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Économie - Focus

Les théâtres et cinémas libanais se préparent à revenir sur le devant de la scène

La pièce « Whispers-Hamasat International », réalisée par Lina Abiad, et produite par « 62 Events by Josyane Boulos » et Agatha Ezzeddine, sera diffusée en ligne à partir du 24 avril dans le but de collecter un fonds de soutien pour soutenir les créations artistiques de la jeunesse théâtrale libanaise.

Les théâtres et cinémas libanais se préparent à revenir sur le devant de la scène

À quels prix tarifer les billets d’entrée des cinémas et des théâtres lors de leur réouverture, compte tenu de la dépréciation de la monnaie nationale dans un Liban en crise ? Photo DR/Grand Cinemas

En un an et demi, la réalité de la scène libanaise aura dépassé toute fiction, servant de décor à une suite de crises relevant du possible, bien que de l’inimaginable. De la contestation contre la classe dirigeante au blocage politique, en passant par la double explosion au port de la capitale, les Libanais se sont bien malgré eux retrouvés dans la peau de spectateurs non avertis d’une pièce mortifère, articulée en plusieurs actes et sans le moindre entracte.

Sous les feux des projecteurs des médias internationaux relatant la fulgurante descente aux enfers du pays du Cèdre, les théâtres et cinémas libanais ont de plus dû éteindre les leurs en amont du premier confinement imposé en mars 2020 par les autorités pour tenter d’enrayer la propagation du Covid-19. Un virus faisant pourtant pâle figure face « à celui de la crise socio-économique », décrète Paul Matar, directeur du théâtre Monnot.

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Oscillant dès lors entre optimisme inné et pessimisme acquis quant à leur avenir, les professionnels du secteur misent toutefois sur la gnaque des talents locaux, et sur diverses sources financières locales et internationales pour continuer de créer, diffuser et divertir. Alors que le déconfinement progressif et la campagne de vaccination se poursuivent et malgré une crise économique paraissant insolvable, théâtres et cinémas se préparent à un lever de rideau visant l’international pour survivre.

Du jamais-vu

Situé dans le quartier homonyme de la capitale, le théâtre Monnot était aux premières loges des manifestations quotidiennes entamées le 17 octobre 2019. « Nous préparions une pièce pendant que la contestation faisait rage sur le boulevard du Ring », se rappelle Josyane Boulos, auteure, comédienne et productrice à la tête de 62 Events by Josyane Boulos. Des préparatifs mis sur pause en cette fin d’année pour une représentation faisant salle comble à partir du mois de février suivant. « Jusqu’à ce que la pandémie arrive au Liban et que nous devions stopper toute activité. » Une décision prise à travers le monde, mais sonnant comme un clap de fin pour le milieu culturel libanais auquel presque aucun budget gouvernemental n’est dédié.

Relayée début avril par Le Commerce du Levant, une récente étude sur la contribution économique des industries culturelles et créatives (ICC) au Liban de l’Institut des finances Basil Fuleihan, financée par l’Institut français du Liban et l’Agence française de développement, évalue la contribution des ICC à 4,75 % du PIB national. Des industries parmi lesquelles les arts du spectacle, dont le théâtre, ne représentent que « 13 % du chiffre d’affaires total des ICC au Liban », ainsi que l’audiovisuel, pour lequel le cinéma « pèse à lui seul 0,3 % du PIB et 12 % du total du secteur créatif », selon les données récoltées par l’institut.

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Toujours selon ce rapport, entre 2016 et 2019, le Liban comptait 17 salles de cinéma, dont 75 % sont détenues par Empire Cinemas et Grand Cinemas, pour une « projection de films représentant le tiers des revenus du secteur et un chiffre d’affaires global pour les distributeurs deux fois supérieur à celui des producteurs ». De son côté, le milieu théâtral ne compte que « 7 théâtres opérationnels, en plus des théâtres universitaires », pour une économie difficilement chiffrable au vu de sa dépendance aux allocations externes et son caractère majoritairement informel. Un constat sectoriel menaçant l’existence même de ses acteurs compte tenu de la conjoncture nationale.

