Rechercher
Rechercher

Culture - Entretien

Quand Zoé Valdés parle de Cuba, du Liban et du danger de se tromper dans ses choix politiques...

Exilée en France depuis 25 ans, la romancière, poétesse et dissidente cubaine continue néanmoins de se battre contre la tyrannie castriste. Autant dans ses livres qu’à travers son soutien aux œuvres dénonciatrices des abus du régime, à l’instar de « Plantados », le film de l’un de ses compatriotes qui revient sur la torture dans les prisons cubaines. Un long-métrage qu’elle voudrait voir diffuser le plus largement possible. « Pour dessiller le regard sur les ravages de l’endoctrinement », dit-elle.

Quand Zoé Valdés parle de Cuba, du Liban et du danger de se tromper dans ses choix politiques...

Zoé Valdés, une plume marquée par la critique politique et raconteuse d’histoires de femmes sous la dictature. Photo DR

On les appelait los plantados – ce qui pourrait se traduire par « les inflexibles » –, ces prisonniers, opposants de la première heure à la révolution communiste de Fidel Castro, qui refusaient de se soumettre au programme de rééducation imposé par le régime contre la promesse d’une réduction de peine. Battus, torturés, humiliés, déshumanisés, ils ont subi les pires sévices dans les geôles du dictateur cubain. Certains ont été fusillés, d’autres ont péri des suites de leur maltraitance ou de leur grève de la faim… Seuls quelques-uns de ces irréductibles ont survécu à 10, 15, 20 ou même 30 ans de détention.

C’est le calvaire de ce groupe de prisonniers politiques que relate Plantados, le long-métrage du réalisateur cubain Lilo Vilaplana, actuellement en salles aux États-Unis et disponible également sur les plateformes de téléchargement YouTube et Vimeo (https://vimeo.com/525589917/942444accc).

Inspiré du livre Otage de Castro d’Ernesto Diaz-Rodrigues, qui raconte ses 22 ans d’incarcération, et adapté par trois autres ex-détenus politiques cubains, ce film, tourné aux États-Unis avec des acteurs latino-américains confirmés comme Roberto Escobar, Carlos Cruz, Gilberto Reyes, superpose deux scénarios. Le premier se déroule à Miami, où un ancien prisonnier politique croise par hasard le général castriste qui a été son bourreau et se met à le filer. Tandis que le second fait pénétrer les spectateurs au moyen de flash-back dans les abysses des centres de détention érigés par Fidel Castro.

Autant dire qu’à l’heure où les témoignages pleuvent sur les dix ans de barbarie du tyran de Damas contre son peuple ; où les Libanais subissent la répression et le népotisme de ceux qui se prétendent leurs sauveteurs ; et où l’émergence des autocraties à travers le monde fait craindre le pire, visionner Plantados revient à verser de l’acide sur nos plaies.

On ne s’évade pas avec cette œuvre qui dépeint l’enfer carcéral cubain. Bien au contraire, on entre de plain-pied dans la réalité de la cruauté humaine. Celle en particulier de ceux qui détiennent le pouvoir sur d’autres hommes et qui, sous de fallacieux prétextes de revendication de leurs droits, se livrent à leur asservissement.

Il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter les scènes d’humiliation et de torture – aux images remarquablement filmées, par ailleurs – qui se déroulent sur une bonne partie de ce long-métrage de deux heures. Quasiment des scènes de documentaire, tant les faits basés sur un vécu traumatique collectif sont reproduits au plus près de leur horrible vérité. Sauf que si l’on ressort éprouvé par tant de brutalité (in)humaine, on ne peut qu’être ébloui devant le courage et l’esprit indomptable de ces hommes qui ont tenu tête à l’une des pires dictatures du XXe siècle.

Une scène du tournage de « Plantados » à Miami. Photo DR

« Le castrisme a encore le bras long »

« Ce film a mis 20 ans avant de pouvoir se faire », révèle à L’Orient-Le Jour la romancière, poètesse et scénariste cubaine Zoé Valdés, qui a apporté depuis le début son vigoureux soutien à ce projet de longue haleine.

« S’il a fallu autant de temps pour le réaliser, c’est parce qu’on ne trouvait personne qui voulait le produire, par crainte des représailles des complices du castrisme qui ont encore le bras long, même en dehors de l’île », affirme cette réfugiée politique en France depuis plus de 25 ans.

« C’est grâce au courage et à la détermination du réalisateur Lilo Vilaplana – qui a défié et continue de défier bien des menaces – et de l’homme d’affaires cubain Leopoldo Fernández Pujals – qui, pour rendre hommage à la mémoire de son oncle, l’un de ces plantados, a créé sa propre société de production – que cette œuvre cinématographique a enfin pu voir le jour », signale Zoé Valdés.

