L’impasse gouvernementale est désormais totale. Entre le chef de l’État Michel Aoun et le président du Conseil désigné Saad Hariri, les contacts sont rompus et même les médiateurs et autres personnes de bonne volonté, le directeur de la Sûreté générale (SG) en tête, ont mis leurs efforts en mode « pause ». Selon les dernières informations, Saad Hariri attendrait que le président fasse le premier pas et ce dernier estimerait de son côté que la balle est dans le camp du Premier ministre désigné.
Les milieux proches des deux camps ne cachent pas le fait qu’il n’y a actuellement aucun élément nouveau, et ils se contentent, chacun de leur côté, de rejeter la responsabilité du blocage sur l’autre.
Selon des sources proches du dossier, c’est la dernière initiative du directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, qui a pratiquement provoqué l’impasse actuelle en mettant le président du Conseil désigné au pied du mur. En effet, depuis sa désignation le 22 octobre 2020 pour former le prochain gouvernement, la tactique adoptée par Saad Hariri – qui avait atteint ses objectifs dans une grande mesure – visait à rendre le chef de l’État responsable du retard dans la naissance du cabinet. Toute l’argumentation tournait autour du tiers de blocage que réclamerait Aoun, et, derrière lui, le chef du CPL, le député Gebran Bassil. Or, dans l’initiative du directeur de la SG, le président renoncerait au tiers de blocage dans un gouvernement de 18 membres dans lequel il obtiendrait 5 ministres plus celui du Tachnag. Une proposition refusée par le président du Conseil désigné, sous prétexte qu’il n’a pas été informé officiellement de l’accord du chef de l’État. Entre-temps, les Français auraient été alertés et le conseiller de l’Élysée pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Patrick Durel, serait entré en contact avec les différentes parties libanaises pour obtenir des détails sur ce sujet.
Selon les milieux proches du courant du Futur, Saad Hariri aurait ainsi été piégé par une idée lancée officieusement dans le seul but de le présenter comme celui qui entrave la formation du gouvernement. Ces milieux ne mettent pas en cause la personne d’Abbas Ibrahim, mais le fait que l’idée ait été divulguée dans les médias, alors qu’elle n’était pas encore devenue un projet sérieux et cohérent. Il s’agirait donc d’une manœuvre préparée par les proches de la présidence ou du CPL pour discréditer le président du Conseil désigné, non seulement devant l’opinion publique libanaise, mais aussi auprès de la France. Du côté des milieux proches du CPL, on considère que la proposition du directeur de la Sûreté était très sérieuse et qu’elle a obtenu l’aval de la présidence de la République, qui avait d’ailleurs déjà déclaré à plusieurs reprises qu’elle ne cherchait pas à obtenir le tiers de blocage dans le gouvernement en gestation. Selon ces milieux, Saad Hariri se serait donc piégé lui-même, puisqu’en refusant la proposition, il a confirmé la thèse selon laquelle il attendrait un feu vert étranger, et en particulier saoudien, pour former le gouvernement.
Pour les milieux proches du CPL, tous les voyages de Hariri à l’étranger tourneraient autour de ce point précis : lui ouvrir les portes du royaume wahhabite, fermées depuis quelque temps déjà. Mais, de même source, les dirigeants saoudiens, et en particulier le prince héritier Mohammad ben Salmane, ne seraient pas prêts à appuyer Saad Hariri, estimant qu’ils lui ont déjà beaucoup donné, sans obtenir de sa part de résultats concrets. D’ailleurs, Saudi Oger, la société fondée par son père Rafic Hariri, a été liquidée pour couvrir, en principe, les dettes de Saad Hariri en Arabie saoudite et certains de ses biens seraient actuellement vendus aux enchères. Toujours selon les mêmes milieux, aucun déblocage saoudien à l’égard du Premier ministre désigné ne semble donc en vue et c’est là que résiderait le véritable problème. Saad Hariri ne songerait donc pas à former un gouvernement sans l’aval des Saoudiens, puisqu’il n’aurait ainsi aucune chance de pouvoir sortir le Liban de la crise dans laquelle il se débat, la clé des fonds susceptibles d’arriver au Liban étant pratiquement entre les mains des Saoudiens et des Américains. En même temps, il ne peut pas former un gouvernement sans l’aval du Hezbollah qui a appuyé sa candidature pour la présidence du Conseil en dépit des réserves du chef de l’État et du CPL. C’est d’ailleurs dans ce contexte que des informations ont circulé pendant le week-end sur la visite d’un émissaire de Michel Aoun à l’ambassade saoudienne à Beyrouth pour y rencontrer l’ambassadeur Walid Boukhari. Si ces informations n’ont pas été confirmées, les milieux proches du CPL rappellent toutefois que pour le président et son camp, il n’a jamais été question de s’aligner sur un camp contre l’autre dans la région, en dépit des accusations lancées contre eux à ce sujet. De plus, les ministres des Affaires étrangères successifs, depuis Gebran Bassil jusqu’à Charbel Wehbé, ont toujours pris soin de ménager le royaume saoudien et de condamner les attaques dont il fait l’objet de la part des houthis dans le cadre de la guerre au Yémen. Le Liban officiel a toujours milité en faveur d’une réconciliation interarabe, sous la houlette de la Ligue arabe. Enfin, ces milieux rappellent que Riyad a été la première destination étrangère du président Michel Aoun après son élection en 2016, rompant ainsi avec la coutume qui veut que la première visite d’un président libanais soit en général à la France. Que la visite de l’émissaire présidentiel à l’ambassade saoudienne soit vraie ou non, il semble clair que le camp présidentiel et le CPL souhaiteraient établir de bonnes relations avec tous les pays arabes, en tête l’Arabie saoudite, et dissocier en quelque sorte les relations du Premier ministre désigné avec le royaume de celles du Liban en général.
Cette démarche pourra-t-elle faciliter un déblocage gouvernemental ? Il est sans doute encore trop tôt pour le dire, d’autant que le processus en est encore à ses débuts.
commentaires (6)
grace, de grace, assez, assez de ces analyses aussi chouettes que repetitives, sacrer aoun et son gendre devient serieusement vomitif.
Gaby SIOUFI
17 h 30, le 16 mars 2021