Le vent du changement commence à souffler dans la région. Chaque jour est porteur d’une rencontre ou d’une déclaration qui vont à l’encontre des politiques suivies au cours de la dernière décennie. La nouvelle administration américaine a ainsi entamé des pourparlers indirects à Vienne avec les dirigeants iraniens, et on parle d’une avancée certaine et rapide dans les négociations. Mascate, capitale du sultanat d’Oman, a repris son rôle de médiateur agréé dans plus d’un dossier chaud, notamment celui de la guerre au Yémen qui entre dans sa septième année. Mais la capitale du sultanat est en train d’être supplantée dans les négociations régionales par Bagdad, qui a accueilli récemment des réunions de la plus haute importance entre d’un côté une délégation officielle saoudienne et de l’autre une délégation iranienne, ainsi qu’entre une délégation égyptienne et une autre turque. Dans le même contexte, une délégation saoudienne de haut niveau s’est rendue la semaine dernière en Syrie où elle a été reçue par le président syrien Bachar el-Assad et on parle d’une réouverture de l’ambassade d’Arabie à Damas après la fin du mois du jeûne.
Ce dernier développement est sans doute celui qui a le plus marqué l’esprit des Libanais, tant il rappelle l’époque maudite pour certains, bénie pour d’autres, de ce que le président de la Chambre Nabih Berry appelait « l’axe S-S » (désignant une entente syro-saoudienne pour gérer les affaires libanaises). Mais les Libanais ont-ils raison d’accorder tant d’importance à la relance des relations entre Damas et Riyad et quel est l’impact de cette relance sur l’intérieur libanais ?
En dépit de la conviction affichée par plusieurs parties locales, notamment le Hezbollah et la présidence de la Chambre, sur le fait que le blocage gouvernemental – qui dure depuis plus de six mois – serait dû à des considérations purement libanaises, on ne peut jamais totalement éliminer les facteurs externes et en particulier régionaux de ce qui se passe au Liban.
Non seulement ce pays n’est pas un îlot isolé du reste de la région, mais de plus il abrite des éléments liés aux développements autour de lui. Par exemple, depuis 1970, il accueille des réfugiés palestiniens et il a une frontière conflictuelle avec les Israéliens qui l’obligent à être impliqué directement dans le conflit arabo-israélien. Il faut désormais y ajouter le dossier des négociations sur le tracé des frontières maritimes.
Depuis 2011, le Liban a accueilli massivement les déplacés syriens. En principe, ils devaient rester sur place quelques mois, le temps que le régime Assad tombe. Mais les années ont passé, le régime n’a pas sauté et les déplacés ont continué d’affluer devenant un véritable poids pour l’économie, la sécurité, le système éducatif et les structures sanitaires au Liban. Aujourd’hui, alors que le régime syrien s’apprête à organiser des élections présidentielles qui pourraient marquer le retour de la Syrie sur la scène régionale, le Liban est donc plus que jamais concerné par les développements dans ce pays, surtout que le dossier syrien a constitué tout au long des dix dernières années une ligne de fracture entre les Libanais, certains appuyant le maintien du régime actuel et d’autres s’alignant ouvertement aux côtés de l’opposition à ce pouvoir.
Dans ce contexte, il est donc naturel que le retour des relations, d’abord sécuritaires puis bientôt diplomatiques et peut-être politiques, entre Damas et Riyad, soit suivi attentivement à Beyrouth.
En réalité, si les Libanais étaient unis, l’impact des développements régionaux et internationaux, notamment de cette valse de rencontres inattendues entre les ennemis d’hier, serait réduit. Mais leurs divisions et leurs alignements sur des axes externes les rendent vulnérables aux changements en dehors de leurs frontières. C’est pourquoi dans cette période qui ressemble fort à une transition entre un ancien « ordre mondial » et un nouveau, les parties locales impliquées dans les conflits régionaux et internationaux préfèrent attendre que le tableau régional et international se précise avant de prendre des décisions sur le plan intérieur. Soit ces parties pensent pouvoir améliorer leurs conditions internes dans tout compromis éventuel, soit elles attendent les nouvelles directives de leurs alliés (ou parrains) régionaux et internationaux.
On comprend ainsi mieux les véritables raisons du blocage gouvernemental qui vont au-delà des simples considérations et des rapports de force locaux, selon le principe qui dit que dans les périodes de grands changements, les petits pays doivent attendre que leur tour arrive.
Celui du Liban est-il prévu prochainement ? Nul ne saurait le dire avec précision, mais la plupart des parties politiques se comportent comme si la mise en place du nouveau gouvernement n’est pas imminente.
Dans ce cas, que faut-il attendre de la visite du ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian (qui arrive ce soir) à Beyrouth ? Aux dernières nouvelles, l’agenda de ses rencontres n’a pas encore été divulgué. Ce qui, selon des sources diplomatiques, est en soi un indice significatif. Comme il est peu probable que le ministre français ne sache pas qui il souhaite rencontrer, c’est donc que le flou est voulu. Il peut constituer aux yeux des Français une pression supplémentaire sur les parties responsables du blocage gouvernemental. D’ailleurs, le Premier ministre désigné ne s’y est pas trompé et ses proches ont laissé entendre hier qu’il pourrait bien renoncer à la mission de former le gouvernement...
Les critiques françaises à l’égard des Libanais suffiront-elles à relancer le processus gouvernemental ? Jusqu’à présent, et en dépit de deux visites de son président Emmanuel Macron à Beyrouth (le 6 août et le 1er septembre 2020), la France n’a pas encore réalisé une véritable percée...
commentaires (3)
Le Liban n'a jamais pu , depuis l'antiuité et tout au cours de son histoire turbulente , résister aux vents qui soufflent autour de lui . L'hostoire ce répètera toujours !
Chucri Abboud
14 h 57, le 05 mai 2021