Sa mine décomposée et ses yeux gonflés par la fatigue ne laissent pas place au doute : Hassane Diab n’a aucune envie d’être là. Devant les journalistes, ce samedi 6 mars, il dresse le portrait d’un pays « au bord de l’explosion » avant de se dire « disposé à s’abstenir de remplir ses fonctions si cela contribue à la formation d’un gouvernement ». En clair, l’ancien professeur d’université menace de jeter l’éponge pour la seconde fois. La première, c’était au lendemain de la double explosion du port de Beyrouth, le 4 août dernier, quand il a remis la démission de son gouvernement. Depuis, personne n’est venu le remplacer, si bien qu’il est désormais Premier ministre démissionnaire depuis plus longtemps qu’il n’a été président du Conseil en plein exercice. « C’est le seul emploi au monde dont il semble impossible de démissionner », a récemment dit Hassane Diab au Financial Times.
Au lieu de le libérer, sa démission l’a rendu un peu plus otage d’un système politique grippé qui ne parvient pas à lui trouver un successeur. Chargé d’expédier les affaires courantes – un terme flou qui rend sa mission provisoire encore plus problématique –, il reste jusqu’à nouvel ordre le visage du gouvernement, celui qui continue de prendre des coups, et d’assumer les conséquences d’une crise économique et financière sans précédent, dont il n’est pas directement responsable. Tant que Saad Hariri, le Premier désigné depuis cinq mois, et le chef de l’État Michel Aoun ne parviennent pas à s’entendre sur la formation d’un gouvernement, Hassane Diab est en première ligne pour assumer le naufrage de tout un pays. Et c’est précisément ce qu’il cherche à éviter. Plus isolé que jamais, ayant perdu en cours de route le peu de soutien politique dont il bénéficiait au départ, il a été en plus mis en cause dans l’affaire de la double explosion du port. À tous ses interlocuteurs, il fait part depuis des semaines de sa volonté de quitter symboliquement – il n’y habite plus effectivement depuis des mois – le Sérail au plus vite. À tel point qu’il a lui-même tenté, il y a quelques semaines, de faire le médiateur entre Baabda et la Maison du Centre dans l’espoir de concilier les points de vue pour permettre l’émergence d’un nouveau cabinet. Une mission dès le départ vouée à l’échec et sur laquelle des médiateurs plus chevronnés que lui se sont cassé les dents.
« Pas l’homme qu’il fallait »
Comment Hassane Diab a-t-il pu se retrouver dans cette situation ? A-t-il péché par orgueil ou par naïveté ? Un peu des deux probablement. Premier chef de gouvernement « technocrate » de l’histoire libanaise – une revendication matraquée par les protestataires du 17 Octobre –, il n’a pas pu échapper aux lourdes pressions politiques lors de la formation de son gouvernement, que les partis conventionnels ont réussi à infiltrer même indirectement en plaçant certains de leurs pions au sein de son équipe. Tant et si bien que cette appellation de technocrate devait perdre son sens dès le départ et priver le Premier ministre de toute marge de manœuvre politique. « À part trois ou quatre ministres experts dans leur domaine, les autres ont brillé par leur absence et leur inaction », critique un député Amal, qui a souhaité gardé l’anonymat. Il faut dire que Hassane Diab n’a jamais été dans les bonnes grâces du chef du Parlement Nabih Berry qui avait espéré, ainsi que le Hezbollah d’ailleurs, le retour de Saad Hariri, considéré comme le seul capable d’apporter une légitimité sunnite. Sa nomination, sans le soutien de Saad Hariri et de tout le leadership sunnite, le rendra d’autant plus fragile face aux pressions politiques.
« C’est un bon bureaucrate, mais pas l’homme qu’il fallait pour cette période. Nous avions besoin d’un leadership sunnite politique », avance le députe d’Amal qui considère que le Premier ministre a été parachuté par Baabda. « C’est un vrai laïc. Il l’a prouvé au niveau de plusieurs nominations administratives qu’il a avalisées sur la seule base de la compétence », le défend toutefois un ministre de son équipe qui vante en même temps sa largesse d’esprit et son sens de l’écoute. « Il y a plus urgent que de faire de la politique politicienne », répétait-il à l’envi devant ses conseillers pour répondre aux critiques de part et d’autre. Sans expérience du terrain et ignorant les arcanes de la politique libanaise – même s’il avait été lui-même ministre de l’Éducation par le passé –, ce nouveau venu, nommé dans des circonstances extrêmement difficiles pour le Liban, va se faire dévorer tout cru par la classe politique traditionnelle, les uns le considérant comme une marionnette, les autres comme un traître. « Tout était à refaire, et il y avait tellement de choses à réformer. C’est un peu comme cette maison complètement délabrée qu’il faut restaurer. On ne savait pas par où commencer », souligne un proche de M. Diab.
