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Société - Crise économique

Câbles, plaques d’égout, portes de caveau... dans le viseur des pillards

Les voleurs sévissent du nord au sud du Liban et n’hésitent pas à découper la marchandise volée pour qu’elle passe sous les radars des ferrailleurs.

Câbles, plaques d’égout, portes de caveau... dans le viseur des pillards

Un parc à ferraille à Saïda, dans le sud du pays. Photo Mountasser Abdallah

Toujours à la recherche de nouvelles sources de revenus illégaux en ces temps de crise économique, des voleurs s’acharnent, depuis plusieurs mois et quasiment chaque jour, sur les biens publics en métal comme les plaques d’égout en fonte ou les câbles électriques en cuivre ainsi que sur les portes en fer. Des revendus contre des dollars sonnants et trébuchants à des ferrailleurs qui les exportent par voie maritime. Face à un fléau qui prend de l’ampleur, les autorités ont multiplié les arrestations, mais semblent incapables d’y mettre un terme.

Ces vols d’un genre assez inédit peuvent provoquer des perturbations de toutes sortes, telles des coupures de courant électrique et d’accès à l’internet, et être la source de graves dangers avec l’apparition de trous béants sur la voie publique. Plus sinistres encore sont les vols de portes de caveaux, qui ont suscité l’indignation, il y a quelques semaines, des habitants dans la Békaa.

À Beyrouth, 80 % des plaques d’égout ont été volées au cours des derniers mois, selon un responsable de la municipalité qui souhaite garder l’anonymat. « Les pillages ont commencé après les explosions du port le 4 août 2020, et se sont multipliés au début de cette année, parallèlement à la dépréciation de la livre libanaise », se désole ce responsable, selon lequel la capitale n’a pas les moyens de remplacer toutes les plaques dérobées, qui sont rachetées entre 20 et 25 dollars par des ferrailleurs. « La fonte coûte cher, et nous craignons que, si elles sont remplacées, les plaques ne soient de nouveau volées. Nous faisons circuler des patrouilles jour et nuit, mais nous ne pouvons pas poster des policiers près de toutes les bouches d’égout », souligne-t-il en révélant que cinq Syriens et Palestiniens ont été récemment arrêtés pour leur implication dans des vols à Beyrouth. « Ces hommes ne sont que des pions. Il faut geler les exportations de ferraille pour mettre un terme aux cambriolages », dit-il encore.

Pour mémoire

Les plaques d'égout de Beyrouth, nouvelle cible des voleurs

« Nous avons envisagé de remplacer les plaques en fonte par des couvercles en plastique, mais ceux-ci coûtent entre 200 et 300 dollars pièce. En attendant de trouver une solution, nous essayons de boucher les égouts avec les moyens du bord ou de placer des panneaux pour éviter les accidents », explique ce responsable à L’Orient-Le Jour.Depuis le début de la crise économique et financière qui ravage le Liban, plongeant plus de 50 % de la population sous le seuil de pauvreté, la livre libanaise a perdu plus de 85 % de sa valeur face au dollar.

A la demande du village de Kawkaba (Hasbaya), l'ingénieur environnemental Ziad Abi Chaker a créé un prototype de soupirail en plastique recyclé. Photo Ziad bi Chaker

Coupures de téléphone et d’internet

Outre les plaques d’égout, les vols portent sur des câbles dont le cuivre est extrait pour être revendu. Au début de la semaine à Nabatiyé, des inconnus ont ainsi dérobé de nombreux câbles, provoquant des coupures de lignes téléphoniques et d’internet chez des centaines d’abonnés. Des disjoncteurs ont également disparu ces derniers jours dans la même région.

Début avril, une station de pompage d’eau dans le Koura, au Liban-Nord, a été dépouillée de 30 mètres de câbles électriques, d’une valeur de 3 000 dollars. Pendant le week-end pascal, les portes en métal de dizaines de caveaux ont été volés à Rayak, dans la Békaa, suscitant l’indignation des habitants. Fin mars à Tripoli, ce sont des câbles de connexion à l’internet des bureaux de l’administration immobilière de la ville qui ont été volés, ce qui a entraîné une interruption des démarches administratives pendant des heures. Des cas de vols de matériel agricole en fer sont également signalés chaque jour aux quatre coins du pays.

À Saïda, le chef de la section d’ingénierie de la municipalité, Ziad Hakawati, révèle à notre correspondant Mountasser Abdallah que des voleurs sont parvenus à déterrer 300 mètres de câbles reliant deux poteaux électriques. « Plus de 60 plaques d’égout et des dizaines de soupiraux ont également été volés. Nous n’avons pas encore pu identifier les responsables, parce qu’ils opèrent surtout dans les petites rues de la vieille ville, mais la municipalité a multiplié les patrouilles », assure-t-il à L’OLJ. En attendant, pour éviter les accidents, les égouts ont été bouchés avec des couvercles en béton.

Les installations de l’Office national du Litani n’ont pas été épargnées non plus. Des couvercles en fonte et des robinets ont été dérobés dans plusieurs villages de la région de Jezzine, notamment à Kfarfalous. « Nous avons remplacé les plaques volées par des couvercles en béton, parce que nous ne disposons pas du budget nécessaire pour acheter de la fonte ou pour installer plus de caméras de surveillance », explique à notre correspondant Mountasser Abdallah un responsable de l’Office sous couvert d’anonymat. Et pas plus tard qu’hier, le même office indiquait que des équipements et un pont en métal avaient été volé sur le site de l’Oronte (Assi), dans le Hermel.