Elle-même s’est beaucoup impliquée dans la promotion de ce film, allant même jusqu’à contacter L’OLJ pour qu’il puisse s’en faire l’écho dans le monde arabe. « Vous savez, mon propre père a lui aussi été arbitrairement emprisonné pendant 5 ans, à Cuba », confie-t-elle. Expliquant par ailleurs que « le pouvoir castriste jetait ses opposants en prison avant même qu’ils ne soient condamnés par un tribunal, afin qu’ils y dépérissent en attendant un hypothétique jugement. Et cela sans que leurs noms ne viennent grossir les listes des prisonniers politiques émises par les organisations internationales ».

Si l’écrivaine et dissidente cubaine se bat pour une large diffusion de Plantados à travers le monde, « ce n’est pas uniquement par esprit de revanche », assure-t-elle. Mais parce qu’elle estime que ce film était nécessaire, dans sa dureté même, pour rétablir la vérité sur ce régime communiste, prétendument fraternel, basé en réalité sur le mensonge, la cruauté et la manipulation.

Un régime qui, derrière le paravent de l’actuel président, Miguel Diaz-Canel, perdure dans ses exactions et ses abus – « car il y a toujours énormément de prisonniers politiques à Cuba », martèle-t-elle. « En fait, Plantados est un cri destiné à dessiller le regard, à exhorter les gens à réfléchir afin qu’ils ne se laissent pas endoctriner par la propagande du pouvoir… Il vise surtout à rappeler combien il est important de ne pas se tromper dans ses choix politiques. Malheureusement, les populations sont toujours partantes pour croire ce qu’on leur raconte », regrette-t-elle.

Sorti en salles aux États-Unis, le film « Plantados » est visible également sur YouTube et Vimeo.

« La douleur du dollar »... et des Libanais

Lorsqu’on lui signale que ses mots résonnent fortement avec ce que nous vivons au Liban actuellement, la réaction de l’auteure cubaine ne se fait pas attendre. « Je sais ce que vous vivez en ce moment et ça m’attriste beaucoup, dit-elle. Car je constate que vous passez malheureusement par la même dynamique répressive que chez nous. Vous savez, l’une des premières choses auxquelles les tyrannies s’attaquent, c’est la monnaie nationale. L’asservissement du peuple commence par là, par son appauvrissement. À Cuba, on nous disait que le dollar était le symbole de l’ennemi. Avec le temps, il est devenu la chasse gardée de la classe dirigeante qui vit de manière princière et ostentatoire, alors que la population est privée de tout. C’est ce que j’ai essayé de retranscrire d’ailleurs dans l’un de mes romans intitulé La douleur du dollar. »

« Le Liban, je l’ai connu en 2008. J’ai adoré sa vitalité et sa liberté. J’y ai passé de merveilleux moments. J’ai d’ailleurs beaucoup d’amis libanais à Paris. Je trouve qu’on se ressemble beaucoup. Et ce qui m’attriste particulièrement concernant ce pays, ce sont ces mots que m’a dits le fils d’une amie proche : “Zoé, nous sommes épuisés.”

Ça m’a fait très mal, parce que c’est la première fois que j’entends ça de la bouche d’un Libanais. C’est un peuple que j’admire tellement pour sa faculté à toujours se relever », déclare-t-elle, des sanglots dans la voix.

Une dissidente loin de son île, et si proche pourtant...

Née à La Havane en 1959, l’année même de l’accession au pouvoir de Fidel Castro, Zoé Valdés dit avec une pointe d’amertume n’avoir connu rien d’autre que le communisme dans son pays. La romancière, exilée en France, est interdite d’entrée à Cuba depuis la publication de son roman Le Néant quotidien (Actes Sud, 1995), dans lequel elle décrivait sans complaisance la dureté de la vie à La Havane. Aujourd’hui détentrice des nationalités française et espagnole, elle recrée dans ses livres l’univers de son île natale.

« C’est quand on est en exil qu’on est le plus proche de ce que l’on a laissé derrière soi », confie-t-elle. Auteure reconnue internationalement, celle qui a été faite chevalier des Arts et des Lettres est une voix singulière de la littérature contemporaine. Si toute son œuvre romanesque est marquée par la critique politique, c’est à travers des personnages de femmes sous la dictature qu’elle fait passer son message. Avec des mots crus, elle raconte « leur résistance qui s’exprime par leur capacité à aimer même au milieu de l’horreur, de la tyrannie et de l’oppression ».

On les appelait los plantados – ce qui pourrait se traduire par « les inflexibles » –, ces prisonniers, opposants de la première heure à la révolution communiste de Fidel Castro, qui refusaient de se soumettre au programme de rééducation imposé par le régime contre la promesse d’une réduction de peine. Battus, torturés, humiliés, déshumanisés, ils ont subi les pires...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut