Le patriarche maronite Béchara Raï et le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth Élias Audi sont tous deux revenus dimanche dans leurs homélies respectives sur la querelle judiciaire opposant la procureure générale près la cour d'appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, au procureur général près la cour de cassation, Ghassan Oueidate, sur fond de tensions politiques.
Les deux dignitaires religieux ont clairement critiqué la juge Aoun, sans toutefois la nommer, dans un nouveau camouflet infligé par deux hautes instances chrétiennes au président de la République Michel Aoun, dont la juge est réputée proche.
"Nous avons été surpris en voyant sur les écrans de télévision un événement judiciaire qui ne respecte en aucun cas la culture et les usages judiciaires libanais", a regretté Mgr Raï. Ce qui s'est passé déforme l'image de la justice impartiale et libre de toute affiliation", a-t-il estimé dans une claire allusion aux agissements de Ghada Aoun.
Les tensions judiciaires, étalées dans les médias depuis deux semaines, sont sous-tendues par la querelle politique entre le Courant patriotique libre du député Gebran Bassil et le Courant du Futur du Premier ministre désigné Saad Hariri, dont sont proches respectivement les juges Ghada Aoun et Ghassan Oueidate. Les tensions entre les deux magistrats ont éclaté au grand jour il y a deux semaines, lorsque la procureure Aoun a voulu perquisitionner à plusieurs reprises la société de convoyage de fonds Mecattaf à Aoukar, malgré avoir été dessaisie des dossiers financiers par le juge Oueidate. Les perquisitions menées, qui ont été émaillées de violences entre la police et des partisans de la juge, s'inscrivent dans le cadre d’une enquête basée sur une plainte pour blanchiment d’argent à l'encontre le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, et du PDG de la Société générale de banque au Liban (SGBL) Antoun Sehnaoui. "Je me suis attaquée à ceux qui volent l’argent des Libanais et on s’en est pris à moi", s'est récemment défendue Ghada Aoun auprès de L’Orient-Le Jour.
"Perversion de la justice"
Le président de la République, Michel Aoun, fondateur du CPL, a implicitement apporté son soutien à Ghada Aoun, alors que le camp politique de M. Hariri ne cesse de la critiquer. Certains experts juridiques estiment que la décision du juge Oueidate est illégale, alors que d'autres affirment que la juge Aoun a outrepassé ses prérogatives en refusant d'obtempérer aux décisions du procureur général près la cour de Cassation.
"Nous insistons pour que la justice lutte contre la corruption et les crimes, loin de toute ingérence politique, et nous insistons pour que les droits soient restitués à leurs propriétaires, notamment les dépôts d'argent" dans les banques, a souligné Béchara Raï. "Mais ce qui se passe contredit les us judiciaires et les règlements. Cela a porté atteinte au prestige du pouvoir judiciaire (...). Nous nous interrogeons désormais, avec inquiétude, sur ce qui s'est passé et les raisons derrière cela", a ajouté le patriarche. Se défendant de s'ingérer dans les enquêtes judiciaires, le prélat maronite a affirmé qu'il ne pouvait pas "garder le silence sur ce qu'il se passe". "Nous haussons la voix pour exprimer notre refus total de cette perversion et appeler les responsables à mettre un terme à ce développement dangereux pour éviter la chute totale du pouvoir judiciaire. Une telle chute signera le coup de grâce de l'État de droit", a-t-il prévenu.
Les critiques d'Élias Audi
Le métropolite Élias Audi a lui aussi critiqué la juge Aoun, lui aussi sans la nommer. Au cours de son homélie à l'occasion de la fête des Rameaux chez les grecs-orthodoxes, il a dénoncé une "destruction de la justice".
"Après la destruction de la réputation bancaire du Liban, aujourd'hui, nous assistons à la destruction de la justice et de l'armée qui défend le pays avec courage", a regretté le dignitaire grec-orthodoxe. "Est-il permis qu'un juge se rebelle contre la loi, alors qu'il est lui-même chargé de la faire respecter ?", s'est-il demandé dans une claire allusion à la procureure Aoun. "Est-il permis que les journalistes se fassent agresser ?", s'est encore interrogé le prélat, en référence aux agressions commises par des partisans de la juge Aoun contre des journalistes de la chaîne MTV qui couvraient les perquisitions à Aoukar. "Est-il permis qu'un juge devienne hors-la-loi ?", s'est encore demandé le métropolite.
Pour sa part, Ghada Aoun a publié un communiqué dimanche dans lequel elle se défend d'avoir insulté le patriarche maronite. "Un communiqué qu'on m'attribue et contenant des insultes à l'égard du patriarche maronite circule sur les réseaux sociaux. Je condamne fermement ce comportement milicien qui vise à déformer ma réputation. Naturellement, je ne suis pas capable de prononcer de telles insultes, alors que je suis une croyante, chrétienne, pratiquante, qui respecte le chef de l'Église maronite", a affirmé la juge. "Je vais porter plainte demain pour dévoiler l'identité de ceux qui véhiculent de telles informations et réclamer des sanctions à leur égard", a-t-elle conclu.
commentaires (23)
Mes fils des jeunes s'étaient éclatés le 17 octobre mais sont rentrés quelque temps après décus . Ils espéraient malgré tout que la corruption qui restait en tète des slogans allaient devenir la priorité de la Justice mais big déception . Actuellement c'est l'Eglise qui les éloigne d'elle .
Lecteurs OLJ 2 / BLF
09 h 51, le 26 avril 2021