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Monde - Portrait

Nikol Pachinian, la fin de l’état de grâce

Porté au pouvoir à la faveur de la « révolution de velours » en 2018, le chef du gouvernement arménien essuie désormais de nombreuses critiques mais semble toujours être le favori des élections législatives à venir.

Nikol Pachinian, la fin de l’état de grâce

Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian salue ses partisans lors d’un rassemblement à Erevan, le 1er mars 2021. Aris Messinis/AFP

À moins de deux mois des élections législatives anticipées auxquelles il se porte candidat, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a annoncé dimanche sa démission, tout en indiquant qu’il continuerait à exercer ses fonctions par intérim jusqu’au scrutin fixé au 20 juin. Conformément à la Constitution arménienne, la tenue d’élections législatives anticipées n’est possible que lorsque le Premier ministre démissionne. La démission de Nikol Pachinian était attendue, puisqu’il en avait fait la promesse, après des mois de manifestations et de pressions de la part de l’opposition et d’une partie de la population qui lui reprochent d’avoir accepté, lors de la récente guerre au Haut-Karabakh, un accord de paix entérinant une défaite jugée humiliante face à Bakou.

« Pour de nombreux Arméniens d’Arménie et de la diaspora, l’accord trilatéral était une paix défaitiste. À leurs yeux, la démission est le prix politique naturel qu’il doit payer pour ses mauvaises politiques et son incapacité à rechercher une solution négociée au conflit du Karabakh comme le faisaient ses prédécesseurs », observe Ohannès Geukjian, professeur assistant en politique comparée et en résolution de conflits à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Qualifié de « traître » par une partie de la population, l’époque où Nikol Pachinian était considéré comme un héros par des dizaines de milliers de manifestants en 2018 semble bien loin. Ancien journaliste d’investigation, connu pour ses critiques acerbes contre les gouvernements de Robert Kotcharian et de Serge Sarkissian, le Premier ministre actuel devient l’une des principales figures d’opposition au régime autoritaire du président Serge Sarkissian, au pouvoir de 2008 à 2018. Nikol Pachinian passe notamment deux ans en prison pour avoir participé à des manifestations contestant les résultats de l’élection présidentielle arménienne de 2008. Élu député en 2012, ce quadragénaire se fait surtout remarquer en avril 2018, alors qu’il prend la tête du mouvement de colère d’une partie de la population réclamant un changement de gouvernement ainsi que la fin de la corruption et de la pauvreté dans le pays. Dénonçant la violence des régimes autoritaires et la corruption des élites postsoviétiques, Nikol Pachinian représente la nouveauté au sein d’une jeunesse exaspérée par la vieille caste politique. Le 8 mai 2018, deux semaines après la démission de Serge Sarkissian, Nikol Pachinian est élu Premier ministre. En décembre de la même année, son parti remporte une victoire écrasante aux élections législatives anticipées. « Dans une certaine mesure, Nikol Pachinian est parvenu à tenir ses principales promesses de campagne. Il y a eu une réelle amélioration de la qualité de vie en Arménie depuis le début de son mandat », indique Neil Hauer, journaliste canadien spécialisé dans le Caucase. Aux yeux d’une majorité d’Arméniens, la liberté d’expression s’est accrue dans le pays, alors que la corruption a en parallèle diminué depuis 2018, selon les sondages effectués par le Caucasus Research Resource Center-Armenia (CRRC). Mais en septembre 2020, le déclenchement de la troisième guerre du Haut-Karabakh porte un coup à la légitimité du Premier ministre.

Épisode douloureux

Après avoir été vaincue par l’Azerbaïdjan, l’Arménie a été contrainte de céder l’ensemble des territoires reconquis au sein de l’enclave séparatiste du Haut-Karabakh, à l’instar de sa deuxième ville, Choucha, mais également tous les districts du glacis sécuritaire mis en place autour de la république autonome par les séparatistes arméniens durant la première guerre du Haut-Karabakh (1988-1994). « La cession de certaines parties du Karabakh à l’Azerbaïdjan, l’incapacité de récupérer les prisonniers de guerre (POW), l’énorme destruction de biens et d’infrastructures au Karabakh et plus de 5 000 pertes humaines dans l’armée ont affaibli la position politique de Pachinian et l’ont poussé à démissionner », décrypte Ohannès Geukjian.La population ne pardonne pas au Premier ministre d’avoir multiplié les discours prédisant une victoire. Alors que ses prédécesseurs Robert Kotcharian et Serge Sarkissian, tous deux originaires de la région du Haut-Karabakh, contrairement au Premier ministre actuel, sont considérés comme les vainqueurs de la précédente guerre qu’a connue l’enclave, le nom de Nikol Pachinian est désormais associé à l’épisode douloureux de l’automne dernier. « L’image qu’il laisse derrière lui est très sombre, principalement parce que l’attaque de l’Azerbaïdjan contre le Karabakh, entièrement soutenue et financée par la Turquie, a évoqué le traumatisme et la douleur du génocide arménien », indique Ohannès Geukjian en référence aux massacres commis par l’Empire ottoman en 1915. « Une telle image est une page noire dans la période postindépendance de l’Arménie », poursuit le chercheur. « Peu importe qui a gouverné, n’importe quel dirigeant aurait perdu le soutien d’une partie de sa base », nuance Neil Hauer, pour qui c’est surtout la gestion postconflit du Premier ministre qui a aggravé son image. Alors que les appels à sa démission se sont multipliés depuis novembre, Nikol Pachinian a de son côté eu des propos extrêmement maladroits en critiquant l’efficacité des missiles russes Iskander utilisés pendant la guerre du Haut-Karabakh et en limogeant par la suite un général ayant moqué ses propos. Pour la première fois, l’armée du pays s’est ainsi mêlée de politique, l’état-major ayant même signé une lettre réclamant la démission de Nikol Pachinian le 25 février dernier.

Pour mémoire

Les raisons de la défaite arménienne dans le Haut-Karabakh

Une position de faiblesse que comptent bien exploiter les opposants du Premier ministre, au premier rang desquels l’ancien chef de l’État Robert Kotcharian, qui a fait part de son intention de se présenter aux prochaines élections. Mis en examen et emprisonné à trois reprises durant le mandat de Nikol Pachinian, l’ancien président a été acquitté par la justice arménienne le 6 avril, alors qu’il était poursuivi pour sa responsabilité éventuelle dans la mort de dix citoyens qui manifestaient en 2008 contre une élection présidentielle jugée frauduleuse. « L’affaire Kotcharian est considérée, après la défaite du Haut-Karabakh, comme le gros revers du mandat de Pachinian », note Neil Hauer, pour qui « le Premier ministre a investi beaucoup de temps dans ce dossier ». Malgré la perte de légitimité de l’ancien héros populaire, ce dernier serait presque certain de remporter le prochain scrutin. « Alors que la majorité de la population déteste Kotcharian et les figures liées à l’ancien régime, Nikol Pachinian apparaîtra comme le moindre mal dans cette élection », résume le spécialiste.

À moins de deux mois des élections législatives anticipées auxquelles il se porte candidat, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a annoncé dimanche sa démission, tout en indiquant qu’il continuerait à exercer ses fonctions par intérim jusqu’au scrutin fixé au 20 juin. Conformément à la Constitution arménienne, la tenue d’élections législatives anticipées n’est...

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