« Il y a aujourd’hui des gens du théâtre qui ont faim, car c’est un travail d’indépendants », souligne Nidal Achkar, directrice du théâtre al-Madina situé à Hamra (Beyrouth). « La faillite du pays entraîne celle du théâtre car on ne peut pas dissocier les deux. C’est du jamais-vu », s’exclame-t-elle. Une expression reprise par Gino Haddad, PDG d’Empire Cinemas : « En plus d’un siècle d’existence au Liban, nous n’avions encore jamais fermé. Même en temps de guerre, les gens regardaient des films au cinéma pendant que les bombes tombaient. » Un souvenir corroboré par Nidal Achkar qui réalisait en cette période de conflit civil (1975-1990) du « théâtre souterrain ». « À l’époque, on savait ce qu’il se passait. Aujourd’hui, c’est le flou total », conclut-elle.

La salle de cinema du centre commercial Espace 2000 à Zouk, dans le Kesrouan. Photo P.H.B.

À quel prix ?

Un flou sur la survie du secteur pendant cette période de fermeture qui dure depuis plus d’un an, mais un flou également sur son avenir dans l’espoir même d’une réouverture prochaine en raison de la crise économique que traverse le Liban, annihilant le pouvoir d’achat des Libanais. « Nous sommes un secteur de divertissement, rappelle Gino Haddad. Qui a envie de s’amuser par des temps pareils, et surtout à quels prix ? » Une question portant notamment sur la tarification des entrées dans les salles obscures et de théâtre, sur laquelle aucun des interlocuteurs n’a encore réussi à trancher, bien que Josyane Boulos ait tenté d’y apporter des éléments de réponse.

En effet, face à la dépréciation dramatique de la monnaie nationale, l’auteure a pris ce calcul à bras-le-corps en réalisant une enquête sur un échantillon de 443 personnes interrogées entre le 19 mars dernier et le 4 avril, soit juste après que la monnaie nationale a touché la barre des 15 000 livres libanaises le dollar sur le marché parallèle (contre 1 507,5 livres pour un dollar au taux de change officiel). Pour effectuer cette enquête, « je me suis basée sur la division d’une salle de théâtre comme celle du théâtre Monnot », explique-t-elle. Un sondage concluant que, avant la crise, une majorité de 31,8 % des participants payaient 45 000 livres (30 dollars en parité officielle) en moyenne leur entrée pour une pièce de théâtre, tandis qu’aujourd’hui, 35,7 % sont prêts à débourser 100 000 livres, suivant un taux de change parallèle fixé par Josyane Boulos à 12 000 livres, soit 8 dollars à ce taux ou 66 dollars au taux officiel.

« Malgré la hausse des prix de production, on ne peut pas trop renchérir les billets », explique-t-elle. Un constat partagé par les propriétaires de salle de cinéma pour qui le problème tarifaire succède en réalité à un autre, majeur : celui de la distribution. « Avec la crise sanitaire, les grands studios internationaux hésitent à lancer leurs productions les plus coûteuses sur le marché au vu de son instabilité à l’international. Nombre de blockbusters américains, par exemple, ont été reportés depuis l’apparition de la pandémie, rappelle Carly Ramia Habis, directrice du marketing, des relations publiques et de l’événementiel pour Grand Cinemas. Les contrecoups économiques sur le secteur dus à la pandémie sont globaux, mais il n’y a aucune aide financière pour les salles de cinéma au Liban pour y faire face, en sus des conséquences de la crise économique propre au pays. »

