des Occidentaux ? Ce “deux poids, deux mesures”, essentiellement justifié par des considérations historiques, a un double effet pervers : il affaiblit la crédibilité des Occidentaux à se positionner comme les parangons du droit international ; il fait le jeu de toutes les puissances autoritaires qui utilisent ce contre-exemple pour justifier leurs propres et nombreux manquements en la matière. Là aussi une dynamique se dessine, particulièrement aux États-Unis, et remet en question ce particularisme israélien qu’aucun élément rationnel ne peut justifier. Le chemin est encore long pour aboutir à un changement de logiciel du côté de Washington. Mais, pour la première fois depuis des décennies, il existe. Et c’est peut-être, avec l’évolution interne de la société palestinienne, la dynamique la plus intéressante et la plus prometteuse de toute cette terrible séquence.

À court terme, il n’y a aucun espoir pour la cause palestinienne. On peut se réjouir qu’elle soit à nouveau au cœur de l’actualité et que le monde découvre ou redécouvre la colonisation, le blocus, l’apartheid, que les Palestiniens subissent au quotidien depuis des décennies. On peut se réjouir de cet élan de solidarité à l’échelle mondiale qui dénonce avec de plus en plus...

commentaires (3)

Les Émirats et tous les pays qui ont reconnu Israel doivent faire un pas en arrière , ils sont les seuls qui pourront aider les palestiniens ???

Eleni Caridopoulou

18 h 45, le 20 mai 2021

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Commentaires (3)

  • Les Émirats et tous les pays qui ont reconnu Israel doivent faire un pas en arrière , ils sont les seuls qui pourront aider les palestiniens ???

    Eleni Caridopoulou

    18 h 45, le 20 mai 2021

  • Ce mai 2021 les Palestiniens veulent reprendre leurs droits avec une guerre contre Israël. Un conflit qui a pris ces racines en 1918 suite à une promesse britannique, à la sortie de la 1ère guerre mondiale, d’offrir un foyer au juif de la planète en Palestine. Historiquement les nations furent construites par la conquête guerrière suivie par des accords. Souvent ces accords contiennent des échanges ethniques de population pour s’assurer une homogénéité nationale comme ce fut le cas après la première guerre mondiale entre la Grèce et la Turquie. Mais sur les territoires du proche orient ex-ottoman, aucun accord ne fut adopté, malgré les plans qui furent élaborés dans ce sens. Résultat ces territoires devinèrent des foyers de crises de coexistence et destructeur d’une vie harmonieuse dans ces nations nouvellement crées. Le conflit palestinien qui surgit après le partage de 1947 et une guerre Israélo-arabe en 1948 et Israël qui gagna. D’autres guerres ont éclaté agrandissant le territoire national israélien et mettant le reste de la Palestine sous occupation et sous siège. La guerre n’a pas convaincu les vaincus pour obtenir un accord d’un règlement définitif qui par principe est en faveur du vainqueur. Les croisades ont duré 2 siècles verrons-nous si ce conflit durera autant ?

    DAMMOUS Hanna

    18 h 41, le 20 mai 2021

  • Le sous-titre mentionnant " une perspective plus positive a moyen et long terme" est démenti par le reste de l'article.

    Tabet Ibrahim

    09 h 24, le 20 mai 2021

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