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Lifestyle - Beyrouth Insight

L’énergie (renouvelable) de Soumaya Merhi

C’est avec toute l’énergie, même celle du désespoir d’après le 4 août, que cette trentenaire continue à mener ses biscuits et barres TAQA Snacks dans une aventure qui s’ouvre enfin, six ans plus tard, aux marchés étrangers. « J’ai découvert le Liban à travers TAQA », confie-t-elle.

L’énergie (renouvelable) de Soumaya Merhi

Soumaya Merhi, une énergie à toute épreuve, derrière TAQA Snacks. Photo DR

Solaire… Lorsque Soumaya Merhi débarque, le regard clair, le sourire contagieux, il y a quelque chose d’à la fois doux et décidé, d’ouvert et de ferme, de spontané et de réfléchi qui se dégage immédiatement d’elle. Une détermination très féminine qui ne craint pas les obstacles dans un mélange réussi d’Orient et d’Occident – son père est libanais et sa mère allemande – qui vous donne envie de comprendre. Comprendre ce qui l’a poussée à retrouver le Liban après des années passées à l’étranger, elle qui est née au Canada, a grandi au Liban-Nord avant de s’envoler à 16 ans pour le Nouveau-Mexique, l’Allemagne puis le Canada pour y poursuivre ses études. Ce qui l’a poussée à mettre de côté ses diplômes et son amour pour l’anthropologie et la sociologie et épanouir le côté face de sa personne, tourné vers le business. Ce qui l’a poussée, enfin, à une idée folle, celle de développer la boulangerie fondée à Tripoli par son père Abdul-Razzak Merhi, homéopathe, qui proposait des produits sans blé. Nous sommes en 2015 et Soumaya voulait déjà faire vivre sa ville, « créer une dynamique et des emplois, à travers une économie durable, des Libanais qui travaillent, des Libanais qui achètent », et « utiliser des grains alternatifs ». Son premier label, Bread Basket Square, développé autour d’une modeste équipe de 5 apprentis boulangers natifs de sa ville qui apprennent, sans même, pour certains, savoir écrire, les secrets du métier de boulanger, lui permettra de comprendre ses rouages, d’observer le marché, de retenir les difficultés pour mieux les contourner et les résoudre.

Une gamme de produits sains sans conservateurs. Photo DR

Grandir

2016 sera « l’année du grand nettoyage », dit-elle. Elle trouve alors un investisseur de l’ombre, rencontré à Souk el-Tayeb où elle vendait ses produits, et deux financiers de capital-risque Viridis et IM Capital. Le label est rebaptisé TAQA Snacks (énergie en arabe), le logo et le packaging renouvelés. La jeune trentenaire insuffle sa touche et sa vision dans chaque détail, qu’il soit graphique, éthique ou commercial. L’identité s’impose : un produit sain, de qualité, sans conservateurs, fabriqué au Liban. En 2019, Soumaya réussit à lever de nouveaux fonds, à agrandir son atelier en déménageant à Anfeh, à être indépendante et plus agressive. « D’un produit de marché nous sommes peu à peu passés à un produit de supermarché en développant la grande distribution. D’un travail artisanal à un travail semi-automatisé. D’un produit artisanal à un produit de grande consommation. » En un an, la compagnie triple de volume, la production atteint les 50 000 tonnes de cookies par an. Le label est certifié ISO 22000:2018. Mais surtout, les valeurs auxquelles elle tient par-dessus tout restent les mêmes, sacrées et inchangées à ce jour : « Nous sommes une boîte saine, gérée par des femmes et fidèle à nos principes et nos objectifs : profiter de la production locale, offrir des biscuits et barres énergétiques de qualité et utiliser notre plate-forme pour alerter sur les problèmes environnementaux. Ce que je suis en mesure de faire à présent. » Sa gamme composée de 16 produits sucrés, déclinés en 10 parfums, a conquis une grande part du marché depuis que la concurrence étrangère de qualité n’existe plus sur nos étals. « J’ai pu constater la solidité de notre label, souligne-t-elle. En dépit de la pandémie, de la crise économique, de la double explosion du 4 août, nous avons enregistré durant les premiers mois de 2021 une augmentation de 50 % du volume du marché local de 2020, soit un quart de toute l’année passée. De même, nous avons, jusqu’à aujourd’hui, presque dépassé les ventes en export de l’année 2020. » Mais ce n’est pas sur le Liban que la jeune entrepreneuse compte, car en dépit d’une diminution des marges de gain, et une augmentation des ventes, c’est l’exportation qui intéresse Soumaya Merhi. « Nos nouveaux standards nous permettent de proposer nos produits à l’étranger. TAQA Snacks est aujourd’hui à Qatar, Oman, au Koweït, au Canada, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, à Bahreïn et en Côte d’Ivoire. De 15 % d’exportations cette année, nous voulons très vite atteindre les 25 à 50 % et être présents dans plus de 8 pays. »

Un exploit et un documentaire qui a remporté de nombreux prix.

