C’est un nouvel espoir, certes ténu – certains diront l’ultime opportunité à saisir avant l’explosion –, qu’a suscité ces derniers jours la formule d’un cabinet de 24 ministres concoctée entre Moukhtara et Aïn el-Tiné.
La proposition d’élargir le gouvernement en maintenant certaines lignes rouges – notamment la prohibition du tiers de blocage – a fait peu à peu son chemin au cours des quatre derniers jours. Elle intervient en outre dans un contexte marqué par une forte mobilisation de la communauté internationale pour inciter par divers moyens les protagonistes à s’entendre. La menace à peine voilée de sanctions brandie contre la classe politique libanaise en début de semaine par l’Union européenne sous l’impulsion de la France a été accompagnée en parallèle d’une activité diplomatique exceptionnellement intense et coordonnée au cours des derniers jours pour rapprocher les points de vue.
C’est dans cet objectif qu’il faut comprendre le forcing à trois voix que mènent, en concertation et en « parfaite coordination », les ambassades des États-Unis, d’Arabie saoudite et de France, dont le mot d’ordre commun serait le « compromis » et « la levée du blocage », comme l’ont clairement exprimé tour à tour l’ambassadrice américaine Dorothy Shea, jeudi à sa sortie de Baabda, et son homologue saoudien Walid Boukhari, à l’issue de sa rencontre samedi avec Walid Joumblatt à Moukhtara. Pour Washington comme pour Paris et Riyad, la taille du cabinet importe peu à ce stade de décrépitude auquel est parvenu le pays, la priorité pour ces capitales étant de mettre un terme à cette descente aux enfers au plus tôt et de s’attaquer aux réformes.
C’est Walid Joumblatt d’ailleurs qui a été le premier à préconiser, à l’issue de sa rencontre avec le président de la République Michel Aoun, le 20 mars, la nécessité de se défaire de la fixation sur le nombre de ministres et de considérer un élargissement du cabinet. Il répondait ainsi indirectement aux vœux de Baabda et du numéro un du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui rechignaient jusque-là à accepter un cabinet de 18 comme suggéré par le Premier ministre désigné Saad Hariri. Le geste du leader de Moukhtara avait alors été interprété à tort comme un lâchage de son allié Saad Hariri, alors que l’idée était de sortir le pays du bourbier tout en essayant de combler le fossé qui s’est creusé entre MM. Aoun et Hariri. Pour le chef druze, c’était la seule solution possible pour mettre un terme à la paralysie, comme le précise un responsable proche des tractations.
Ni vainqueur ni vaincu
Cette formule de 24 ministres (8 au lieu de six pour chacun des trois camps politiques) que le leader druze a par la suite affinée avec le président du Parlement Nabih Berry devrait théoriquement contenter tout le monde.
D’un côté, elle donnerait satisfaction à Saad Hariri en ce sens qu’à l’instar de la formule de 18, le camp aouniste ne pourra pas revendiquer le tiers de blocage pour bloquer une décision prise par l’exécutif. Elle contenterait en outre les aounistes qui refusaient jusque-là le cumul de plus d’un portefeuille par ministre.
Un scénario de compromis qui paraît simple a priori. Sauf que pour le CPL, que ce soit avec un gouvernement de 18 ou de 24, le problème reste le même : à savoir, quelle est la partie politique qui nomme les ministres ? D’où l’attachement du chef de l’État à faire figurer dans le document-type qu’il avait soumis la semaine dernière à M. Hariri une colonne dans laquelle les parties devaient préciser qui a nommé quel candidat, fait-on valoir dans les milieux aounistes.
« Pourquoi Saad Hariri persiste-t-il à laisser dans l’ambiguïté la distribution des portefeuilles, tout spécialement chez les chrétiens ? » devait s’interroger le CPL samedi à l’issue de la réunion de son bureau politique. Une position qu’un député du même courant justifie par le fait que des candidats « soi-disant technocrates » dans la formule de 18 présentée par Saad Hariri se sont avérés avoir une « allégeance politique indirecte ». C’est notamment le cas, dit-il, du directeur de l’hôpital Rafic Hariri, Firas Abiad, un médecin de grande renommée qui a fait ses preuves durant la pandémie et ne peut qu’être proche du camp du Premier ministre désigné dont relève l’institution hospitalière, assure le député.
