Un messager en terre contestée

De notre correspondant à Jérusalem, Le journalisme comme identité de Charles Enderlin, Don Quichotte/Seuil, 2021, 352 p.

Charles Enderlin est une personnalité bien connue de tous ceux qui s’intéressent à la question de Palestine. Notre connaissance des faits de ces dernières décennies doit beaucoup à ses activités de journaliste. Dans ce livre, il nous livre les grandeurs et les misères de son expérience de correspondant de presse à Jérusalem.

Né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à Nancy, militant sioniste de gauche, il s’installe à Jérusalem à la fin de l’année 1968. En 1971, il est recruté à la rédaction francophone de la Radio publique israélienne. Il apprend ainsi le métier sur le tas. Dès lors sa vie va être rythmée par toutes les violences du conflit. En 1981, il devient correspondant pigiste d’Antenne 2. Là encore il se forme sur le tas au métier de l’audiovisuel. En 1982, il est correspondant militaire la radio israélienne lors de l’invasion du Liban. Il couvre les relations avec les maronites et fait des interviews de Pierre Gemayel et de Camille Chamoun.

Un des grands talents de Charles Enderlin est sa capacité à établir des relations avec des gens de tout bord, ce qui aboutit à faire de lui un intermédiaire pour faire passer des messages à qui de droit. Par exemple, il sert de contact avec les Syriens, dans un sens comme dans l’autre, par le biais de Lucien Bitterlin, ami bien connu du régime de Damas. À partir de 1988, il est à plein temps à Antenne 2.

Son rôle devient croissant avec sa couverture de la seconde intifada. Assumant son identité de juif, de Français et d’Israélien, grâce à ses qualités d’honnêteté professionnelle, il est accepté partout alors qu’en France certains frénétiques sionistes l’accusent déjà de haine de soi. On lui communique discrètement le contenu d’entretiens diplomatiques de première importance. Il est ainsi en contact avec l’entourage de Shamir et de Rabin aussi bien qu’avec les personnalités palestiniennes des territoires occupés, puis avec Arafat et ses proches quand ils reviennent en Palestine après Oslo I. Il peut aussi rencontrer des leaders du jihad islamique. Il est le premier à annoncer l’assassinat de Rabin. Bien des épisodes de cette histoire comme la visite de Chirac à Jérusalem ou celle de Jospin à Bir Zeit sont connus grâce aux reportages d’Enderlin et de son équipe.

Parallèlement, le journaliste commence à rédiger des livres qui seront des références pour les historiens du temps présents. Son bureau à Jérusalem sert aussi de lieux de rencontres discrètes des négociateurs des deux camps, en dehors de tout média.

Lors du début de la seconde intifada, c’est un membre de son équipe qui filme la mort du petit Mohammed al-Dura. Le reportage aura un retentissement mondial et lui vaudra une campagne de haine délirante de la part des instances représentatives du judaïsme français, en totale rupture avec le temps du grand humaniste qui était Théo Klein. Elle est aussi relayée par des personnalités que l’on prétend être des intellectuels de renom. Lui et sa famille seront et sont encore régulièrement menacés.

Parallèlement il assiste à un déclin continu de la qualité de l’information audiovisuelle. Les progrès de la technologie permettent aux rédactions de dicter à des milliers de kilomètres le contenu des reportages. France 2 le met pratiquement dans un placard dans l’attente de sa retraite.

La voix, les images et les écrits de Charles Enderlin sont inséparables du conflit de Palestine. Les lecteurs trouveront dans ce livre ce que ses amis savent depuis longtemps, qu’il est un grand honnête homme.