La vie a une drôle de façon de faire les choses... C’est sans doute ce qu’a ressenti Randa Kaady en mesurant l’énorme émotion de son public en ce mois de ramadan, elle qui cumule plus de 32 ans de carrière durant lesquels elle n’a jamais cessé de faire son métier d’actrice avec une passion intacte. L’engouement est pourtant légitime, puisque l’actrice propose un véritable exploit en cette période où prolifèrent les séries télévisées. Dans trois feuilletons diffusés l’un après l’autre sur la chaîne MTV, elle révèle l’étendue de son talent en incarnant trois personnages si distincts, qu’il serait difficile de croire qu’ils sont interprétés par une seule et même personne : Hajjé Doha, la maman voilée et spirituelle dans la série 2020 ; Emm Imad qui dirige une mafia terroriste dans Rahou; et Hanane, la femme qui a oublié de vivre dans Lel Mawt. « Chacun de ces personnages possède des caractéristiques qui lui sont spécifiques, même dans l’apparence physique ou la tonalité de la voix, explique Randa Kaady avec enthousiasme. Hajjé est pleine de bonté dans ses yeux, dans ses gestes. C’était ma première collaboration avec le réalisateur Philippe Asmar qui s’accordait avec moi sur cette vision du personnage. Dans Lel Mawt, Philippe a voulu savoir comment je me représentais Hanane, et ceci au premier jour de tournage. Je lui ai dit que pour moi, elle est “d’un autre temps”, tellement qu’on aurait dit que des toiles d’araignées la recouvraient de la tête aux pieds. Elle est encore coincée dans les années 60 mais son vieil amour pour son voisin est resté le même. C’est peut-être la coupe de cheveux la plus laide que j’ai jamais eue ! » ajoute-t-elle. « Dans Rahou, la scénariste Claudia Marchalian m’a lancé un véritable défi. Même si j’ai déjà joué des méchantes auparavant, comme dans al-Taghya ou Wajaa el-Rouh, nous avons longtemps discuté du rôle d’Emm Imad pour la comprendre. C’est une femme dure qui tue sans sourciller, mais c’est aussi une victime avec un passé très chargé. »
En effet, Randa Kaady aime reconstituer le passé non dit du personnage et estime que l’acteur doit redoubler d’efforts quand le rôle est petit ou pas très élaboré. « Il faut alors remplir toutes les cases, dit-elle. L’identité du personnage, son historique, son passé. Les rôles secondaires sont de ce fait parfois plus difficiles, et ils ne sont souvent pas aussi appréciés qu’il le faudrait. Le public est habitué à se concentrer sur les protagonistes, mais chaque rôle est nécessaire, et je suis heureuse que le travail accompli soit apprécié malgré l’aspect secondaire de certains. » Ce travail, Randa Kaady le doit à son coach, sa fille Tamara Christina, qui, après avoir accompli des études en théâtre qui l’ont menée jusqu’en Europe, s’occupe des moindres détails concernant sa maman. « Elle m’aide à exprimer tout ce qui est en moi », se réjouit fièrement Randa Kaady, qui révèle s’être d’abord sentie dépassée par les réactions positives de ses fans sur les réseaux sociaux. « Puis, quand j’ai vu que la critique artistique ne tarissait pas d’éloges, j’ai senti que j’avais visé juste… »
Pour l’amour du théâtre
Si le public arabe découvre Randa Kaady aujourd’hui grâce aux séries panarabes diffusées dans de nombreux pays, une longue histoire d’amour de plusieurs décennies, qui a commencé sur les planches du théâtre, la lie aux Libanais. À Aïn el-Remmané où elle est née, sa maison côtoyait l’Institut des beaux-arts. Son père, lui, écrivait des pièces pour le théâtre itinérant. La jeune fille assistait tous les soirs aux répétitions des élèves en rêvant de faire partie de ce monde. « C’était la vie que je voulais, se rappelle-t-elle. Quand la guerre a éclaté, nous sommes montés à Oussaya, mon village de Zahlé, mais je suis vite retournée à Beyrouth pour rejoindre l’UL. J’ai eu la chance d’avoir de grands acteurs pour professeurs. Latifé et Antoine Moultaka, Raymond Gebara, Chakib Khoury, Nicolas Daniel, Kamil Salamé, ils m’ont tout appris. Puis j’ai travaillé au théâtre avec Yaacoub Chedrawi ou encore Roger Assaf. Nous pensions alors que la télévision n’était pas à la hauteur de notre passion. Qu’elle n’était pas assez profonde ou assez engagée. »
Révélation
C’est pourtant le réalisateur Antoine Rémi qui la remarque et lui propose trois rôles au petit écran, avant qu’elle n’enchaîne avec les séries de Marwan Najjar :Talbin el-Orb et Men Ahla Byout Ras Beirut, où elle est en tête d’affiche dans le rôle de Najwa, cette inoubliable maman qui accueille dans sa maison des jeunes en quête d’identité. Suivront alors des dizaines de feuilletons : al-Aa’ida, La Ekhir Nafas, W Mchit, Albi Da’ ou encore Adham Beik, pour n’en citer que quelques-uns. « On m’a, depuis, souvent proposé des rôles de maman… Mais j’essaie toujours de créer à chaque fois une nouvelle mère qui ne ressemble pas à une autre », note l’actrice, qui avoue que le théâtre lui manque, depuis son dernier rôle dans Kafas de Joumana Haddad, en 2016. « Le public du théâtre est plus élitiste et limité. Nous n’avons malheureusement pas été formés à cette culture de théâtre comme en Europe et nous sommes plus habitués à ce que l’histoire nous arrive chez nous, dans nos maisons. »
Maman à l’écran et maman dans la vraie vie, Randa Kaady assure que sa famille reste sa « première priorité ». « Même si j’adore mon métier, mes deux filles Tamara et Petra sont ma plus grande fierté », assure l’actrice récompensée trois fois aux Murex d’or. « Je finissais des tournages ou des répétitions au théâtre tard le soir, puis je conduisais de Beyrouth jusqu’à Zahlé, qu’il pleuve, qu’il vente. Le lendemain, j’étais là pour accompagner mes enfants à l’école. J’ai pu compter sur leur soutien indéfectible et celui de mon mari, également musicien, qui croyait beaucoup en moi et voulait que je réussisse. » Celle qui confie vivre à Zahlé parce que « le loyer lui convient », enseigne également l’éducation scénique aux éducatrices pour qu’elles puissent utiliser le théâtre dans leur échange avec les élèves. Si tant de dévouement mériterait reconnaissance depuis longtemps, Randa Kaady se demande, en toute humilité, pourquoi cette lumière sur elle, maintenant ? « C’est peut-être mon destin, dit-elle. Pendant 32 ans, j’ai toujours donné le maximum de moi-même. Aujourd’hui, je reçois en retour, et je suis fière de chaque rôle, de chaque étape sur ce parcours. » Il y a de quoi.