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Nos Lecteurs ont la Parole

Et que la fête commence !

En fait, s’est-elle jamais arrêtée ? Nous sommes un pays en éternel effervescence, comme une bouteille de Perrier citron vert. Chaque jour a son lot de surprises. Il est vrai qu’à la fin, il n’y a plus de suspense. Nous ne sommes plus dans un cadre hitchcockien. Il devrait y avoir plus d’originalité, plus de fantaisie, plus de magie dans ce qu’on nous prépare. Par exemple, qu’un type, même s’il est quart-monde, vienne nous dire : « Bravo ! Vous avez fait du bon travail ! » Et qu’il mette une étoile en or sur notre front, ce serait sympa et ferait tomber à la renverse plus d’un. Tenez, l’autre jour, Budapest nous a dit que nous étions des gens cools et que nous ne méritions pas d’être maltraités et mis au coin avec un bonnet d’âne. C’était bien ! C’était la blague du mois.

Personnellement, la meilleure était la venue au Liban du sous-fifre des Affaires étrangères américain. Ah ! le beau gosse, gentleman farmer. On le sentait sorti d’un film hollywoodien venant couper son blé OGM sur nos terres. Alors les Américains ont mis plus de 10 ans à envoyer un robot faire du tourisme sur Mars et ils espéraient qu’en trois visites, un gouvernement allait être formé au Liban. C’est beaucoup d’optimisme. Utopique, dirais-je même. Il fallait en fait expliquer que Don Corleone et Al Capone font figure de jeunes filles en fleurs à côté de nos dirigeants. Mais il a au moins saisi une chose : au Liban, il n’y a plus de blé, ni pour le pain ni pour autre chose. Alors, du coup, alors qu’on espérait qu’il allait mettre des pics à Ras Naqoura et organiser un entraînement de GI aux juges pour désigner le(s) coupable(s) dans certaines affaires, il s’est juste contenté de dire que nous sommes vilains et effrontés. Ce n’était pas un scoop ! Le pire, c’est que nous en sommes fiers quelque part.

Et maintenant, que va-t-on faire ? Il est où le bonheur ? Il est où ?

Nos jeunes ont trouvé la réponse que je traduirais par une citation des frères Goncourt : « Fatiguée de subir la barbarie, la jeunesse se refusait à renoncer à elle-même plus longtemps. Lasse de faire jeûner ses passions et d’accommoder sa vie aux lois de Sparte, en elle, une immense soif de plaisirs, de puissances, de bien-être germait sourdement. Elle voulait jouir et qu’on la vît jouir. »

La jeunesse refuse de renoncer. Entre ceux qui luttent pour un Liban meilleur et qui continuent à croire à cette illusion du Liban-message et ceux qui ont abandonné car la terre est plus féconde ailleurs, je vous laisse imaginer lesquels dépassent les autres. Ici, malgré la flambée des prix, malgré l’arrêt des subventions, tout le monde continue à vivre avec cette violence candide et ce pied de nez à la communauté internationale qui révèle qu’une certaine frange continue de vivre comme autrefois avec des restaurants pleins à craquer et des factures à faire pâlir de rage tous les rats de la planète. Les jeunes ont conscience de la cruauté de leur quotidien, mais est-ce une raison suffisante pour arrêter de danser? Même les chansons tristes, sur les rythmes les plus gais, font danser. Que croyez-vous entendre dans certains rythmes latinos, des hymnes à la joie peut-être ? Rien que des déchirures pour la plupart, et ça fait trémousser les fesses. Malheureusement, cette jouissance de la vie est limitée par ce carcan obséquieux d’une vie stérile où toute ambition est bloquée et où toute volonté d’évolution, qu’elle soit personnelle ou au niveau solidaire, est, à long terme, reléguée aux oubliettes, dans les caveaux de notre inconscient. Et ils quittent, ils quittent, certains la larme à l’œil, d’autres avec un soupir de soulagement, sans un regard. Ils ont bien voulu jouir du Liban, mais les plus simples des plaisirs leur sont ôtés. Alors, tout comme Perrette, adieu veau, vache, cochon, couvée ! Non, les cochons sont encore là. Alors, adieu… couvée simplement. Un autre pays les verra jouir et cette jouissance sera leur puissance.