Le CPL va encore plus loin et accuse Saad Hariri de convoiter la majorité plus un ministre au sein du futur cabinet. En faisant un simple calcul des blocs considérés comme alliés au courant du Futur (PSP, Amal, Marada), le camp aouniste constate que le Premier ministre désigné pourra ainsi obtenir la majorité des ministres plus un au sein du futur cabinet. Un bluff qui est d’autant plus flagrant, selon eux, que le courant haririen a déjà brisé la règle d’un cabinet de technocrates non partisans, en laissant à ses alliés la possibilité de désigner leurs ministres comme cela est le cas avec le tandem chiite, accuse le CPL.
Le lapin de Aïn el-Tiné
Pour les milieux de Aïn el-Tiné, cet argument peut cependant être contré par un autre : le fait que le Hezbollah se soit engagé plus d’une fois à assurer au CPL – en cas de nécessité – l’appoint de ses deux ministres pour lui garantir le tiers de blocage. Une entourloupe qu’avait explicitement évoquée son chef Hassan Nasrallah, lors de son dernier discours. Ainsi, et face à l’ensemble de la coalition haririenne que le CPL considère comme menaçante, une autre coalition – composée des aounistes et du Hezbollah – pourrait faire bloc en cas de besoin, assure une source proche de M. Berry.
Il reste donc à résoudre l’énigme d’un cabinet qui, selon les derniers desiderata du Hezbollah, devrait être techno-politique et non purement technocrate, comme l’a vivement conseillé le secrétaire général du parti, le 18 mars. Hassan Nasrallah avait justifié son revirement par la nécessité de placer l’ensemble des protagonistes politiques devant leurs responsabilités, que ce soit par rapport à l’effondrement économique et financier ou à la prise de décisions impopulaires à prendre pour redresser la situation.Pour Aïn el-Tiné, l’issue à cet imbroglio n’est pas compliquée. À côté des personnalités comptées parmi les experts ou spécialistes, pourront figurer des candidats (les six ministres en plus) à coloration légèrement plus politique, une solution que le Hezbollah ne saurait refuser, assure-t-on de source proche de M. Berry.
Cette formule pourrait également être acceptée par la France qui parraine le processus, probablement aussi par Washington et Riyad qui s’alignent avec Paris sur cette question. Leur priorité est la mise sur pied d’un gouvernement qui puisse s’atteler aux réformes bien plus que la taille du cabinet ou la manière dont ce dernier a été concocté, rappelle-t-on de sources diplomatiques concordantes.
Ce qui importe pour Paris est la mise sur pied d’un cabinet formé de personnes compétentes et qualifiées qui soient soutenues par des partis politiques, mais pas forcément des représentants directs de ces partis, assure une source française. Une position justifiée par la nécessité pour ce gouvernement de mission – qui doit obtenir la confiance des forces politiques qui composent le Parlement – de pouvoir adopter les réformes nécessaires.
La balle est donc dans le camp aouniste qui se trouve désormais « placé au pied du mur » par cette ultime proposition de sauvetage, commente un responsable politique ayant requis l’anonymat.
Dans les milieux du courant du Futur, on répète à l’envi que Saad Hariri est prêt au compromis, à condition qu’il n’y ait pas de tiers de blocage et qu’il n’y ait pas de représentants des partis politiques. Comprendre qu’il n’y ait pas un Gebran Bassil ou son sosie dans la mouture, quelle qu’elle soit.
commentaires (8)
Ok 24 ministres mais sans salaires vous allez travailler pour sauver la patrie même Aoun ne doit plus prendre de salaire et qu'il fasse venir son argent de Suisse
Eleni Caridopoulou
18 h 31, le 29 mars 2021