Même si les développements des derniers jours ont fait passer le dossier gouvernemental au second plan, celui-ci reste un véritable casse-tête. Les Libanais se demandent d’ailleurs avec une incrédulité mêlée de colère comment, dans une période aussi grave, un dossier aussi vital que celui de la formation du gouvernement peut-il buter sur des questions aussi secondaires que le tiers de blocage, la moitié plus un ou encore l’attribution de tel ou tel autre portefeuille.
Pour répondre à cette question justifiée, il existe une autre lecture de l’impasse, selon laquelle, en dépit de toutes les déclarations contraires, personne ne veut au fond d’un nouveau cabinet...
Selon cette lecture, les milieux diplomatiques occidentaux, contrairement à ce qu’ils disent, ne voudraient pas vraiment d’une nouvelle équipe ministérielle au Liban, car ils seraient ainsi privés d’un moyen de pression efficace sur le chef de l’État et son camp, ainsi que sur le Hezbollah. D’ailleurs, depuis la démission du gouvernement de Hassane Diab, diplomates et responsables occidentaux ne cessent d’appeler à la formation d’un nouveau gouvernement en utilisant souvent les termes les plus durs à l’égard des dirigeants libanais, élargissant ainsi le fossé existant entre la population et la classe politique. Accuser cette dernière d’irresponsabilité, de corruption et d’incompétence reste le meilleur moyen de la discréditer aux yeux des Libanais qui devront exprimer leur état d’esprit dans les urnes, lors des élections législatives de 2022. Les critiques sont ainsi principalement dirigées contre le chef de l’État et son camp, sachant que les chrétiens restent la partie la plus fragilisée et qu’en définitive, c’est à travers eux qu’arrivera le renversement de la majorité parlementaire. En même temps, les critiques sont dirigées contre le Hezbollah, accusé de ne rien faire pour faciliter la formation du gouvernement, alors qu’il aurait les moyens d’agir s’il se décidait à le faire. En tout cas, toujours selon cette lecture, la base aouniste chrétienne est en train de s’éloigner du parti chiite, convaincue que ce dernier ne fait rien pour aider le chef de l’État et le chef du Courant patriotique libre dans le processus de formation du cabinet, car il préfère ménager le président du Conseil désigné Saad Hariri, lequel est clairement appuyé par le président de la Chambre Nabih Berry.
Si l’on suit ce raisonnement, on peut dire que les Saoudiens sont les plus francs en déclarant ouvertement que pour l’instant, ils ne se soucient pas de la situation libanaise.
Toujours sur le plan international, la Russie, qui commence à s’intéresser au dossier libanais, préfère ne pas trop s’impliquer dans la question gouvernementale pour ne pas avoir à prendre parti.
Enfin, l’Iran, qui entame des négociations ardues aussi bien avec la communauté internationale qu’avec des parties arabes dont l’Arabie saoudite, ne considère pas que la formation d’un gouvernement au Liban est sa priorité.
Sur le plan intérieur, chaque partie aurait ses raisons de ne pas vouloir un gouvernement à l’heure actuelle. Le président Michel Aoun, d’abord, qui considère certes que le temps presse et que c’est son mandat qui est en jeu. Mais en même temps, au bout de 18 réunions avec le Premier ministre désigné, il n’est pas convaincu que ce dernier peut former un gouvernement qui soit en mesure de régler les nombreux dossiers en suspens. Au mieux, il ferait comme le gouvernement formé après les législatives de 2018, qui a démissionné le 29 octobre 2019, c’est-à-dire pas grand-chose. Il n’est donc pas prêt à faire des concessions en faveur de Saad Hariri qui l’a lâché dès le début des manifestations. De plus, selon ses proches, il ne peut pas accepter que le dernier gouvernement de son mandat soit un cabinet sur lequel il n’a aucune prise et qui prendrait des décisions destinées à l’affaiblir, lui et son camp.
Le président du Conseil désigné estime de son côté qu’il ne peut pas former un gouvernement aux conditions du chef de l’État parce qu’ils ne sont pas d’accord tous les deux sur l’agenda à suivre. De plus, selon ses proches, le durcissement de sa position face à Michel Aoun et à son camp est en train de faire remonter sa cote de popularité auprès de la rue sunnite, et s’il forme un gouvernement en tenant compte du Hezbollah, il risque de se mettre à dos de nombreuses parties régionales et internationales. Enfin, Saad Hariri sait aussi que s’il forme un cabinet dans les circonstances actuelles, celui-ci sera amené à prendre des décisions impopulaires. Il sait que la sortie de crise ne sera ni facile ni rapide. Il préfère donc laisser l’actuel gouvernement démissionnaire essuyer les plâtres et subir la grogne populaire...
Le président de la Chambre, homme de compromis par excellence, sait qu’actuellement, aucune médiation ne peut trouver son chemin vers la réussite tant les positions des protagonistes sont opposées. Il se tient plus ou moins à l’écart, remettant de temps en temps sa médiation sur le tapis, mais sans grande conviction.
Le Hezbollah, lui, pourrait bien pousser vers la formation du gouvernement, ne serait-ce que pour aider son allié en difficulté, mais il ne veut pas intervenir non plus. D’abord parce qu’il n’a pas l’habitude de forcer ses alliés à faire quoi que ce soit. Ensuite parce qu’il ne veut pas être obligé de prendre parti entre le chef de l’État et le Premier ministre désigné, ne serait-ce que pour éviter à la fois de braquer les chrétiens, et susciter des frictions entre les sunnites et les chiites. Enfin, le parti chiite, qui a assuré à sa base populaire un minimum de moyens de survie, n’a pas de problème à attendre les développements régionaux et internationaux, car il est convaincu qu’ils évolueront dans le sens du renforcement de sa position. Les anciens groupes du 14 Mars, en particulier les parties chrétiennes qui ont décidé de ne pas participer au prochain gouvernement, ne sont pas mécontents de voir leur principal rival, le CPL, s’affaiblir sur le plan populaire. Plus le gouvernement tarde à être formé et plus ils auront des arguments à présenter aux électeurs en mai 2022...
Selon cette lecture (qui n’est pas la seule cependant), le pays serait donc livré à lui-même, et les parties concernées ne seraient pas pressées de former un cabinet. Toutes ? Sauf le Premier ministre démissionnaire qui, lui, veut une nouvelle équipe au plus vite.
commentaires (14)
Personne ne veut d'un gouvernement! C'est vrai et merci Mme Haddad de le préciser. La révolution dans tout les pays du monde se fait contre un régime et son armée. Le régime auquel le peuple Libanais fait face change de face tout les jours avec une constante: puissance locale tenue par des puissances étrangères qui nous tire vers le fond rapidement en promettant à tout zaim, quelque soit son importance, une part du gâteau! Malheureusement le jour où la destruction sera complète, chaque zaim sera au régime tout comme le peuple tout entier. Ils ont tous succombé aux zaimissme, hezb, cpl, fl, future, psp etc etc ...au plaisir de la syrie, de l'iran et surtout d'israel et ses mentors les usa et la russie... "Ketrite el zéaama chaou'chatitte el tabkha" wa rouhna fi dahya jamais vue...
Wlek Sanferlou
17 h 21, le 21 avril 2021