Ils sont las, las d’une lutte fratricide qui ne mène à rien, las des promesses non tenues, las d’un passé qu’ils croyaient glorieux mais qui n’a abouti qu’à des conséquences catastrophiques, las d’attendre, las d’y croire. Et ceux qui restent, c’est non par véritable envie ou patriotisme, c’est parce que le choix (ou les moyens) ne leur a pas été donné. Ils restent dans l’illusion d’un monde meilleur. Ils restent en écoutant les mots déchirants qui lacèrent la peau des croque-morts télévisuels : « La viande sera pour les riches et les pauvres n’auront plus qu’à les regarder. »

Telle est la fin. C’est Germinal. Il y a de quoi écrire une fresque naturaliste sur un Liban empli d’espoirs vains avant de tomber dans le gouffre impénétrable de la cupidité et de la trahison.

Inutile de voir tout en noir. Car tout n’est pas vrai. D’abord, on a du soleil et ce n’est pas donné à tout le monde. Et puis, il faut savoir prendre de la hauteur et ne pas s’intéresser à la matérialité de la vie. L’amour, l’eau fraîche (quand il y en a !), la poésie, la bougie qui va bientôt nous éclairer, bref, tous ces petits plaisirs qui donnent de la saveur à notre existence. Il ne faut pas les oublier. Tous ces romans-fleuves et ces discussions qui ne mènent à rien ne sont qu’un subtil mélange de Danielle Steel et de Mary Higgins Clark. Il faut être au Liban pour le comprendre. Et encore… Même nous, on les capte mal. Si mal que nous finissons par sortir de nos gonds.

Mesdames et Messieurs, on ne manque pas une fête pareille, les cafés ouverts tard le soir (bientôt, enfin, dans quelques siècles), autre chose que les sorties pathétiques d’une jeunesse blasée et désabusée et que ces familles (celles qui peuvent encore) qui traînent leur marmaille dans des restaurants hors de prix (c’est-à-dire tous les restaurants) pour déjeuner et goûter aux rayons de soleil, seul élément qui donne encore le sourire. Nous en sommes là. L’épidémie s’épuise et les vaccins tardent et se morfondent au fond de caisses ou peut-être comme tant de produits primaires sont promis à l’exportation ou à des trafics douteux. Les gens veulent vivre et ils continuent à endiguer ce peu de jouissance qui reste et qui fait que le Liban continue à narguer. Est-ce une véritable réaction contre la servitude de l’enfermement ou un réel besoin de liberté, sans pour autant pouvoir dépenser comme on le désire ? Que nous reste-t-il vraiment de ce faste et de cette aura qui faisaient notre gloire d’antan ? Des visages blêmes et des soupirs d’exaspération, des rires parfois forcés et la même striure sur le front qui se dessine sur le visage de tout le monde, indépendamment des classes sociales et des âges et qui se pose éternellement la même question : « Mais où va-t-on ? » Pour terminer, j’en appellerai à un sentiment ou une réaction ou une simple envie en m’inspirant d’un titre de film : Et la tendresse, bordel ! Car au final, je pense que c’est ce qui nous manque à tous.


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En fait, s’est-elle jamais arrêtée ? Nous sommes un pays en éternel effervescence, comme une bouteille de Perrier citron vert. Chaque jour a son lot de surprises. Il est vrai qu’à la fin, il n’y a plus de suspense. Nous ne sommes plus dans un cadre hitchcockien. Il devrait y avoir plus d’originalité, plus de fantaisie, plus de magie dans ce qu’on nous prépare. Par exemple, qu’un...

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