Quelques heures avant l’arrivée du secrétaire d’État adjoint américain David Hale à Beyrouth, le décret 6433/2011 a pris le chemin de l’amendement avant d’être envoyé aux Nations unies. L’armée libanaise, et en particulier la délégation qui mène les négociations sur le tracé de la frontière maritime avec Israël, qui avait mené campagne en faveur de cet amendement, a donc obtenu gain de cause, réussissant à mobiliser dans ce but une bonne partie des Libanais.
Cet amendement devrait permettre au Liban, en se basant sur des études internationales, et en particulier britanniques, ainsi que sur les conclusions du département de l’hydrographie au sein de l’armée libanaise, de réclamer 1 430 km2 de plus dans la mer, selon la ligne 29, qui passe au milieu des blocs qu’Israël considère comme siens, le 72 et Karish. D’ailleurs, à partir de mai, les Israéliens devraient commencer les travaux de prospection dans ces deux blocs, confiés à une compagnie grecque. Or, si le Liban n’envoie pas à l’ONU ses rectifications des frontières avant le début des travaux, il ne pourra plus revendiquer le moindre droit sur ces deux blocs.
Le temps pressait donc, mais en dépit de plusieurs obstacles, l’amendement du décret devrait se faire dans les délais et être envoyé à temps à l’ONU. Après le ministre des TP, il a été signé hier par la ministre de la Défense. Restent donc la signature du président du Conseil sortant Hassane Diab et celle du chef de l’État.
Il faut préciser à cet égard que cette question a été soulevée par la délégation libanaise lors du second round de négociations sur le tracé de la frontière maritime, à Naqoura. La revendication de la délégation libanaise avait pris de court aussi bien les Israéliens que les Américains, qui pensaient que les négociations resteraient limitées aux 860 km2 en suspens dans les blocs 9 et 7 libanais. Ce petit espace est réclamé par les Israéliens, alors que les Libanais estiment qu’il est entièrement dans leurs eaux maritimes. Les Américains avaient commencé par donner au Liban la moitié des 860 km2, avant que ce qu’on appelle la ligne Hof (du nom de l’émissaire américain Frederic Hof) qui donne au Liban 500 km2, laissant 360 km2 aux Israéliens, ne soit proposée. En tout cas, les Américains et les Israéliens étaient préparés à négocier sur cette superficie et ils ne s’attendaient pas à ce que la délégation libanaise soulève la question des 1 430 km2 supplémentaires.
D’ailleurs, on se souvient que juste après ce round, les Américains ont fait la tournée des responsables libanais pour leur exprimer leur surprise et pour les pousser à retirer cette dernière revendication. Le secrétaire d’État américain adjoint pour les affaires du Moyen-Orient, David Schenker, avait même eu des mots assez durs à l’adresse des responsables libanais, les accusant de chercher à entraver les négociations.
C’est dans ce contexte qu’est née « l’affaire du décret 6433 ». Ce décret avait été adopté par le gouvernement présidé par Nagib Mikati en 2011 et il délimitait unilatéralement les frontières maritimes avec Chypre et en même temps indirectement avec Israël, en oubliant les 1 430 km2, réclamés par la suite par la délégation libanaise. C’est cette disposition qui devrait être amendée et envoyée aux Nations unies pour que le Liban puisse revendiquer ses droits sur cette superficie. Une fois que les travaux du côté israélien auront commencé, il ne pourra plus le faire.
Le temps presse donc, et si le Liban envoie le décret amendé à temps aux Nations unies, celles-ci enregistreront sa demande. Il pourra ainsi faire prévaloir ses droits dans le cadre des négociations indirectes avec Israël sous le double parrainage des Nations unies et des États-Unis.
La partie américaine a d’ailleurs tout essayé pour pousser le Liban à renoncer à réclamer ses droits sur les 1 430 km2. Les responsables américains qui ont évoqué cette question avec leurs interlocuteurs libanais ont clairement exprimé leur mécontentement, accusant même les Libanais de vouloir saboter les négociations avec les Israéliens. La partie libanaise a alors proposé plusieurs scénarios. D’abord, elle a demandé aux Américains de pousser les Israéliens à faire une contre-proposition, puisqu’il s’agit de négociations. Cette proposition a été rejetée par les Américains. Les Libanais ont alors suggéré de faire appel à des experts internationaux en hydrographie. Là aussi, il y a eu un rejet. Tout comme la suggestion libanaise de recourir à un arbitrage international a aussi été refusée.
Face à cette position américaine très ferme, les Libanais étaient divisés sur la possibilité d’amender le décret. Pour certains, le Liban ne pouvait pas se permettre de braquer encore plus les Américains contre lui, surtout qu’il n’est pas sûr d’obtenir gain de cause dans le cadre des négociations, ayant lui-même renoncé à ce droit pendant des années. De plus, il traverse actuellement une crise sans précédent et les ressources gazières, même réduites, sont une possibilité de salut dont il faudrait profiter au plus vite. Pour d’autres, dont l’armée, le Liban ne peut pas renoncer au principe de réclamer ses droits. Il ne s’agit pas d’une affaire politique ou momentanée. Une campagne a été menée dans ce but et finalement l’idée a fait son chemin. Mais il fallait respecter la procédure légale et convaincre le Premier ministre sortant de signer l’amendement du décret. Hassane Diab ne voulait pas prendre une décision en ce sens qui risquait d’être critiquée et considérée comme un dépassement de la gestion des affaires courantes. Finalement, face à la lenteur dans le processus de formation du gouvernement et parce qu’il s’agit des droits du Liban, il a accepté de tenir une réunion ministérielle sur le sujet. La procédure est donc en cours... David Hale évoquera-t-il ce sujet avec ses interlocuteurs libanais ? Les pronostics vont bon train.
commentaires (8)
Pauvre Liban il croit tenir tête aux israéliens et aux Americains ???
Eleni Caridopoulou
18 h 47, le 13 avril 2021