Le Liban, une addiction

Parmi les valeurs essentielles de Soumaya Merhi, la protection de la nature et de la mer reste chère à son cœur. « Je me sens de plus en plus fidèle à l’identité libanaise. J’ai découvert le Liban à travers TAQA », précise-t-elle. Balades dans ses villages, dans sa ville Beyrouth... « En novembre 2020, confie-t-elle, j’ai dû occasionnellement faire moi-même des livraisons, chose que je n’avais plus faite depuis 2014, et j’ai redécouvert Haret Hreik, Sioufi, Rabié, Nabatiyé, Zahlé, le Akkar. Toutes ces régions si différentes où TAQA est vendu, c’est une fierté. » Animée par cette même énergie, elle se lance un nouveau défi, physique cette fois-ci, en 2019, évidemment sponsorisé par son label : relier à la nage Chypre et le Liban, soit 180 km « non-stop, nuit et jour », durant lesquels 6 nageurs et nageuses, Jad Ghosn, Diane Boulos, Martin Mugharbil, Mary-Anne Ballouz, May el-Timani et bien sûr Soumaya Merhi, se sont relayés tous les 3 km pour alerter sur la pollution en mer. Ces nageurs, pas forcément des sportifs de haut niveau, accompagnés de 3 skippers, Adel Assal, Ziad Salhab et Joe Boulous, une femme médecin, la Dr Éliane el-Khoury Eid, et un réalisateur, Edwin el-Bainou, se sont embarqués à bord d’une traversée qui a eu lieu du 16 au 18 octobre 2019. « C’était magnifique, je me suis sentie vivante ! » se souvient Soumaya avec le sourire. « C’était la veille du début de la thaoura… » Au retour, le documentaire Open-Water Swim Traverse, qui tourne encore le monde, remporte le prix du meilleur court-métrage au Lebanese Outdoor Film Festival et un autre prix à Los Angeles. « Le Liban est une addiction. Il est capable du pire et du meilleur ; un cauchemar sur les plans administratif et politique et d’un autre côté, un pays des merveilles. »

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Le pire cauchemar reste pour elle ce funeste 4 août auquel, dit-elle en abandonnant un instant son sourire, elle pense encore tous les matins. « Je ne suis pas une enfant de la guerre civile. J’ai grandi dans le Nord avant de passer 8 ans à l’étranger. L’explosion a remis beaucoup de choses en question et m’a vidée. Ce qui s’est passé n’est pas possible. Pas permis… Comme il n’est pas permis d’oublier, de continuer comme si rien ne s’était passé. Cette résilience m’a mise mal à l’aise. On ne peut pas juste continuer… Je n’arrive pas. » « Maintenant, cette explosion fait partie de nous, de notre ADN, de notre histoire, de ma biographie et de celle de TAQA. » Combative plutôt que résiliente, comme une grande partie de cette génération qui continue, inlassablement, à épanouir et exporter une certaine idée du Liban, elle rajoute : « Je me sens plus crédible aujourd’hui. À 33 ans, je sens que moi aussi je tiens les rênes du développement de notre production locale. »

Solaire… Lorsque Soumaya Merhi débarque, le regard clair, le sourire contagieux, il y a quelque chose d’à la fois doux et décidé, d’ouvert et de ferme, de spontané et de réfléchi qui se dégage immédiatement d’elle. Une détermination très féminine qui ne craint pas les obstacles dans un mélange réussi d’Orient et d’Occident – son père est libanais et sa mère allemande...

commentaires (2)

Sacrée Soumaya ! Une force tranquille en mouvement perpétuel, Une femme qui fait honneur aux femmes. Nous l’apprécions, l’aimons et la soutenons dans son action dont l’approche est saine et écologique. Brava Soumaya! ????? Diane Fadel

Diana Fadel

06 h 13, le 20 mars 2021

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Commentaires (2)

  • Sacrée Soumaya ! Une force tranquille en mouvement perpétuel, Une femme qui fait honneur aux femmes. Nous l’apprécions, l’aimons et la soutenons dans son action dont l’approche est saine et écologique. Brava Soumaya! ????? Diane Fadel

    Diana Fadel

    06 h 13, le 20 mars 2021

  • Voilà une belle histoire qui révèle les ressorts cachés d’un peuple soumis à rude épreuve. Une autre, une autre, une autre.

    Marionet

    09 h 14, le 17 mars 2021

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