Entre le patriarcat maronite et le chef de l’État Michel Aoun, rien ne va plus. Depuis quelque temps, c’est une guerre qui ne dit pas son nom qui se déroule entre les deux pôles chrétiens. Sauf qu’aucune des deux parties ne souhaite en arriver au divorce.
Bkerké, qui se veut au-dessus de la mêlée, ne peut se mettre à dos le président chrétien. Tout comme Baabda et le camp aouniste, pour des raisons principalement politiques, ne peuvent risquer de perdre l’appui de l’Église maronite, une référence nationale par excellence, en plus d’être chrétienne.
Condamnés en quelque sorte à s’entendre, Michel Aoun et Béchara Raï communiquent désormais par messages codés sans jamais s’aventurer sur le terrain de la confrontation directe. L’échange corrosif qui a eu lieu dimanche dernier entre les deux parties est symptomatique de l’état de dégradation des relations entre les deux parties, qui ne veulent surtout pas l’avouer. Dans les milieux de Bkerké comme dans les cercles aounistes, un seul et même leitmotiv : les relations sont peut-être perturbées, mais non détériorées, et les contacts se poursuivent à ce jour. Des réactions qui reflètent la volonté des deux parties de ne pas en arriver à un point de non-retour.
Dans son homélie dominicale, le patriarche maronite a déclaré que l’on ne peut procéder à un audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban avant la formation du gouvernement. Une position considérée par le camp aouniste comme une déclaration de guerre, dans la mesure où le chef de l’État et le Courant patriotique libre ont fait de cet audit leur cheval de bataille et militent depuis des mois pour le faire aboutir. Cette manœuvre devrait leur servir notamment à se soustraire aux accusations de corruption et pourrait leur être utile dans leur bataille avec leurs adversaires politiques.
Béchara Raï a même été plus loin en affirmant que toute proposition sérieuse en matière d’audit « devrait se traduire par un processus global et non volontairement partiel ». Une pique clairement dirigée contre le camp aouniste, accusé de chercher à piéger le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, ainsi que le camp politique dont il est issu, à savoir le Premier ministre désigné Saad Hariri.
La riposte n’a pas tardé à venir. Le soir même, Michel Aoun écrivait, sur Twitter : « Seuls les corrompus ont peur de l’audit. Les gens intègres s’en réjouissent. »
Tous responsables
Dans la logique défendue par Bkerké, la responsabilité doit être collective. D’où l’insistance de Mgr Raï à dénoncer une partialité « volontaire » du processus tel qu’il est souhaité par la présidence.
« Le patriarche n’a intérêt à défendre personne. Tout ce qu’il dit et redit c’est que l’on ne peut pas essayer de résoudre le problème de l’effondrement financier en sacrifiant une seule personne, en l’occurrence Riad Salamé. Tous ceux qui se sont succédé au pouvoir depuis trois décennies doivent rendre des comptes. Cela ne veut pas dire non plus que Bkerké considère M. Salamé comme innocent », commente un responsable religieux proche du patriarche.
Si Béchara Raï insiste pour dire que la priorité doit être accordée à la formation du gouvernement, ce n’est pas tant pour chercher à contrer le chef de l’État ou à critiquer sa gestion du pays, mais tout simplement pour signifier qu’une autorité en bonne et due forme dotée des moyens nécessaires pour rendre effectif l’audit est indispensable, fait-on valoir dans les milieux proches de Bkerké.
Un argument qui ne convainc aucunement le Courant patriotique libre. Au sein de la formation aouniste, on recourt toutefois au langage feutré et aux euphémismes pour reprocher au prélat maronite ses prises de position. Un responsable politique au sein du CPL affirme ne pas comprendre « cette insistance » à établir un lien entre l’audit et la formation du gouvernement.
« Cela nous met la puce à l’oreille et nous fait douter des intentions des uns et des autres. L’audit est un scanner qui nous aidera à diagnostiquer le mal », dit le responsable en insistant sur le fait qu’en effectuant cet audit des comptes de la BDL, toutes les administrations seront passées au crible, y compris le ministère de l’Énergie. Un ministère longtemps détenu par le camp aouniste et qui, selon ses détracteurs et de nombreux activistes, constitue un nid de corruption par excellence.
« C’est de l’intox », s’offusque un responsable politique qui suit de près les positions de Bkerké. « Ce n’est pas grâce aux comptes de la BDL que l’on va pouvoir déceler les magouilles. La corruption est ailleurs, au niveau des adjudications et des marchés publics contractés par les ministères », dit-il en citant la conférence de presse tenue hier par le directeur général des adjudications, Jean Ellieh (voir par ailleurs). Ce dernier a dénoncé, une nouvelle fois hier, les contrats viciés et les marchés conclus ces dernières années par le ministère de l’Énergie.
Pour autant, les liens ne sont pas coupés entre les deux parties. Bkerké reste soucieux de colmater les brèches tout autant que le CPL, dont les sources expriment l’espoir d’obtenir des clarifications de la part du prélat maronite.
Les relations entre le patriarcat et le CPL ont commencé à se gâter depuis que le patriarche maronite a décidé de prendre le taureau par les cornes et de dénoncer ouvertement l’arsenal du Hezbollah, se prononçant en faveur de la neutralité du Liban et d’une conférence internationale pour sortir le pays de la crise dans laquelle il s’enlise.
Autant de prises de position en flèche qui mettent le chef de l’État et son camp politique dans une position d’autant plus embarrassante qu’ils se voient obligés de protéger un tant soit peu les arrières de leur allié chiite, sans pour autant le faire de manière flagrante pour ne pas irriter une partie de leur base populaire chrétienne. Le camp aouniste, qui prétend représenter la majorité de la rue chrétienne, ne peut non plus guerroyer avec la plus haute instance chrétienne du pays au risque de la propulser un peu plus dans les bras des FL et du camp haririen par extension, qui soutiennent la ligne défendue par le patriarche.D’ailleurs, Béchara Raï est clairement soutenu dans ses positions par le Saint-Siège, où se rend le 22 avril prochain le Premier ministre désigné Saad Hariri. Cette visite, au cours de laquelle il rencontrera le pape François, survient après que le chef du CPL Gebran Bassil eut échoué il y a quelques semaines à se faire inviter au Vatican. Selon des informations obtenues par notre correspondant politique, Mounir Rabih, M. Bassil aurait tenté à plus d’une reprise, par le biais d’une personnalité proche du Saint-Siège, de rencontrer le pape. Ce dernier ne pouvait lui répondre favorablement pour ne pas risquer d’approfondir les divisions parmi les chrétiens du Liban. Tel n’est pas le cas avec M. Hariri, qui de surcroît est en mission officielle en sa qualité de Premier ministre chargé de former le gouvernement.
commentaires (10)
Ce n'est pas pour rien que la France ,entre autres, a signé la loi de la séparation des églises et de l'État. Le patriarche pousse le bouchon fort en s'immiscant au quotidien dans la vie politique . Mgr Raî devrait se retourner vers ses ouialles dont une grande partie se trouve dans la détresse.
Hitti arlette
13 h 02, le 15 avril 2021