« Son ego est tel... »
En annonçant en mars 2019 que le Liban allait faire défaut sur sa dette et en pavant la voie à des négociations avec le FMI, l’ancien professeur à l’AUB s’est mis une bonne partie de la classe politique à dos, celle-ci n’acceptant pas d’être tenue pour responsable de la débâcle. Appuyé par la communauté internationale et par les technocrates, Hassane Diab va devoir affronter un adversaire beaucoup plus coriace : Nabih Berry. Le chef du législatif va tout faire pour lui mettre des bâtons dans les roues jusqu’à obtenir sa démission. Devant faire face à l’hostilité du leader d’Amal, et à la méfiance de Saad Hariri et de Walid Joumblatt, Hassane Diab s’est retrouvé assimilé au camp aouniste. « Il a fini par rallier le camp du président, alimentant un peu plus les théories d’un gouvernement dirigé par le Hezbollah », commente un analyste du 14 Mars. Cette étiquette lui fermera les portes du Golfe et des États-Unis.
Dès le départ, sa mission était impossible. Sans légitimé politique, il devait redresser une économie exsangue tout en composant avec la classe politique accusée d’être à l’origine de cette situation. Ses adversaires politiques lui reprochent en plus son ambition qui a fini par le faire basculer dans une certaine arrogance, contribuant un peu plus à son isolement. « Son ego est tel qu’il a cru pouvoir jouer facilement dans la cour des grands et passer outre les équilibres fragiles de la politique libanaise », commente une source proche de l’ancien chef du gouvernement Nagib Mikati. Alors qu’il était plutôt apprécié par les diplomates étrangers, qui le considéraient plus compétent que son prédécesseur Saad Hariri, ces derniers ont fini par comprendre que son absence de légitimité politique était rédhibitoire pour faire avancer les choses. « Un ambassadeur nous a raconté un jour que des parties politiques locales lui avaient demandé de ne pas envoyer les aides dont le Liban avait besoin pour ne pas que celles-ci soient mises au crédit de Hassane Diab. Récemment, ce diplomate est revenu vers nous pour nous dire que son pays a regretté de ne pas avoir donné ces aides », confie un proche de M. Diab.
« Il n’avait pas d’autre choix »
Mis en cause dans la double explosion du port le 10 décembre dernier pour négligence, il a vécu cet épisode comme un coup de massue. Et sa réaction a contribué à détériorer un peu plus son image. Craignant d’être le seul à assumer la responsabilité du drame, le Premier ministre laïc s’est rappelé au bon souvenir de sa communauté, estimant que les sunnites étaient directement ciblés. Le lendemain, Saad Hariri et les autres leaders sunnites lui rendaient visite pour la première fois. « Mohammad Kabalan défend Nabih Berry, le patriarche maronite défend Riad Salamé. Le mufti défend Saad Hariri. Hassane Diab n’avait pas d’autre choix que de se réfugier auprès de sa communauté », commente un proche du Premier ministre.
Depuis, il se contente de faire le service minimum. Alors que les troubles se propagent aux quatre coins d’un pays éreinté par ailleurs par la pandémie, Hassane Diab interprète la notion d’affaires courantes dans son sens le plus restrictif. Un choix qui lui a valu encore plus de critiques et du coup plus d’adversaires politiques. Même ceux qui étaient comptés comme étant ses alliés lui en veulent de ne pas s’atteler aux tâches les plus urgentes, comme la rationalisation des subventions. Il est encerclé politiquement et sans appui communautaire ou populaire. « Il ne peut pas dire aujourd’hui qu’il ne veut pas aller plus loin dans l’expédition des affaires courantes au nom d’une certaine interprétation de la Constitution. La réalité est qu’il a peur de faire d’autres faux pas et de ternir encore plus son image », accuse un ancien ministre issu du camp du 8 Mars.
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Cet homme-là a pu se montrer maladroit parfois mais il est totalement de bonne foi. Il l’a prouvé, par exemple, dans son plan de sauvetage financier et en se démarquant de Hariri et consorts. Mais, évidemment, personne n’imagine qu’il n’ait pas de parrain. Alors on l’a dit tour à tour marionnette du Hezbollah (plus que Hariri?), de Aoun, etc. Dans l’adversité, en quasi-permanence, il a dû se résoudre à abandonner le navire. Pathétique et caricatural de la vie politique libanaise.
Marionet
23 h 14, le 18 mars 2021