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Sans foi, mais pas sans lois

Y a-t-il pire, pour un pays en détresse, qu’un gouvernement frappé d’incapacité dès sa naissance, démissionnaire depuis plus de sept mois et même pas fichu d’expédier les affaires courantes ? La réponse est oui, et c’est un Parlement doublement coupable, comme il vient de le montrer une fois de plus.

Car non contente de se faire la complice (plutôt que le censeur) des errements de l’exécutif, l’Assemblée en est souvent elle-même l’inspiratrice. L’exemple le plus célèbre est cette insensée échelle des salaires votée par pure démagogie à la veille des législatives de 2018, et qui laissait prévoir déjà une banqueroute des finances publiques. Si le pâle gouvernement de Hassane Diab ne risque franchement pas d’entrer dans l’histoire ; si en dépit de ses tares, cette équipe n’est pour rien dans les dérives passées ; si on y trouve même nombre de ministres en tout point estimables, il n’en va pas toujours de même pour la Chambre des députés. C’est là surtout que se concentrent, avec leurs troupes, les pillards de la république : le plus navrant étant qu’ils sont, techniquement, les élus du peuple. Celui-ci saura-t-il s’en souvenir, lors du prochain scrutin?


Toujours est-il que ce Parlement indigne donnait, lundi, la pleine mesure de ses talents en endossant un odieux chantage assorti d’une escroquerie, puis en y allant d’un énorme canular. Le chantage – des crédits tout de suite pour EDL, ou alors le noir total –, on le devait à un fugace éclair d’imagination qui a aussitôt mobilisé le ministre de l’Énergie, affilié au courant présidentiel : autrement dit, à la formation politique la plus gravement impliquée dans la débâcle du secteur de l’électricité où ont été engloutis, en pure perte, des dizaines de milliards de dollars. Les crédits en question, suffisants pour deux mois de courant, seront alloués sous forme d’avances, et c’est là que réside l’arnaque du siècle. Tel en effet un citron pressé à mort, EDL est totalement insolvable ; ce département s’en va même en pièces détachées, au rythme des vols méthodiques d’appareillages et de câbles dont il est devenu la cible. Comme il n’est évidemment venu à l’idée de personne – ni présidents, ni ministres, ni élus – de faire don de ses rémunérations à l’État dans la dèche, c’est donc dans les réserves obligatoires de la Banque du Liban, couvrant les dépôts bancaires, qu’on se propose de piocher. On nous avait déjà volé les kilowatts payés de notre poche ; on avait confisqué nos économies, qui ont fondu du fait de la dépréciation massive de la monnaie ; voilà maintenant que l’on nous dépossède du peu qui en reste.


C’est encore au Courant patriotique libre, décidément acharné à jouer les pères la vertu, que revient l’initiative d’une loi sur la récupération des fonds pillés, elle aussi votée lundi. Le pompeux de la formulation n’a d’égal que le creux du contenu, si bien que l’affaire relève carrément de la fumisterie. Mirage, d’abord, que cet organe n’existant encore que sur le papier, et qui sera chargé de dépister la foule de malversations commises et d’en identifier les auteurs. Grossière échappatoire, ensuite, que le soin laissé à la justice locale de poursuivre des corrompus de gros calibre en pleine possession de leurs moyens d’intimidation politiques, confessionnels et, au besoin, sécuritaires. Hypocrite vœu pieux, enfin, que la perspective de voir un jour l’État scélérat se porter lui-même en plaignant, auprès des gouvernements étrangers, pour obtenir le rapatriement de tous ces magots qui ont pris le large.


Face à l’ampleur du désastre, que peut-on encore attendre des principaux responsables du pays? Rien, sinon des piaillements d’oiseaux de mauvais augure. Le premier d’entre eux nous prédisait l’enfer. Le deuxième vient tout juste d’évoquer la tragédie du Titanic. Le troisième n’a rien trouvé de mieux que de s’en remettre à la miséricorde du Ciel. Diablement rassurant que tout cela, n’est-ce pas ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Y a-t-il pire, pour un pays en détresse, qu’un gouvernement frappé d’incapacité dès sa naissance, démissionnaire depuis plus de sept mois et même pas fichu d’expédier les affaires courantes ? La réponse est oui, et c’est un Parlement doublement coupable, comme il vient de le montrer une fois de plus. Car non contente de se faire la complice (plutôt que le censeur) des errements...