Au fil des jours, et à mesure que la crise économique, sociale et financière devient de plus en plus aiguë, le fossé s’approfondit entre les différents protagonistes libanais. Alors qu’en principe, face à des difficultés aussi graves pour la population, les parties politiques devraient mettre de côté leurs divergences et essayer de resserrer les rangs pour trouver des solutions, au Liban, c’est exactement le contraire qui se produit. Personne ne veut assumer les responsabilités et chaque partie cherche à faire assumer à l’autre la responsabilité de la catastrophe.
C’est donc un véritable tableau surréaliste qui est offert aux Libanais : le pays s’enfonce, les fonds s’évaporent, les institutions s’effritent et les politiciens et responsables ne cherchent qu’à échanger des accusations. Pour tenter de cacher leur impuissance ?
C’est l’interprétation qui est le plus souvent retenue, sachant que désormais la crise est tellement profonde que pratiquement toutes les solutions exigent l’adoption de mesures impopulaires dont aucune partie ne veut assumer la responsabilité.
Aujourd’hui, les médias et les différents acteurs politiques attribuent le blocage gouvernemental au conflit qui oppose le président du Conseil désigné Saad Hariri au chef du CPL Gebran Bassil. Même si cette explication peut ne pas convaincre certains, elle reste la seule à être avancée, tant au Liban que dans les milieux diplomatiques.
Même le Hezbollah adopte cette explication, rejetant ainsi toutes les autres qui le placent au cœur de la crise, selon l’idée que les États-Unis et leurs alliés veulent l’affaiblir et l’isoler sur la scène libanaise pour lui faire payer le prix de ses interventions au Yémen, en Irak, en Syrie et à Gaza et lui faire perdre la majorité parlementaire qu’il a gagnée avec son allié le CPL lors des dernières législatives de 2018.
Pour étayer son adoption de la thèse du blocage dû au conflit entre MM. Hariri et Bassil, le Hezbollah précise que lors de sa dernière visite au Liban, le secrétaire d’État adjoint américain David Hale a poussé vers la formation d’un gouvernement sans émettre des réserves quant à la participation de ce parti. De plus, toujours selon cette formation, Saad Hariri sait parfaitement qu’il possède deux points de force qui lui permettent de tenir bon face aux pressions du camp adverse : d’abord le fait que la majorité des sunnites l’appuient, ce qui fait de lui le principal représentant de cette communauté, et ensuite, il bénéficie de l’appui des deux formations chiites Amal et le Hezbollah.
Il sait par conséquent très bien qu’il ne peut pas former un gouvernement sans l’appui de ces deux formations et il n’a jamais tenté de le faire.
Or les milieux diplomatiques occidentaux et régionaux connaissent aussi très bien cette réalité et ils ne la contestent que pour la forme. Certes, l’administration américaine précédente (celle de Donald
Trump) avait été ferme sur ce point. Mais depuis l’élection de Joe Biden, il ne s’agit plus d’une condition posée par les Américains et David Hale, au cours de cette fameuse dernière visite à Beyrouth, a rappelé que les administrations américaines ont déjà traité avec des gouvernements libanais dans lesquels le Hezbollah était représenté. Le problème n’est donc pas là aux yeux du Hezbollah. Il se résume à l’animosité déclarée entre Saad Hariri et Gebran Bassil. Le Premier ministre désigné refuse de rencontrer le chef du CPL. Il ne veut traiter qu’avec le chef de l’État et en même temps, il exige que le bloc parlementaire du Liban fort, dirigé par M. Bassil, accorde sa confiance au gouvernement qu’il compte former. Ce qui est totalement rejeté par le chef du CPL, lequel affirme qu’il ne veut pas être impliqué ni de près ni de loin dans le prochain gouvernement. Toutes les médiations destinées à réunir les deux hommes, ou au moins à les pousser à être plus malléables l’un envers l’autre, ont échoué jusqu’à présent.
Lorsqu’on demande au Hezbollah s’il est possible que personne, ni lui ni les parties étrangères, ne puisse régler ce problème, il répond qu’il a bien essayé de parler aux deux hommes, mais il ne peut pas faire plus. Selon lui, ce n’est ni dans ses habitudes ni dans ses méthodes d’exercer des pressions fermes sur une partie interne. Le Hezbollah conclut en disant : c’est terrible, mais c’est ainsi, la formation du gouvernement bute sur l’incapacité de Hariri et Bassil à s’entendre. On a alors beau lui dire qu’on ne peut pas faire dépendre le sort de plus de 4 millions de personnes d’un conflit personnel entre deux hommes, aussi importants soient-ils, mais le Hezbollah maintient sa thèse.
Alors, comment sortir de cette impasse ? Pour le Hezbollah, la région est à la veille d’importants changements. Il y a d’abord les négociations entre l’Iran et les quatre pays plus un, en plus des États-Unis, sur le dossier nucléaire, et ensuite, les rencontres discrètes entre des représentants saoudiens et iraniens en Irak (ils en seraient à leur troisième rencontre). Tous ces éléments, selon le Hezbollah, finiront par avoir un effet positif sur le Liban, mais cela devrait prendre du temps, car les Iraniens refusent jusqu’à présent de discuter d’un autre sujet que la levée des sanctions qui leur sont imposées avec les Américains et les partenaires de l’accord sur le nucléaire, et avec les Saoudiens, la priorité est au dossier yéménite.
Entre-temps, le Liban est laissé à son sort... et à ses blocages.
commentaires (9)
Tout se passe comme si tous les intervenants, y compris les médias, sont complices. Pourquoi aucun journaliste ne demande à M. Hariri ce qu'il compte faire une fois PM? Va t-il maintenir l'audit de la BDL et des banques? Va t-il demander au Parlement l'établissement du contrôle des capitaux? A qui va t-il faire payer la crise financière aux actionnaires et aux gros déposants ou bien à tout le monde? C'est cela qui est important et non pas les ambitions des uns ou des autres.
NASSER Jamil
18 h 23, le 30 avril 2021