Des plaintes contre le régime bélarusse ou saoudien, des procès en lien avec Bachar el-Assad ou le "génocide" des Yazidis : la justice allemande se retrouve sur tous les fronts, mais des experts pointent aussi les limites de ces procédures.
Dix opposants bélarus viennent de se tourner vers le Parquet fédéral allemand : ils accusent le régime d'Alexandre Loukachenko de torture systématique lors de la répression policière déclenchée à l'été 2020 après sa réélection contestée. Ce recours intervient peu après une plainte similaire de la communauté LGTB tchétchène contre le régime de Ramzan Kadyrov et celle, très médiatisée, de Reporters sans frontières contre le prince héritier d'Arabie saoudite pour sa "responsabilité" dans l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi.
"Compétence universelle"
Pour agir, ONG et victimes s'appuient sur le principe de la "compétence universelle" qui permet depuis 2002 à l'Allemagne de juger toute personne pour les infractions les plus graves, comme les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre, commises n'importe où dans le monde.
D'autres pays européens disposent de cette arme juridique. Mais "tous les espoirs sont aujourd'hui tournés vers l'Allemagne", explique à l'AFP Jeanne Sulzer, responsable de la commission justice internationale chez Amnesty International. Car à l'inverse du système français par exemple, le code pénal du droit international allemand rend "possible le dépôt de plaintes sans condition de présence de l'auteur présumé" en Allemagne, ajoute l'avocate française.
Entre 2017 et 2019, les policiers de l'unité spécialisée dans les crimes de guerre ont ainsi mené 105 enquêtes liées aussi bien à des forfaits commis en Syrie ou en Irak qu'en Côte d'Ivoire, en RDC, au Sud-Soudan ou au Mali, selon un document du Bundestag. Aucun lien avec l'Allemagne n'étant nécessaire pour que des poursuites soient engagées, ces plaintes offrent donc une possibilité de "justice aux victimes qui n'ont nulle part où se tourner", assure Maria Elena Vignoli de Human Rights Watch (HRW).
Rôle majeur
C'est ainsi qu'en raison de la paralysie des instances judiciaires internationales, l'Allemagne endosse aujourd'hui un rôle majeur dans la poursuite des exactions imputées au régime de Damas, notamment grâce à la présence de 800.000 réfugiés syriens.
Surtout, la Haute Cour régionale de Coblence a prononcé en février un verdict historique en condamnant pour la première fois au monde un ancien agent des services de renseignement syrien pour complicité de crimes contre l'humanité. Un second verdict dans le procès d'un haut gradé syrien pourrait être rendu à l'automne. Un médecin syrien soupçonné de torture sur des blessés dans un hôpital militaire de Homs et exilé dans une station thermale allemande, devrait aussi comparaître prochainement.
En pointe, la justice allemande l'est également s'agissant des exactions contre la minorité yazidie par l'organisation Etat islamique (EI) en 2014. Le procès inédit d'un Irakien pour "génocide" se tient depuis plus d'un an à Francfort. D'autres procédures liées au sort de cette communauté ethnique et religieuse sont également en cours, notamment depuis le retour de jeunes Allemandes parties rejoindre l'organisation jihadiste.
Néanmoins, la "compétence universelle" connaît également ses limites à commencer par les barrières politiques qui peuvent se dresser. La Syrie, mise au banc de la communauté internationale, "est un terrain politique sûr pour les parquets européens", relève ainsi l'avocat Patrick Kroker qui représente des parties civiles au procès de Coblence.
Mais "la justice allemande doit appliquer les mêmes standards pour les suspects de pays amis", renchérit le juriste Wolfgang Kaleck, à la tête de l'ONG berlinoise ECCHR. En 2005, l'ONG avait vu sa plainte contre l'ancien secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld pour crimes de guerre en Irak rejetée par le parquet. Parmi les principaux écueils figure aussi "la difficulté d'aller enquêter sur place", poursuit Jeanne Sulzer. Résultat : les policiers doivent se montrer créatifs, utilisant des images satellites ou demandant aux victimes de dessiner les lieux où elles ont été détenues. Ces procès peuvent aussi s'avérer particulièrement longs et coûteux, comme celui de deux chefs d'un groupe armé rwandais, marqué par un record de 320 audiences et une facture de près de 5 millions d'euros. En outre, le verdict prononcé en septembre 2015 a depuis été en partie invalidé.
Dix opposants bélarus viennent de se tourner vers le Parquet fédéral allemand : ils accusent le régime d'Alexandre Loukachenko de torture...