Vers le marché international

Une économie sectorielle de surcroît ponctionnée par des dépenses imprévues liées à la double explosion du 4 août dernier au port de Beyrouth, dévastant les quartiers alentour, cœur vibrant et culturel de la capitale, et mettant en danger l’existence même des ICC. « Les dégâts subis par notre branche au centre-ville sont estimés à plus de 2 000 000 de dollars. Nous n’avons toujours pas reconstruit, étant en litige avec notre assurance », explique Gino Haddad. Des assurances qui attendent toujours de déterminer la cause de la double explosion avant de débourser, alors que l’enquête nationale patauge depuis lors. La société Grand Cinemas a, elle, réparé à ses frais son cinéma situé au sein du complexe commercial ABC à Achrafieh. Quant aux théâtres, il aura fallu faire appel à des dons pour la plupart. « Nous avons mis en ligne une pièce tournée après l’explosion, qui a généré 70 millions de livres libanaises », explique Josyane Boulos à la tête de cette initiative. Une somme ensuite répartie entre les théâtres sinistrés, tel le théâtre Tournesol (Tayyouné), dont « presque 75 % des frais de réparation ont ainsi pu être couverts », annonce son directeur, Abdo Nawwar. Des fonds nécessaires à la survie du théâtre libanais, « principalement beyrouthin et dont l’impact culturel prime sur toute la région », souligne Josyane Boulos.

Un combat existentiel déjà entrepris par le cinéma libanais, notamment via cette initiative du metteur en scène et producteur Serge Oryan qui appelle depuis plusieurs mois les Libanais qui le peuvent à investir dans le secteur. « Avant, le cinéma libanais représentait un pari trop risqué pour les investisseurs, mais aujourd’hui, la chute de l’économie nationale donne du potentiel à cette idée. » En effet, en raison des restrictions bancaires bloquant et dévaluant les devises en banque, dorénavant appelées « dollars libanais », à un taux de 3 900 livres par dollar, « investir dans le cinéma permet aux gens de sortir leur argent des banques et de générer ensuite des “dollars frais” (les “vrais dollars”, en espèces ou transférés de l’étranger, NDLR) via la distribution des films sur le marché international », explique-t-il. De quoi sécuriser l’avenir du cinéma libanais en cette période, voire la réouverture des salles de cinéma, alors que « 20 % des billets vendus dans la région concernent des films libanais tous genres confondus », selon l’étude de l’Institut des finances Basil Fuleihan, et que certains films libanais sont déjà dans les bacs en attente de leur diffusion dans les salles.

Des salles de cinéma libanaises qui ne représentent que « 1 % du chiffre d’affaires » de Empire Cinemas, établi dans de nombreux pays de la région, selon Gino Haddad qui ne considère en aucun cas mettre un terme à l’avenir de son entreprise au Liban, à l’instar de Carly Ramia Habis (Grand Cinemas), pour qui toutes ces crises fortifieront au final le secteur. De son côté, si Paul Matar n’est pas inquiet pour l’avenir du théâtre au Liban, car « il n’y a pas besoin de murs pour créer de l’art », il reste que pour faire à nouveau vivre les professionnels du secteur, « il faudrait pouvoir exporter notre théâtre à l’international », rappelle Josyane Boulos, dont la pièce Whispers-Hamasat International, réalisée par Lina Abiad, et produite par 62 Events by Josyane Boulos et Agatha Ezzeddine, sera diffusée à partir du 24 avril en vue de collecter un fonds de soutien pour soutenir les créations artistiques de la jeunesse théâtrale libanaise. Des jeunes qui devront repenser le théâtre et faire vivre cet art avec « des outils différents », selon Nidal Achkar, pour qui il ne pourra y avoir qu’un « avant et après la pandémie », tout en gardant entre-temps la tête hors de l’eau pendant cette crise. « Je ne sais pas comment j’ai fait pour tenir ce théâtre à flot depuis 26 ans dans un tel pays. Si le Liban peut continuer ainsi, les Libanais, eux, ne le peuvent plus », conclut-elle avec fatalisme.



En un an et demi, la réalité de la scène libanaise aura dépassé toute fiction, servant de décor à une suite de crises relevant du possible, bien que de l’inimaginable. De la contestation contre la classe dirigeante au blocage politique, en passant par la double explosion au port de la capitale, les Libanais se sont bien malgré eux retrouvés dans la peau de spectateurs non avertis...

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