« J’ai des enfants et j’ai peur pour eux. Dans le quartier où je vis, nous ne cessons d’entendre des histoires de vols de voiture et de sacs à main. » Charles*, la quarantaine, est employé de bureau et habite dans la banlieue de Beyrouth. Dans un pays où l’on trouve une arme dans un tiers des foyers, il n’avait jamais éprouvé le besoin de s’en procurer. Mais la peur a fini par le rattraper et il a sauté le pas il y a quelques mois. Son 9 millimètres, qui lui a coûté 1 000 dollars au marché noir, ne sort pas toutefois de sa maison, l’homme n’ayant pas de licence de port d’arme.
Son cas est loin d’être unique. Il suffit de tendre un peu l’oreille pour écouter des histoires de Libanaises ou de Libanais qui envisagent sérieusement pour la première fois d’acheter une arme ou qui sont déjà passés à l’acte. Pas besoin d’avoir bac+8 pour comprendre pourquoi. La crise économique a entraîné une forte hausse du taux de criminalité. Entre fin 2019 et fin 2020, les vols de voiture ont augmenté de 112,8 %, les meurtres de 83 %, les vols aggravés de 57 % et les vols à l’arraché de 150 %. Tout cela malgré une situation de pandémie qui a contraint, au moins officiellement, la population à rester confinée une bonne partie de l’année.
« L’État est absent et ne peut pas nous protéger, alors c’est à nous de le faire. Le soir lorsque tu marches dans la rue tu ne sais pas sur qui tu peux tomber », dit Laurent*, la trentaine, agent de change sur le marché parallèle. Ayant toujours de l’argent sur lui, il a acheté dans la Békaa, il y a un peu moins d’un an, un Glock à 4 500 dollars qu’il cache dans sa voiture ou dans son sac. « Je ne me sépare jamais de mon arme », confie pour sa part Maurice*, ancien milicien. « Il y a ceux qui achètent des armes pour voler et casser et ceux qui le font en retour pour se protéger », ajoute-t-il. Tous ont désormais le sentiment nouveau de pouvoir être agressés à chaque coin de rue. « Le sentiment d’insécurité est devenu familier, il est en nous », explique Mona Charabaty, psychanalyste et maître de conférences à l’Université Saint-Joseph. « Avant de rentrer chez moi, je fais le tour de ma maison en voiture pour m’assurer que personne n’est entré par effraction. J’ai même installé une porte en fer », raconte Maurice. « Comme je ferme toujours à clé la porte de la chambre à coucher, la première chose que je vérifie une fois rentré chez moi est qu’elle est toujours fermée », renchérit Charles.
« Je ne pensais jamais devoir acheter un fusil à pompe »
Plus de la moitié de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Et la situation pourrait encore se compliquer avec la levée annoncée des subventions. « S’armer, c’est d’abord assurer sa sécurité quand le système politique est défaillant. Surtout que l’argent n’est plus dans les banques mais dans les maisons », décrypte Mona Charabaty. Le système bancaire s’étant effondré, de nombreux Libanais conservent leurs dernières économies chez eux. « Je ne pensais jamais devoir acheter un fusil à pompe. Mais j’étais obligé de le faire compte tenu des sommes que je suis obligé de garder chez moi », dit Wissam*, qui travaille dans la communication.
Le phénomène n’est pas nouveau cependant. « Depuis un siècle, pour ne pas remonter avant, la société libanaise est armée, en réaction à la faiblesse de l’État puis en réponse aux interférences étrangères. S’est développée ainsi l’idée d’une nécessaire autodéfense ou de résistance contre l’envahisseur », analyse le sociologue Melhem Chaoul.
« Durant les années 50 et 60, surtout durant le mandat de Fouad Chehab, il y a eu une baisse du taux d’individus armés au sein de la société jusqu’en 1969, avec l’apparition des fedayin palestiniens. Puis une augmentation durant la guerre civile. Au sortir de la guerre, suite à l’accord de Taëf, l’armement lourd des milices a été remis à l’État, sauf ceux du Hezbollah. Mais les miliciens ont gardé leur arme personnelle », poursuit le sociologue. Le port d’armes diminue lorsque l’on se rapproche des centres urbains. « La périphérie des centres urbains a toujours été armée. La plupart des banlieues chaudes de Beyrouth sont connectées à des zones périphériques armées. Ce sont des gens qui sont venus des campagnes vers les villes et qui ont maintenu cet état de ceinture chaude. À ce moment-là, les armes ne sont plus seulement utilisées pour l’autodéfense et la résistance mais aussi pour la criminalité », explique-t-il.
Un AK-47 pour 1 000 dollars
Rien ne permet d’affirmer pour le moment que le phénomène s’est récemment amplifié. 31,5 % des foyers libanais possèdent une arme de chasse ou de type militaire, d’après une étude de Lebanon Statistics (octobre 2020). « C’était presque la même chose en 2019. C’est un pourcentage très élevé, nous sommes le deuxième pays arabe après le Yémen où le taux atteint 52 % », explique son directeur Rabih Habre.
« Nous n’avons pas de statistiques récentes pour assurer qu’il y a une tendance dans un sens ou dans un autre », affirme une source de sécurité, qui a souhaité gardé l’anonymat. Difficile d’avoir une idée précise puisque de nombreuses personnes passent par le marché noir. « Je ne pense pas que le pourcentage ait augmenté par rapport à 2020, les gens sont découragés à cause du prix des armes. Par exemple, un AK-47 coûte 1 000 dollars, soit 12 voire 15 millions de livres libanaises », note Rabih Habre. « Avec la crise économique, je pense que les Libanais ne vont pas acheter mais plutôt vendre leurs armes pour subvenir à leurs besoins. » Selon Lebanon Statistics, le prix d’un pistolet varie entre 500 et 3 000 dollars. Soit entre 10 et 60 fois le salaire minimum. Le prix élevé de ces armes en décourage plusieurs, à l’instar de Sophie*, la quarantaine qui souhaiterait posséder un petit pistolet qu’elle pourrait garder sur elle. « J’ai une arme chez moi depuis longtemps. Avec la situation économique, j’ai voulu acheter un petit pistolet pour me protéger lorsque je sors, mais impossible d’en acheter à cause du prix. Je veux avoir une arme, pas parce que j’ai de l’argent, je n’en ai pas, mais j’ai juste peur de me faire attaquer car les gens sont complètement désespérés. »
*Les prénoms ont été modifiés.
Les FSI n'est pas contrôle par le Hezbollah ? ???
18 h 59, le 05 mai 2021