Ces pillages donnent parfois l’occasion de faire preuve d’une belle créativité. À la demande du village de Kawkaba (Hasbaya), l’ingénieur environnemental Ziad Abi Chaker a récemment mis au point un prototype de soupirail à partir de plastique recyclé, pour remplacer les biens publics dérobés dans cette localité. « Le soupirail que nous avons fabriqué a été réalisé à partir de plastique à usage unique, recyclé au Liban. Chaque pièce revient à 250 000 LL », précise-t-il à L’OLJ.

À Saïda, la municipalité a fermé certaines bouches d’égout avec des couvercles en béton. Photo Mountasser Abdallah

De la ferraille exportée par voie maritime

Pour revendre plus facilement le fruit de leur forfait aux ferrailles réglementaires du pays, les voleurs découpent ou font fondre les métaux pillés. « En général et grâce à notre expérience, nous arrivons à repérer les biens publics volés, mais cela devient plus compliqué lorsque la forme du produit a été altérée par les cambrioleurs », explique à L’OLJ un ferrailleur de Tripoli (Nord), Rachid Kesrouani. Il existe une douzaine de parcs à ferraille réglementaires du pays, dont les plus actifs sont à Tripoli, Ghaziyeh (Sud) et Chatila (Beyrouth). « La ferraille est exportée en Turquie ou en Italie à bord de bateaux qui accostent une à deux fois par mois dans les ports de Saïda et de Tripoli », affirme pour sa part l’ingénieur Abi Chaker, qui dénonce « des ferrailleurs de connivence avec les voleurs ». « Il est facile de retracer l’origine d’un objet, surtout s’il appartient à l’État. Ce n’est pas difficile d’arrêter les voleurs, mais il faut que les autorités se décident à le faire », lance-t-il.

Les directions des ports de Saïda et de Tripoli n’étaient pas joignables pour donner des indications sur les modalités de contrôle de la ferraille destinée à l’exportation, mais le ferrailleur Rachid Kesrouani assure que la préparation des lots à exporter est effectuée « sous la surveillance des Renseignements de l’armée ». « Nous sommes en contact permanent avec les services de sécurité. Si nous remarquons la présence de biens publics dans la ferraille, nous le signalons tout de suite. J’ai déjà alerté les autorités lorsqu’un homme est venu me vendre de la marchandise à l’origine douteuse », assure M. Kesrouani, dont la ferraille est exportée via le port de Tripoli. Il estime, en outre, que « les médias ont gonflé les histoires de vols et les ferrailleurs réglementés en ont payé le prix ».

M. Kesrouani révèle, d’autre part, que beaucoup de gens se sont mis à vendre de la ferraille dernièrement, pour joindre les deux bouts. « Des militaires, des mères de famille et des étudiants universitaires viennent nous vendre divers objets. C’est vraiment triste à voir », soupire-t-il.Un ferrailleur de la Békaa, qui exporte surtout en Egypte, assure également, sous couvert d’anonymat, que « ceux qui achètent des plaques d’égout ou des métaux volés sont des ferrailleurs installés dans des endroits reculés, à l’abri des regards ». « Mon terrain est situé près d’une autoroute et tout le monde peut voir ma marchandise », ajoute-t-il. Il explique pourtant avoir eu des ennuis avec la police après avoir acheté des portes en fer dont il s’est avéré qu’elles avaient été volées à Barr Élias, dans la Békaa. « J’ai été convoqué par les services de renseignements, qui m’ont blanchi, mais une dizaine de personnes sont poursuivies dans cette affaire », ajoute-t-il. Selon lui, si la « vente de métaux est assez lucrative en général, elle l’est moins aujourd’hui, à cause de la dépréciation de la livre. Le kilo de fonte est vendu à 4 000 LL et le kilo de fer à 3 000 LL (…) Sauf que, par les temps qui courent, tout le monde essaie de vendre de la ferraille pour se faire un peu d’argent ».

Mais depuis ses problèmes avec les forces de l’ordre, ce ferrailleur assure ne plus avoir envie de travailler dans le fer. « Je me suis reconverti dans la vente d’aluminium », dit-il.

Toujours à la recherche de nouvelles sources de revenus illégaux en ces temps de crise économique, des voleurs s’acharnent, depuis plusieurs mois et quasiment chaque jour, sur les biens publics en métal comme les plaques d’égout en fonte ou les câbles électriques en cuivre ainsi que sur les portes en fer. Des revendus contre des dollars sonnants et trébuchants à des ferrailleurs qui...

commentaires (4)

Le mandat fort qu'ils disaient. L'histoire se souviendra bien du président actuel mais pas de la manière qu'il aurait souhaitée

Liban Libre

23 h 48, le 17 avril 2021

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Commentaires (4)

  • Le mandat fort qu'ils disaient. L'histoire se souviendra bien du président actuel mais pas de la manière qu'il aurait souhaitée

    Liban Libre

    23 h 48, le 17 avril 2021

  • "je suis le toit en acier... " avait déclaré le Prez à quelques reprises...il faut pt'ètre faire gaffe, les voleurs de trucs en métaux touchent à tout semble-t-il...

    Wlek Sanferlou

    15 h 23, le 17 avril 2021

  • Voilà le Prestige de l’Etat qui n’arrive même pas à arrêter quelques petits voleurs .... alors arrêter les grands délinquants financiers ou découvrir le vérité à propos de l’explosion du port, on peut toujours rêver !

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 54, le 17 avril 2021

  • "... ou les câbles électriques en acier ..." - Psst! En cuivre...

    Gros Gnon

    06 h 00, le 17 avril 2021

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